
Cette analyse que nous reprenons sans commentaire – les lecteurs s’y emploieront si besoin est – est parue dans le Figaro du 4 mars. Elle se fonde sur un rejet du primat de l’économique que notre école de pensée a toujours professé. Mais aussi sur le constat que le « Progrès » véritable ou supposé, y compris celui des techniques, ne va pas toujours dans a même direction. Cette analyse va selon nous dans le bon sens. N’assistons-nous pas en ce moment à une offensive – curieusement venue d’Amérique – qui se proclame « révolution du bon sens » et se veut ancrée sur la Tradition ? L’avenir nous en dira ou non la pertinence.
« Toute immigration de travail est aussi une immigration de peuplement qui modifie en profondeur la composition de la société française »
ANALYSE – Alors que Bruno Retailleau prévoit d’adresser une circulaire pour permettre la régularisation de clandestins dans le secteur de la restauration, il est temps de questionner la pérennité d’un système économique organisé autour de l’importation continue de main-d’œuvre étrangère sous-payée.
Il y a quelques jours, Abou Sangaré, ancien sans-papiers était acclamé aux César par l’intelligentsia parisienne pour son rôle dans L’Histoire de Souleymane, film racontant l’histoire vraie d’un clandestin pédalant dans les rues de Paris pour livrer les repas. Mais derrière ce destin extraordinaire, se cache une réalité moins reluisante, celle d’un système économique organisé autour de l’importation continue de main-d’œuvre étrangère sous-payée et sous-qualifiée.
Dans une autre partie de la France, l’information selon laquelle le ministère de l’Intérieur allait adresser une ordonnance aux préfets pour permettre la régularisation de clandestins dans le secteur de la restauration a suscité l’indignation, notamment du RN, qui a accusé Bruno Retailleau de « faciliter l’embauche de migrants dans les restaurants ». S’il y a renoncement, le ministère de l’Intérieur n’en est pas le seul responsable. Cette circulaire ne sera que l’application de la loi asile immigration votée en 2024 qui prévoyait une liste de « métiers en tension » dans lesquels la régularisation de sans-papiers serait facilitée. À l’époque, les macronistes voulaient même en faire un « droit opposable », et Retailleau s’y était opposé. Un compromis avait été trouvé que même les élus RN avaient voté.
L’expression « métiers en tension » est trompeuse. Il faudrait lui préférer celle de « politiques sous pression ». Sous pression du lobby de la restauration, très efficace pour faire valoir sa cause dans les médias et auprès des députés dans les bistrots de la capitale. Thierry Marx avouait récemment : « Si je regarde mon industrie, vous avez 20 % de travailleurs issus de l’immigration, s’ils ne sont plus là, je ferme un quart des établissements. » Certes, mais pourquoi donc seuls les travailleurs sans papiers acceptent de travailler dans ses restaurants ? Parce qu’ils sont mal payés et qu’ils ne bénéficient PAS des aides sociales réservées aux légaux ou aux Français.
On peut comprendre que les restaurateurs militent pour une main-d’œuvre bon marché, qui leur permet de faire tourner leur cuisine sans augmenter les salaires. Mais est-ce le rôle de l’État de céder à l’intérêt sectoriel d’un lobby qui recherche un objectif économique de court terme ? Ce n’est pas à Thierry Marx de décider de la politique migratoire de la France. L’État doit chercher l’intérêt général de long terme. Or, avec le regroupement familial, toute immigration de travail est aussi une immigration de peuplement qui modifie en profondeur la composition de la société française, avec des conséquences culturelles qui dépassent largement les seuls aspects économiques.
« Mais alors, qui ramassera nos poubelles ? » On connaît cet argumentaire commun au patronat macroniste et à la gauche sans-frontiériste, prompts à traiter à demi-mot les Français de feignasses refusant de travailler. À cela on peut répondre qu’il y a beaucoup d’endroits en France, notamment en province, où ce sont les Français qui ramassent les poubelles et travaillent en cuisine. C’est dans les métropoles que l’exil forcé des classes populaires a rendu nécessaire l’importation continue d’une main-d’œuvre étrangère. Seuls les immigrés sont prêts à s’entasser dans des logements insalubres dans les banlieues lointaines, à faire des trajets pendulaires interminables dans des transports incommodes. Est-ce vraiment un idéal à défendre et à étendre indéfiniment ? Les secteurs en tension existent depuis les années 1960, et on a toujours présenté l’immigration comme une manière d’y répondre. Résultat : il y a toujours perpétuellement des secteurs en tension. C’est un cercle vicieux. L’immigration est une drogue pour nos économies occidentales. Peut-être est-il temps de réfléchir à des moyens de se sevrer.
L’immigration de travail sous-qualifie et extra-européenne ne rapporte pas plus à la société qu’elle ne coûte
Il faut se demander si un modèle de société reposant sur la venue continuelle de main-d’œuvre sous-payée et sous-qualifiée est viable sur le long terme. Contrairement à ce qu’avancent certains, l’immigration de travail sous-qualifiée et extra-européenne ne rapporte pas plus à la société qu’elle ne coûte, comme l’ont notamment montré des données du ministère des Finances danois publiées dans The Economist. De plus, la dépendance économique à l’immigration tue l’innovation, comme l’a rappelé le PDG de BlackRock Larry Fink à Davos en janvier dernier, invitant les pays à préférer la robotisation à l’importation d’immigrés. Comme le rappelaient également dans nos colonnes les entrepreneurs Stanislas et Godefroy de Bentzmann, « La seule réponse envisagée est l’immigration. Nous perdons des actifs, allons nous servir ailleurs. C’est une solution de facilité », qui ignore l’immense réservoir que constituent les trois millions de chômeurs que compte notre pays.
Il est effarant de voir la complicité de la gauche urbaine avec le capitalisme le plus effréné. Dans « The Left Case against Open Borders » (« plaidoyer de gauche contre l’ouverture des frontières »), article publié en 2018 dans American Affairs, l’économiste irlandaise Angela Nagle montrait que la libre circulation des travailleurs à l’échelle mondiale profitait avant tout aux grandes entreprises et exerçait une pression à la baisse sur les salaires. Elle défendait le fait que les États-nations étaient essentiels à la préservation de la protection sociale.
Mais, au-delà du simple aspect économique, cette question du lien entre restauration et immigration est d’ordre civilisationnel. Est-il bien moral de faire venir des esclaves du tiers-monde pour pédaler à vélo afin de nous apporter sur le pas de la porte des sushis et des burgers, même si c’est pour applaudir l’un d’entre eux rescapé sur les marches de Cannes ? Nos parents ont survécu sans ce confort et n’en sont pas morts. Il va sans doute falloir accepter de vivre dans un monde où la restauration sera plus chère, mais où elle produira des salaires et des conditions de vie décentes. Il va falloir revaloriser les filières professionnelles que nous avons si longtemps dénigrées. Il va falloir changer de recette. La civilisation ne se brade pas pour un steak-frites au rabais. La gauche Uber Eats devrait le comprendre. ■ EUGÉNIE BASTIÉ
Une bonne façon de tirer les salaires vers le bas. L’immigration clandestine arrange bien certaines corporations. Ce sont elles les véritables pompes aspirantes du flux d’immigrés. Regardons enfin la vérité en face.
Tout ça est vrai. Mais il ne faut pas négliger les avantages divers et variés de notre service social et de santé pour attirer chez nous les flots venus d’Afrique. Ce que nous dépensons pour eux sort de notre poche. Il ne faut pas s’étonner qu’elle soit en train de se vider.