Cette chronique que nous reprenons sans commentaire – les lecteurs s’y emploieront si besoin est – est parue dans le Figaro du 8 janvier. Simple occasion de dire notre sympathie pour les écrits – et les prises de parole – de Jean Sévillia qu’on lira sans faute. On l’écoutera aussi, JSF ayant repris son récent entretien avec Richard de Seze sur Radio Courtoisie.
« L’hégémonie détenue par la gauche dans le monde intellectuel n’a pas disparu, mais des brèches ont été ouvertes » Jean Sévillia
CHRONIQUE – Le journaliste Jean Sévillia publie Les Habits neufs du terrorisme intellectuel (Perrin), une édition augmentée de son best-seller publié en 2000. Le refus de voir le réel par idéologie, la diabolisation de l’adversaire et la certitude morale d’appartenir au camp du Bien sont toujours là, mais le pouvoir d’intimidation de la gauche est affaibli.
« Je fus souvent tenté de préférer l’erreur qui rapproche à la vérité qui sépare » Jean Daniel
La semaine a été marquée par deux nouvelles majeures : le scandale des gangs de violeurs pakistanais au Royaume-Uni, remis au goût du jour par Elon Musk, et la mort du fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen. Ces deux faits ont un point commun : la mécanique du terrorisme intellectuel exercé par la gauche. C’est cette mécanique qui a conduit une partie des médias et de la police en Grande-Bretagne à minimiser ou étouffer ces crimes d’une gravité exceptionnelle par peur de passer pour raciste, car l’écrasante majorité des coupables était d’origine pakistanaise.
C’est aussi cette mécanique qui a conduit à faire de l’antifascisme une arme rhétorique visant à empêcher tout débat sur la question migratoire, et qui conduit certaines belles âmes de gauche à sabrer le champagne sur la tombe d’un vieillard, fortes d’une arrogance que seule la certitude d’appartenir pour toujours au camp des gentils confère.
Dans son livre Les Habits neufs du terrorisme intellectuel (Perrin), édition augmentée de son best-seller de 2000, le journaliste Jean Sévillia décrit avec une précision méticuleuse ce dispositif mis en place par la gauche depuis un demi-siècle pour s’assurer une hégémonie idéologique en disqualifiant systématiquement toute opposition. Il en donne une définition limpide : « Le terrorisme intellectuel, refusant tout débat de fond sur les questions politiques et sociales qui engagent l’avenir, vise à ôter toute légitimité à son contradicteur en l’assimilant par amalgames aux personnages, aux faits, aux théories du passé et du présent qui symbolisent le mal absolu selon les critères alors dominants dans le milieu culturel et médiatique. »
Dans ce livre passionnant, augmenté de sept chapitres inédits, Jean Sévillia retrace la généalogie et les mutations de ce terrorisme intellectuel, depuis l’indulgence de l’intelligentsia envers les crimes de Staline jusqu’au « Front républicain » des dernières élections législatives. Il se fonde sur trois principes : sentiment de supériorité morale, refus de voir le réel par idéologie et diabolisation de l’adversaire.
Deux poids, deux mesures
Tout commence après guerre lorsque l’hégémonie communiste se cristallise sur une réécriture de l’histoire, héroïsant sans nuances le Parti communiste et ses « 75.000 fusillés » (en réalité 5000), passant à la trappe le pacte germano-soviétique, le massacre de Katyn et les innombrables crimes staliniens. C’est dans ce creuset que se forge ce sentiment de supériorité morale qui autorise tous les excès. Jean Paulhan le dit bien dans sa Lettre aux directeurs de la Résistance où il manifeste sa réprobation quant aux excès de l’épuration : le problème est de s’être « crus résistants une fois pour toutes, purs, sauvés ».
