Par Pascal Cauchy.
« Ainsi s’éclipse le monde ancien. Les frontières s’estompent. Les idéologies sont surannées. Tout devient possible et, surtout, la nouvelle génération, tout à son ressentiment pour les « boomers », veut sa place et monter dans le train de la société ouverte pour aller vers le « village global » où tous les habitants ressemblent aux figurants béats d’un reportage de CNN. »
C’était le temps où le monde entier était refaçonné avec de nouveaux mots : global, opportunité, multipolaire…, joyaux brillants dont les élèves de Sciences Po s’emparent, le jeune Emmanuel en tête. C’était donc le moment où le voile du discours a recouvert le réel, le transformant en un espace politique virtuel.
L’an 2000, comme le dit une publicité : « nous l’avons rêvé ». Avoir 20 ans aux premiers jours du millénaire, quoi de plus émoustillant ? Emmanuel Macron et sa génération ont eu leurs rêves faits d’enthousiasmes et de ressentiments. Les enthousiasmes sont ceux de la fin de la Guerre froide, la naissance d’un monde « global », « ouvert », relié par internet et des avions « low cost ».
Le ressentiment, c’est la conviction d’un monde ancien obsolète, une société bloquée par une génération qui a trop profité de la vie. C’est vite dit, mais c’est bien ce qui domine les esprits du côté de la rue Saint-Guillaume à Paris où le jeune Macron fait ses études entre 1999 et 2001.
Quand Emmanuel Macron passe son bachot, le monde est en pleine métamorphose. Le communisme soviétique est mort, la Guerre froide appartient à un passé révolu, les frontières semblent vouées à la disparition au profit d’un monde global selon le mot américain. Il y a bien quelques spasmes de l’histoire mais qui semblent anachroniques. Les guerres yougoslaves ou le génocide du Rwanda n’ont pas mobilisé les opinions. Les jeunes Français ne manifestent pas contre les bombardements de l’OTAN, ils ne chantent pas « We are the World » comme pour l’Éthiopie affamée dix ans plus tôt. Le temps de « l’engagement » est bien passé. Une euphorie gagne peu à peu les esprits, d’autant que des promesses nouvelles font leur apparition. La fin de la Guerre froide n’est pas seulement la fin du communisme en Europe, c’est aussi une formidable ouverture des frontières matérialisée par deux phénomènes qui vont faire exploser les échanges : l’ouverture de l’espace aérien et la révolution des transmissions. La première consacre l’augmentation du trafic et l’effondrement des coûts de transport, désormais toute une classe moyenne voyage aux quatre coins du monde. La seconde, c’est Internet qui relègue le fax et le minitel dans les greniers. Le téléphone portable fait sa timide apparition. La génération d’Emmanuel Macron est spectatrice de ces mutations. Elle voit l’histoire du XXe siècle disparaître sous ses yeux. Le décès de Mitterrand en janvier 1996 clôture le chapitre. Les guerres appartiennent au passé, la preuve en est la suppression du service militaire. Emmanuel Macron sera à jamais un civil. Il y a bien la question des « banlieues » en France, mais celle-là est sociale ou culturelle, donc résoluble à terme par la marche du monde. Les attentats de 1995 (métro Saint-Michel) et 1996 (Port–Royal), imputés au GIA algérien, sont une malheureuse affaire de contingences extérieures.
L’an 2000 : une attraction du train fantôme
Le XXIe siècle, les jeunes de vingt ans l’attendent avec impatience et un optimisme fébrile. Cette génération entre dans la vie d’adulte comme dans un roman d’anticipation. La peur du « bug » de l’an 2000 est juste une attraction du train fantôme de la foire médiatique. Sans doute, un basculement intervient le mardi 11 septembre 2001, mais l’émotion passée, les tours new-yorkaises sont reconstruites.
Pour une génération privilégiée entrant à Sciences Po dans ces années cruciales, l’Europe est dans le sens de l’histoire, une histoire dont Fukuyama annonce la fin dans le titre d’un article désormais célèbre. Le monde global est une évidence en cette fin de siècle pour ces jeunes qui trouvent tant de portes ouvertes devant eux. Nous entrons dans l’ère des « opportunités » (un américanisme très à la mode à cette période). Ce contexte est un décor sur lequel l’esprit caméléon d’un jeune de 20 ans peut se fondre. Il constitue surtout une culture commune faites de références partagées. Encore faut-il admettre que, selon le milieu social ou géographique, l’empreinte est plus ou moins forte.
À Sciences Po, le jeune Macron est un élève discret. Il ne participe guère aux amusements de ses condisciples. Sans doute les inclinations de son cœur ne lui permettent pas de se joindre aux jeunes de son âge. Rue Saint-Guillaume, Macron est un bosseur. C’est en économie politique et financière qu’il excelle. À l’époque le cours est assuré par Dominique Strauss-Kahn, qui professe un « keynésianisme » mesuré. L’ex-ministre, englué dans les « affaires » de la MNEF, a trouvé refuge à Sciences Po, accueilli par un Richard Descoings alors au sommet de sa gloire. Le cours pendant est celui de Jacques Généreux, qui n’a pas encore fondé le Parti de gauche, et qui lui aussi professe un libéralisme économique tempéré. Rien de marxiste dans tout cela. À côté de ces enseignements, les entreprises de conseil font leur entrée en force dans l’école. Des cabinets comme Arthur Andersen et Ernst & Young ont table ouverte, recrutent les diplômés et participent même aux réformes par leurs conseils avisés. La finance et l’argent facile font rêver.
