… Mais revenons à nos poubelles… Il faut indéniablement aller plus loin et créer dans un recoin de ruelle des confessionnaux (ou du moins des guérites) où, tout un chacun, pourrait venir dénoncer dans l’intimité son père, sa mère, son fils, sa fille, son gendre, sa belle-mère…
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 10 février. C’est une chronique d’humeur, laquelle, on le verra, est parfaitement justifiée… À noter que le sujet — peut-être parce qu’il nous repose des coups de couteau et des singeries présidentielles — a inspiré de nombreux chroniqueurs dans les médias, notamment Boulevard Voltaire, où il a été aussi excellemment traité. Bonne lecture !
Il serait bon que cette traque de l’ordure mégenrée aille plus loin encore, et qu’on incite les gens à venir eux-mêmes se dénoncer lors de grandes séances d’autocritique
HUMEUR – France 2 a consacré un reportage le 5 février aux agents dans le Nord qui empêchent aux poubelles d’être collectées si les consignes de tri ne sont pas respectées. Une extension du domaine de la lutte contre le désordre jusque dans les bennes, ironise la professeur de français Ophélie Roque.
Ophélie Roque est professeur de français en banlieue parisienne. Elle a publié Black Mesa (Robert Laffont, 2023), son premier roman.
Dans un reportage du 20h de France 2, nous apprenions ce 5 février que, dans le département du Nord, une unité spécialisée dans le recyclage des déchets ménagers peut venir inspecter les poubelles des particuliers et sévir contre les terribles hors-la-loi qui mélangent, sans sourciller, restants de purée et cotons-tiges.
Si le concept d’une police de la pensée nous est depuis longtemps familier, la notion d’une maréchaussée de l’ordure reste encore à définir dans nos esprits si aisément troublés par la nouveauté. Nous passons des fameuses brigades du Tigre de Georges Clemenceau aux brigades du tri : quelle grandeur que celle de la France ! Voici venu le temps des Columbo de la courge, des Simenon de l’empaquetage, des Sherlock du plastique recyclable.
Fouiller dans une poubelle n’a rien de bien nouveau en soi – renards et autres blaireaux le font déjà – mais nous passons ici au stade supérieur. Quoique… Puisqu’en tout il est important d’être honnête, avouons que ce sympathique passe-temps fut déjà popularisé par l’art et la sociologie (Arman côté artiste, Nathalie Ortar, côté sciences sociales). Montre-moi ce que tu jettes, je te dirai qui tu es.
Mais ici, nous constatons une véritable avancée puisque le politique dépasse la seule problématique du ramassage ou de l’attribution des étiquettes bariolées propre aux différents conteneurs (vert « verre », jaune « plastique », bleu « papier », noire « alimentaire », bordeaux « biodéchets »….). Toute une écologie aux couleurs de l’arc-en-ciel ! Michel Pastoureau revisité dans le mobilier urbain de l’ordure.
Maintenant imaginez que votre plus jeune enfant ait malencontreusement glissé une peau de banane dans le bac à compost alors qu’une petite étiquette était encore vaillamment accrochée à l’épiderme bananier. La chose, que l’on croirait anodine, devient redoutable quand l’agent verbalisateur retourne vos déchets sur la pelouse de votre avant-cour et profite de cette tragique bévue pour apposer, d’un geste rageur, un autocollant rouge sur votre poubelle.
Et pourtant, je m’indigne ! Ceci n’est pas assez. C’est la porte tout entière, que dis-je ! le crépi de votre maison que vous venez de ravaler, qu’il faudrait entièrement badigeonner d’une colossale croix rouge. Le protocole est encore bien timide, nous sommes assurément plus dans la Plaine que dans la Montagne. Bref, c’est aussi tiède que l’eau d’un bain qui aurait refroidi (et si à cette seule évocation vous n’avez pas frémi, c’est que vous pratiquez encore ce lavement décadent ou que vous caressez la pensée de pouvoir, un jour, en prendre un). Profitez-en vil bourgeois ! la police des sanitaires saura – en temps voulu – vous retrouver.
Mais revenons à nos poubelles… Il faut indéniablement aller plus loin et créer dans un recoin de ruelle des confessionnaux (ou du moins des guérites) où, tout un chacun, pourrait venir dénoncer dans l’intimité son père, sa mère, son fils, sa fille, son gendre, sa belle-mère… En un mot, n’importe qui que vous soupçonnez (puisque le soupçon seul suffit !) de ne pas trier avec une conscience exacte les déchets ménagers.
Mais il serait bon que cette traque de l’ordure mégenrée aille plus loin encore et qu’on incite les gens à venir eux-mêmes se dénoncer lors de grandes séances d’autocritique où chacun confesserait devant une foule tempétueuse ses errances écologiques : «J’admets avoir jeté, par une coupable négligence, une boîte de cassoulet dans la poubelle verte…». La multitude, alors animée d’un juste ressentiment, viendra laver votre affront idéologique en vous lapidant avec ces mêmes conserves dont vous vous étiez si hâtivement débarrassé. Et ceci dans une démarche de recyclage aussi écologique qu’économique ! Vous en sortirez le dos meurtri et les reins fourbus mais l’âme apaisée. En ceci, l’écologie est une nouvelle religion. Et on ne doit jamais badiner avec ses idoles. ■ SOPHÉLIE ROQUE
Il faut créer une brigade EXCLUSIVEMENT féminine: les « POUBELLES GIRLS » à ne pas confondre avec les Blue Bell Girls