Plus que jamais en 2024, la France a connu une décadence que rien ne semble pouvoir arrêter
Par Paul Rafin*.
Cet article, paru dans Causeur hier, 21 décembre, est parfaitement construit à partir de sa première phrase, et il en tient, si l’on ose dire, toutes les promesses : « L’époque est à la décadence. » De cette décadence, toutes les facettes, tous les domaines qu’elle affecte – à peu près tout – sont passés au crible d’analyses pertinentes, empreintes d’une culture et d’un goût qui ne courent plus les rues. Domaines politiques et bien sûr métapolitiques, selon les termes d’aujourd’hui, comme si le Politique, qui est l’art ou la science de la Cité, n’était pas un composé de l’ensemble. Cet article est mieux qu’un article de circonstance, comme on les écrit par exemple pour finir l’année. Il est vrai que les circonstances du moment, justement, n’invitent guère à la légèreté de l’insouciance.
« Dieu nous protège des Parlements ! » criaient déjà les justiciables d’Ancien Régime..
L’année s’achève, c’est l’heure du bilan. 2024 ne brillera pas dans l’histoire pour son excellence. Un constat sans fard.
L’époque est à la décadence. Notre président, qui aime tant déblatérer sur l’irresponsabilité des citoyens qu’il emmerde, s’accroche au pouvoir, les mains crispées sur le trône. En attendant, on légifère sur la fessée, l’État court à la ruine, les députés dealent du shit. Les « je ne crois pas qu’il soit jamais permis dans cette Assemblée de laisser sans réclamation violer, même dans un discours, les principes, et de composer avec les amours-propres aux dépens de la vérité » (Mirabeau) ont laissé place aux « Ferme ta gueule ! » (Portes).
Le divertissement a grand-remplacé le savoir
Rarement les écarts de fortune n’ont été si colossaux ; et en même temps que le grand déclassement nous guette, le peuple enterre ses angoisses dans la vaste pornographie des plaisirs, et préfère jouir des denrées fabuleuses du bateau ivre qui chavire, plutôt que de s’en priver pour le délester — et le sauver des abysses. Rome est à la mode, et le péché consensuel.
Les délinquants ordinaires, les criminels, les squatteurs, les branleurs ont tous les droits ; les flics sont désarmés : une intervention est une bavure. L’école pédagogiste enseigne en vain ses stupidités à des barbares sans familles et sans repères : elle a remplacé Molière par les mangas, les cours magistraux par les shows des drags queens, elle fabrique des dégénérés. La vulgarisation, l’obscénité ont remplacé le génie, et le divertissement, le savoir. Un bon élève est un fayot ; un mauvais élève, une victime. On a tellement sapé la culture et l’autorité, que les gamins sont devenus des sauvages. Et cependant à chaque nouveau fait divers, les libertés ploient sous les normes.
La gestion de la France, c’est la définition du burlesque : on traite le grave avec légèreté, et le léger avec gravité. À l’ère du paraître et de la consommation, on achète six millions de dollars une banane scotchée au mur, on publie les mémoires des youtubeurs, Blanche-Neige est Colombienne. On combat la hausse des viols par une loi sur les regards appuyés ; on débat comme les Femmes savantes sur l’écriture inclusive ; on censure « nain », « noir », « gros », « pédé », mais si l’on suppose que le recul de l’autorité de l’État entraîne une augmentation des violences, on est relégué au fascisme. Puis l’administration spolie les travailleurs pour payer les fainéants ; au lieu de s’acharner contre les chômeurs, elle harcèle ceux qu’elle devrait soutenir. Elle arrache leurs terres aux agriculteurs, elle les soumet à la concurrence la plus déloyale : elle les pend. Pour quoi ? — plus les taxes augmentent, plus l’État est déficient.
Nos cerveaux déclinent. Partout règne la confusion : on attaque le catholicisme aux Jeux Olympiques, comme si la religion n’avait pas été aussi la plus grande œuvre pacificatrice de l’humanité ; on célèbre la Révolution comme le triomphe des Lumières sans la moindre nuance, l’érigeant en rupture entre mal et bien, et justifiant la Terreur.