L’avènement d’un monde multipolaire
L’ouverture internationale et, bientôt, la discrimination positive, sont à l’ordre du jour. Sciences Po est dans l’air du temps et se veut même à la pointe d’un nouveau modèle universitaire. Macron est du voyage de Berlin clôturant les études pour toute la promotion 2001. Diplômée, cette génération part avec son petit bagage intellectuel. Pour elle, le XXe siècle est bien achevé. L’histoire de France n’est plus qu’un « roman national ». La philosophie politique adoube le modèle démocratique des sociétés, modèle indépassable mais améliorable. Rawls est à l’honneur ; Habermas et son « état de droit » est indiscutable. Quand on évoque la cité grecque, c’est pour vanter les vertus du tirage au sort des magistrats (on ne peut pas ne pas penser aux initiatives d’Emmanuel Macron qui promeuvent cette pratique) avant de passer à Benjamin Constant et aux bienfaits de la démocratie représentative (qualificatif d’ailleurs systématiquement accolé au substantif). Quant aux relations internationales, elles confirment l’avènement d’une heureuse planète grâce aux promesses d’une Europe nouvelle et d’un monde « multipolaire ». L’Europe est une « construction » incontestable, d’autant que Bruxelles fait miroiter des promesses d’emplois (le mot « lobbying » entre dans les « fiches carrières »). L’Union européenne est dans le sens de l’histoire.
Le monde multipolaire, c’est la marotte locale de Bertrand Badie et de Ghassan Salame. Des pays « émergent » comme l’Afrique du sud de Mandela, le Brésil ou l’Inde – mais pas encore la Chine. Quant aux états classiques (occidentaux), ils sont menacés par les nouveaux « acteurs » internationaux que sont les ONG. D’ailleurs, il n’y a plus d’international mais du « transnational ». On s’enthousiasme pour la « gouvernance » mondiale. Les nouvelles formes « interétatiques », supranationales donc, sont prometteuses comme le Mercosur, très à la mode à cette époque (déjà !). Habermas ne conçoit-il pas l’Union européenne comme un premier pas dans la direction d’un authentique ordre cosmopolite ?
Monter dans le train de la société ouverte pour aller vers le village global
Ainsi s’éclipse le monde ancien. Les frontières s’estompent. Les idéologies sont surannées. Tout devient possible et, surtout, la nouvelle génération, tout à son ressentiment pour les « boomers », veut sa place et monter dans le train de la société ouverte pour aller vers le « village global » où tous les habitants ressemblent aux figurants béats d’un reportage de CNN.
Pour la génération Macron, le monde du réel, avec ses permanences et ses certitudes, n’est plus. Dès les premiers jours de sa présidence, Emmanuel Macron avait prévenu : « Les forces du monde ancien sont toujours là, bien présentes, et toujours engagées dans la bataille pour faire échouer la France ». Mais ces forces sont périmées. Un monde virtuel, tout neuf, sort de la chrysalide. Dès lors, la représentation que l’on a de ce monde en métamorphose suffit à en modifier le sens comme dans le film Matrix (sorti en 1999). Pour affronter une telle dissipation des sociétés il faut une bonne dose d’hédonisme, et un souci supérieur de l’instant présent. Le grand succès télévisé du printemps 2001 est Loft story, appelé avec une certaine justesse dans l’à-propos : « téléréalité ». ■ PASCAL CAUCHY
Il y a 80 ans, c’était « l’épurat.ion »
Petite chronique des sanctions contre la Russie (à l’attention de Bruno Le Maire)
Excellente évocation: mots fétiches (opportunités, gouvernance, représentatif, état de droit), étoiles en cendres (DSK, Descoing, Généreux…). Il y manque pourtant l’invasion de la « finance » en roue-libre, triomphante, dominatrice, croulant sous les dollars et intouchable, malgré au moins deux crises majeures , 2000 et 2008 et de nombreux scandales. Et les guerres … !
La génération de Macron en est réduite à boire la lie. Son inculture l’a empêchée de mettre au rencard les maîtres à penser de l’après-guerre. Ceux-là sont restés, ridés, vermoulus, inaudibles, décrédités, bouffis, mal rasés, repoussants. Faute de mieux, comblant le vide, ils commandent encore le verbiage idéologique et encombrent la mediacratie. Pour la France, c’est une tragédie.
Descoings a la tete de l’emploi .
Interessante , cette photo, lorsque l’on se demande à quoi peut ressembler tel personnage .
Article interessant sur cette generation suivant les dits « boomers ».
Ce ne serait rassurant si l’on ignorait l’aspect , certes utile pour comprendre mais simplificateur du rangement dans telle ou telle case d’une génération donnée .
D’accord avec Richard. La génération Macron n’est pas le tout de l’époque. Peut-être que plus tard on l’appellera la génération. Bock-Côté où Laurent Obertone. Mais ça, c’est pour plus tard. Peut-être.