Nous n’avons rien à ajouter à cet article d’Alexandre Devecchio qui est paru dans le Figaro du 6 février. Simplement, l’on se dira que pour un régime fondé sur le concept de « souveraineté populaire », la fracturation de la société française en blocs antagonistes et étrangers les uns aux autres, à quoi nous sommes parvenues a toutes les apparences et les violences d’un échec. ,
En 2018, tout avait commencé de la même manière. Par une révolte sourde que les élites n’avaient pas vu venir.
LA BATAILLE DES IDÉES – Une vague de colère, relayée par les réseaux sociaux et les élus locaux, commence à naître contre les zones à faibles émissions. L’écrivain Alexandre Jardin prédit une révolte des gueux.
«Holà, marchons les gueux », dit un vieux chant militaire. « Gueux » est en train de devenir un cri de ralliement chez les civils. C’est Alexandre Jardin qui, le premier, l’a popularisé sur les réseaux sociaux. L’écrivain a compris que les zones à faibles émissions (ZFE) constituaient une véritable bombe sociale. Les gueux, ce sont ces Français qui n’ont pas les moyens de s’acheter une voiture neuve, encore moins une électrique, et qui roulent en voiture d’occasion. Ces Français qui vivent loin des centres-villes, en banlieue ou en province, et qui ne peuvent se passer de leur véhicule pour aller travailler. Ces Français qui bossent de nuit ou très tôt le matin, à des heures où les transports en commun ne fonctionnent pas. Ces Français qui devront solliciter un pass ou écoper d’une amende pour se faire soigner car la majorité des hôpitaux sont situés dans des ZFE…
Les zones où les véhicules les plus anciens n’ont plus droit de circuler ont été introduites dans la loi en 2019. Jusqu’ici, elles ne concernaient que 12 métropoles et la menace des PV restait virtuelle. Depuis le 1er janvier, trois d’entre elles, Paris, Lyon et Grenoble, se sont durcies, bannissant les voitures diesel d’avant 2011 et essence d’avant 2006. Parallèlement, les ZFE se sont étendues à 30 nouvelles villes comme Bordeaux, Avignon, Nantes… À terme, la mesure pourrait concerner pas moins de 15 millions de véhicules. À Montpellier, après un recours déposé par une association, la Mairie a finalement acté un moratoire sur les verbalisations jusqu’en 2027. Mais Alexandre Jardin prédit déjà une révolte des « gueux » comparable à celle des « gilets jaunes » lorsque les nouveaux radars à lecture automatique de plaques d’immatriculation seront opérationnels.
Fracture entre deux France
En 2018, tout avait commencé de la même manière. Par une révolte sourde que les élites n’avaient pas vu venir. Par des mesures en apparence anecdotiques (limitation de la vitesse à 80 km/h, hausse de la taxe carbone), ressenties comme vexatoires. À cela étaient venus s’ajouter les propos de Benjamin Griveaux visant ceux qui fument des clopes et roulent au diesel. Nous n’en sommes pas là, mais une vague de colère commence à naître, relayée par les réseaux sociaux et certains élus locaux. Non seulement ces nouvelles normes pourrissent la vie de millions de Français, mais elles font d’eux des sous-citoyens dont le droit de circuler est remis en cause.
Les ZFE sont des « Zones à Forte Exclusion » des Français modestes. Sous couvert de lutte contre la pollution de l’air et d’écologie, elles expriment le désir des bobos de vivre dans l’entre-soi, traduisent la déconnexion d’une partie de nos dirigeants, qui ne perçoivent la France qu’à travers leur prisme d’urbains. Au mieux, ils ignorent la réalité des millions de Français de banlieue et de province. Au pire, ils les méprisent, voyant en eux les nouveaux Jacquouille des métropoles-citadelles.
De livre en livre, Christophe Guilluy n’a cessé de décrire cette fracture entre deux France. D’un côté, les grandes métropoles où se concentrent les nouvelles classes supérieures dites« progressistes », prônant l’« ouverture » et le « vivre-ensemble » pour mieux ériger des frontières invisibles. De l’autre, la périphérie où les « gueux » sont relégués. Enfant de la France rurale devenu membre de la France d’en haut, François Bayrou, qui se rêve en conciliateur, serait bien inspiré d’abroger les ZFE. ■ ALEXANDRE DEVECCHIO