Le deux poids, deux mesures insensé qui structure notre vie intellectuelle entre l’indulgence envers les crimes du communisme et la vigilance exacerbée quant à ceux de l’extrême droite est admirablement démontré par Jean Sévillia. Comme le remarquait Alain Besançon à la fin des années 1990 « de 1990 à 1997 un grand journal du soir a traité 480 fois du nazisme et 7 fois du communisme, 105 fois d’Auschwitz et 3 fois du Goulag ». « Pourquoi le négationnisme, défini comme un délit quand il porte sur le nazisme, ne l’est-il pas quand il escamote les crimes communistes ? » se demandait Jean-François Revel. « Le Parti communiste a tiré les leçons de son histoire ? Qu’il change de nom. Et que ses municipalités débaptisent les avenues Lénine, qui, dans nos banlieues, insultent les morts du goulag » écrit Sévillia.
Du procès Kravchenko à la peinture de Soljenitsyne en moujik réactionnaire en passant par l’applaudissement de l’arrivée des Khmers rouges à Phnom Penh, Sévillia décrit des décennies de déni. Certains, avec une honnêteté remarquable, avouèrent à la fin de leur vie que ce pouvoir d’intimidation les avait aveuglés, comme Jean Daniel, qui écrivait : « Je fus souvent tenté de préférer l’erreur qui rapproche à la vérité qui sépare. »
Pouvoir d’intimidation de la gauche morale
L’autre thème fondamental sur lequel s’est exercé le terrorisme intellectuel est bien sûr celui de l’immigration. Dès la fin des années 1990 dans L’Obs Michèle Tribalat évoque la transformation radicale qui s’opère dans la ville de Dreux « théâtre d’un morcellement du corps social sur base ethnique où le racisme anti-arabe et son double mimétique le racisme antifrançais organisent la vie sociale ». Elle sera marginalisée du débat public pour avoir osé réclamer la lumière sur l’état de l’immigration en France. Le lien entre l’immigration et la délinquance, avéré par des données statistiques, a été occulté pendant des décennies. Le lien entre terrorisme et islamisme a été minoré. Exemple éclatant de cette idéologie du déni : au moment de l’attaque de Mohamed Merah en 2012, un journaliste de L’Obs, aujourd’hui directeur adjoint de la rédaction du Monde s’exclamait sur les réseaux sociaux : « Put***, je suis dégoûté que ça ne soit pas un nazi. »
Qu’en est-il aujourd’hui ? Faut-il penser, comme le fait Mathieu Bock-Côté dans la préface qu’il donne à ce livre que « la structure du débat intellectuel demeure fondamentalement la même » et que « la situation s’est radicalisée » ? Certes, le pouvoir d’intimidation de la gauche morale se manifeste toujours. Il a montré sa résilience lors des dernières législatives qui ont vu fonctionner à merveille la mécanique du cordon sanitaire. On le voit encore régner ici et là : quand l’écrivain Sylvain Tesson est qualifié d’extrême droite par une poignée de plumitifs, quand l’ancien premier ministre Édouard Philippe est obligé de se justifier d’avoir dîné avec Marine Le Pen, quand l’Arcom distribue des oukases pour des propos tenus à la télévision. Certes, le débat d’idées, comme l’ensemble de la société, s’est judiciarisé.
Mais on sent bien que la mécanique est usée, que la rhétorique ressemble davantage aux incantations vides d’une religion à laquelle plus personne ne croit plus qu’à un catéchisme sincèrement partagé. Les réseaux sociaux ont fait exploser la chape du déni. Ils se libèrent progressivement de la censure et redonnent à la liberté d’expression toute sa place. Les médias sont davantage pluralistes. « L’hégémonie détenue par la gauche dans le monde intellectuel n’a pas disparu, mais des brèches ont été ouvertes » concède Sévillia. Nous irons plus loin que lui : le terrorisme intellectuel était un rouleau compresseur pour le progressisme conquérant, il n’est plus que la muraille de papier d’un camp idéologique réduit à l’état de secte. ■ EUGÉNIE BASTIÉ