« On marche sur la tête », « tout est fait en dépit du bon sens » sont des phrases qui tournent en boucle aux cafés, dans la rue, au travail. On prend le taureau par la queue : l’Union européenne reçoit en grande pompe Greta Thunberg au Parlement puis vote le CETA. Les « multiculturalistes » défendent le nationalisme ukrainien en même temps qu’ils rêvent du « village mondial ». Les programmes scolaires traitent de thématiques universitaires, alors qu’au lycée les élèves ne savent pas lire ; les policiers ont des formations sur la bienveillance ; le bourgeois blanc catholique est diabolisé, le migrant sanctifié. On fait du procès Pelicot le procès des hommes, comme si cette affaire était un emblème, alors qu’elle est au viol ce que l’affaire Dupont de Ligonnès est au meurtre, un cas hors-norme. Et si les féministes, qui s’accordent avec la droite pour hurler au laxisme judiciaire (c’est savoureux), s’intéressaient plutôt à la réalité des violences sexuelles ? — celles qui sont trop habituelles pour passer dans les journaux.
La magistrature, habituellement d’un laxisme pervers, fait preuve d’autoritarisme quand l’idéologie s’en mêle. À Nice, elle libère sous contrôle judiciaire des suspects prévenus d’avoir agressé des policiers en dehors de leur service. Et cependant elle met en examen le candidat Fillon en pleine campagne présidentielle, au mépris des usages démocratiques ; elle prononce contre Nicolas Sarkozy une condamnation révoltante au point de vue des droits et libertés fondamentaux ; elle requiert contre Marine Le Pen l’inéligibilité avec exécution provisoire, piétinant sans vergogne le sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. On nous rétorquera que critiquer la justice, c’est remettre en cause l’État de droit, comme si la justice ne pouvait jamais empoisonner l’État. La nôtre ferait mieux de troquer Rousseau contre La Rochefoucauld : soumise aux pressions extérieures, elle délaisse au profit des délinquants le droit pour l’équité, et contre les honnêtes gens, l’équité pour le droit. « Dieu nous protège des Parlements ! » criaient déjà les justiciables d’Ancien Régime — mais il y a beaucoup de similitudes entre notre époque et le dix-huitième siècle…
La France droguée, matraquée de publicité, est sous anti-dépresseurs. Notre vieil esprit libertin, qui faisait à la fois notre bonheur et notre renommée, est bafoué sur ses deux flancs : d’un côté par le rigorisme féministe et religieux, de l’autre par l’hypersexualisation. Comme la noblesse s’est perdue à force d’imiter la bourgeoisie, la bourgeoisie s’abaisse au rang des prolétaires, et décroît. L’adulescence ventripotente, onaniste par paresse, aux passions méprisables et dont les goûts sont altérés par la bêtise, ne dépasse plus le stade esthétique (relire Kierkegaard). Gavée de propagande américaine, ce wokisme coupé de protestantisme, elle se débat dans une injonction contradictoire qui la déprime.
Bayrou nous sauvera-t-il ? — non.
Joyeux Noël et bonne année ! ■ PAUL RAFIN
Constat amer et réaliste. Étant incapables de gérer l’héritage de nos ancêtres nous en précipitons la ruine. Quand cesserons nous de faire un lamentable état des dégâts en oubliant d’agir quand il en est encore temps?
Concernant Dupont de Ligonnés il ne s’agissait pas d’un meurtre mais d’un assassinat…pour notre pays c’est la même chose..
Une liste assez complète, sans fioriture (un bon point). Un listing plutôt (il oublie l’invasion du globish). Paul raffin se fait plaisir mais ne nous apprend pas grand chose. Il ne dit pas quoi et comment faire. Il ne dit surtout pas ce qu’il fait, lui, à part se plaindre.
Cher Marc Vergier, vous avez raison mais vous en demandez trop.
Comme je crois que nous sommes d’un âge analogue, je vous demande de vous rappeler ce qu’était le paysage médiatique il y a 20 ou 30 ans.
Le vieux crocodile que je suis n’espérais pas voir la montée d’un discours réactionnaire de son vivant.
Nous sommes encore loin du but, très loin mais nous avons commencé à remonter la pente.
Entièrement d’accord avec Pierre Builly. Comme le disait Churchill : ce n’est pas la fin, ni même le commencement de la fin, mais c’est peut-être la fin du commencement.
Cher Pierre Builly, vos remarques sont toujours les bienvenues.
