Journal de l’année 14 de Jacques Bainville : Les notes sont quasiment quotidiennes jusqu’au 31 décembre. Sauf du 14 au 27 août à cause des contraintes de la guerre. Nous conseillons vivement de les lire au jour le jour, comme elles furent écrites. Sachons que notre situation française et européenne d’aujourd’hui découle largement des grands événements relatés ici !
«…depuis trois ans, les avanies que subissaient les membres de l’ambassade de France à Berlin étaient telles que la position était devenue intenable. »
Selon le baron de Berckheim, qui était premier conseiller de l’ambassade de France à Berlin, la guerre pourrait s’achever plus tôt qu’on ne le pense : le mois d’avril lui paraît être l’époque à laquelle les négociations de paix pourraient commencer. Mais ces négociations seront longues, ardues, pleines d’embûches. Il faudra que les belligérants gardent longtemps leurs armées sur le pied de guerre. Nos soldats ne sont pas près de rentrer dans leurs foyers…
Au fond, les diplomates les plus perspicaces en savent-ils beaucoup plus long que Mme de Thèbes ? La célèbre voyante annonce qu’en 1915 l’Allemagne verra la guillotine en permanence (la guillotine doit être une façon de parler car l’instrument est bien français), mais que l’ère révolutionnaire surexcitera le patriotisme allemand, à la façon de 1793.
La pythonisse reprend une idée que j’ai quelquefois développée en réponse aux idylles de République germanique dont se bercent Vaillant1 (Au centre, photo de droite) et Compère-Morel2. La rencontre m’amuse assez. Mais pour une révolution en Allemagne, faut-il compter sur les socialistes qui se nationalisent à vue d’œil et se transforment en nationaux-démocrates, à l’image des libéraux d’avant 1870, devenus nationaux-libéraux après la guerre ? Ou bien est-ce sur le socialisme extrême, celui de Liebknecht et de Rosa Luxembourg, qu’il faut se reposer ? Liebknecht a été seul, tout seul, ces jours-ci, à voter contre les crédits de guerre au Reichstag et, pour ce fait, il est même menacé d’être exclu du parti. Comme disait jadis à propos de Jaurès le prince de Bülow : « une hirondelle ne fait pas le printemps« .
M. de Berckheim disait encore que, depuis trois ans, les avanies que subissaient les membres de l’ambassade de France à Berlin étaient telles que la position était devenue intenable.
On m’affirme que le scandaleux article publié par le sénateur Gervais, dans Le Matin, au mois d’août, avait été écrit sur les indications du ministre de la guerre Messimy. Cet article imputait une conduite honteuse au feu à des contingents du Var. Or Clemenceau est sénateur du Var. C’est contre lui, dont l’influence était alors redoutée d’un certain nombre de radicaux, que l’attaque était dirigée. On voulait pouvoir dire : « Les soldats de Clemenceau« , comme on a dit, après l’affaire de Lille : « Les troupes à Caillaux. » En somme, querelles de couloirs et de factions par lesquelles on divise les Français. ■ JACQUES BAINVILLE
1. Edouard Vaillant, journaliste à L’Humanité.
2. Adéodat Compère-Morel, journaliste à La Guerre sociale de Gustave Hervé.
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