PAR PIERRE BUILLY.
Vacances romaines de William Wyler (1953)
Échappement libre
Comment un film qui met en premier plan la beauté de Rome, la Ville éternelle, la seule cité qui puisse se piquer d’être au niveau de Paris, avec qui elle est d’ailleurs liée par un traité de jumelage exclusif, pourrait-il être négligeable ?
D’autant qu’il est illuminé par la distinction, le talent, l’allure de cette grande légende qu’est Gregory Peck. Et surtout qu’il a révélé, dévoilé au plein soleil de la renommée, fait éclater, la plus gracieuse, la plus charmante, la plus exquise de toutes les actrices d’Hollywood, cette Audrey Hepburn qui avait 24 ans déjà et végétait alors dans de tout petits rôles. Comme il est agréable pour un Français de savoir que c’est, paraît-il, Colette qui la repérant sur le tournage de Nous irons à Monte-Carlo de Jean Boyer avec l’orchestre de Ray Ventura, l’imposa pour jouer Gigi à Broadway, ce qui lui ouvrit la porte des studios.
Et si William Wyler avait pensé, en premier choix, à Elizabeth Taylor (et à Cary Grant), comme on peut le remercier d’avoir fait confiance dans la charmante inconnue sans qui Vacances romaines ne serait pas cette délicieuse comédie un peu triste qui n’a pris que de très jolies rides depuis 1953 où elle a ravi tous les écrans du monde. Il est en tout cas fort bien venu que le scénariste, Dalton Trumbo n’ait pas voulu donner la petite facilité démagogique qui aurait conduit, in fine, la princesse à jeter son bonnet par dessus les moulins et à se réfugier dans les bras du beau journaliste.
C’est que l’époque n’avait pas la vulgarité d’aujourd’hui et qu’elle savait bien que les princesses ne sont pas sur terre pour satisfaire leurs coups de cœur et réaliser leurs aspirations personnelles. Il pèse sur Vacances romaines l’ombre qui était alors présente à tous les esprits (y compris le mien, qui étais pourtant bien jeune), celui de la Princesse Margaret, sœur de la reine Elizabeth, contrainte de renoncer à son amoureux Peter Townsend, héros de la Bataille d’Angleterre, d’excellente famille d’aristocratie rurale, mais divorcé… Une princesse c’est – c’était en tout cas – quelqu’un qui ne s’appartient pas, qui représente son pays et les intérêts, le prestige, la colonne vertébrale de son pays et non pas une midinette qui veut faire pleurer Margot. Le monde a beaucoup changé, n’est-ce pas ?
Donc, d’abord, un dialogue très spirituel, plein de saillies et de finesses : au tout début du film, la princesse qui enrage des contraintes qu’elle subit et voudrait coucher en pyjama sans le pantalon et provoque sa camériste : Savez-vous qu’il y a des gens qui dorment tout nus ?, camériste qui lui répond Je suis fière de l’ignorer !. Puis une promenade dans Rome, d’abord. Les esprits chagrins pourront tordre le nez sur l’aspect de carte postale des pérégrinations de la princesse et du journaliste ; et de fait on ne rate rien des monuments et endroits emblématiques : Trinité des Monts, place d’Espagne, Panthéon, Château Saint-Ange, Colisée, Monument à Victor-Emmanuel, galerie du Palais Colonna, naturellement la fontaine de Trevi (auprès de quoi se tient un marché ; qui imaginerait ça aujourd’hui ?). Et aussi cette séquence très réussie devant la Bocca della Verita, cette sculpture du Ier siècle dont on ignore encore l’usage antique, censée couper la main de qui profère un mensonge en l’y ayant introduite, ce que font les deux personnages, comme la coutume le veut ; et donc ce gag sans doute mille fois fait avant et depuis le film et le cri de terreur (paraît-il non feint !) d’Audrey Hepburn devant le faux moignon de Gregory Peck.
Et naturellement ce jeu charmant de la princesse infantilisée qui se rebiffe tout en sachant bien qu’elle ne se rebellera pas longtemps et qui se fait couper les cheveux en une sorte de rituel de passage symbolique hors de l’adolescence, avant, quelques heures plus tard de recevoir son premier baiser de femme…
Conte de fées rose et gris, avec une ombre gracieuse qui tombe au soir sur des vies qui auraient pu être un peu différentes. On espère qu’à la fin de leur existence, la princesse et le journaliste n’auront pas en tête les vers tristes des Passantes de Georges Brassens :
Mais si l’on a manqué sa vie
On songe avec un peu d’envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu’on n’osa pas prendre
Aux cœurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu’on n’a jamais revus. ■
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