Je ne garde pas la même impression des trois quarts de siècle que nous avons vécus parallèlement. Oui ! un certain discours conservateur progresse, mais sans que ses partisans et sympathisants se multiplient significativement. Naguère combattu vigoureusement, ce conservatisme subit maintenant, venant d’en « haut » un véritable étouffement ou baillon, d’une perversité et sophistication redoutables. La mécanique de l’anti-racisme, si bien analysée par M. de Meuse en est un exemple. Pour nos générations déclinantes, ce n’est pas grave, car il fait encore son chemin tacitement, comme une évidence allant de soi. Sur les nouvelles générations, quand elles en entendent l’écho, il fait très largement l’effet d’une voix venue de Mars ou de Pluton, inapplicable à notre temps et notre monde, totalement anachronique, non « scientifique », non « économique », ni « moderne » ni « contemporaine »… Parmi les composantes principales du conservatisme ce ne sont pas tant les idées ou propositions qui sont discréditées mais, plus profondément, leurs fondements ou leurs axiomes : la logique, la langue claire, la critique argumentée, le sens du bien commun (lui-même privé de bases avec le discrédit nouveau de l’idée de nation, amplifié par le « tout-à-l’ego » de Régis Debray), la morale et ses hypocrisies maîtrisées, la hiérarchie, l’exemplarité, l’autorité, le désintéressement… Ajoutons le progrès concomitant de l’abstention, du sentiment d’impuissance, de la déprime, de la dérision, du nihilisme, de l’aboulie, de l’irréflexion…
Une masse croissante, elle, et largement informe donc, sur laquelle votre « discours réactionnaire » glisse comme sur une plaque de titane. Hannah Arendt dit que les « masses sont avides de cohérence… » elles acceptent le matraquage officiel « comme preuve de sa sincérité tandis que le sens commun nous dit que c’est précisément [sa] cohérence qui n’est pas de ce monde et qui prouve [qu’il] est fabriqué ».
Perelman dans son « Traité de l’argumentation », prétend que « le prestige du chef se mesure à sa capacité d’imposer des règles qui semblent ridicules et de les faire admettre par ses subordonnés » Un quasi-programme pour Macron et autres Véran et le Maire !
Dietrich Bonhöffer pensait que la stupidité (mot qui, à la bêtise, ajoute aptement la stupeur) était plus dangereuse que la malice. Voici ce petit texte (traduit un peu librement depuis sa version anglaise).
« La stupidité est un ennemi plus dangereux pour le bien que la malice. On peut protester contre le mal ; on peut le dénoncer et, si nécessaire, le prévenir par l’usage de la force. Le mal contient en lui-même le germe de sa propre subversion en ce qu’il laisse, chez les êtres humains au moins, une sorte de malaise. Contre la stupidité nous sommes sans défense. Ni les protestations ni la force l’atteignent ; les raisonnements se heurtent à des oreilles bouchées ; les faits qui contredisent les préjugés peuvent être simplement ignorés – dans ces moments l’individu stupide se fait critique à son tour- et quand les faits sont irréfutables, ils sont juste écartés comme sans conséquence ou accidentels. Dans toutes ces situations, l’individu stupide, contrairement au malfaisant, se mure dans l’auto-satisfaction et, rendu irritable, attaque et devient dangereux… Il y a des esprits remarquablement déliés mais stupides tandis que d’autres à l’intellect poussif sont tout sauf stupides. Nous le découvrons dans certaines situations. On ressent alors que la stupidité n’est pas un défaut congénital, mais que, dans ces circonstances, les individus deviennent stupides ou s’abandonnent à la stupidité. On découvre aussi que les personnes solitaires ou peu sociables sont moins sujettes à cette métamorphose que les individus ou les groupes enclins ou contraints à une sociabilité intense… Une observation plus attentive révèle que toute intensification de la pression sur le public, qu’elle soit d’ordre politique ou religieuse, infecte une large part de l’espèce humaine de stupidité… Alors, la puissance publique a besoin de la stupidité de ses ressortissants… Alors les humains renoncent plus ou moins consciemment à leur liberté de penser. Le fait que la personne stupide est souvent entêtée ne doit pas nous aveugler sur le fait qu’elle a cessé de penser par elle-même. En discutant avec elle on ressent confusément que l’on n’a plus devant soi un individu mais des slogans, des formules toutes-faites etc. qui en ont pris possession…. Qu’il est un outil sans cervelle… »
D’accord avec les deux derniers commentaires.