
« Ce système qui connaît bien nos faiblesses, en profite. »
Par Xavier Driencourt.
Commentaire – Cette tribune de Xavier Driencourt, faisant suite à de nombreuses autres depuis des mois, est parue dans Le Figaro du 14 avril. Grand connaisseur de son sujet, diplomate expert et fort sage, Xavier Driencourt nous éclaire ainsi au fil des événements, sur ce qu’il faudrait peut-être se décider à ne plus nommer crise algérienne, tant elle dure et tant, pour qui connaît un peu l’Histoire, elle apparaît consubstantielle, depuis l’indépendance de l’Algérie, des rapports entre les deux États. Quant à nous, nous ne voyons pas l’avenir avec les yeux de Chimène d’Emmanuel Macron, illusionné en cette matière comme en beaucoup d’autres. Et ce pour un faisceau de raisons tout à fait objectives que le temps, passé et présent, n’a pas arrangées mais, au contraire, aggravées. Dans un numéro récent de Politique Magazine Hilaire de Crémiers a publié une analyse titrée : « La troisième guerre d’Algérie est commencée ». Nous craignons que ce soit là, en effet, la vraie perspective. Le réalisme ne rime pas forcément avec relation apaisée.
TRIBUNE – Il y a quelques jours, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avait déclaré, à tort, qu’il fallait « tourner la page » de la crise franco-algérienne. Après l’expulsion de 12 agents de l’ambassade de France à Alger, dernier incident diplomatique en date, il est grand temps que Paris réagisse, insiste l’ancien ambassadeur.
On croyait avoir touché le fond, on pensait un moment la crise entre la France et l’Algérie terminée, enterrée. Monsieur Barrot, ministre des Affaires étrangères, à Alger il y a quelques jours, déclarait qu’il fallait « tourner la page », faire en sorte que « le rideau se lève », revenir à la « feuille de route définie en août 2022 » par les deux présidents de la République pour reprendre ses termes. Quelle erreur, quelle naïveté de notre part ! Sur quoi le rideau devait-il se lever selon le ministre français ? Monsieur Barrot nous avait annoncé trois grands chapitres dans cette nouvelle relation « d’égal à égal » : une coopération sécuritaire au Sahel, une coopération judiciaire, une coopération migratoire. Or, il faut regarder les choses de près.
La coopération sécuritaire d’abord. Aujourd’hui, au moment où le régime algérien est exclu du Sahel, au moment où le Mali rompt avec son ancien parrain algérien, c’est plutôt l’Algérie qui a besoin de la France. À l’époque des opérations « Serval » puis « Barkhane », les militaires algériens ne donnaient déjà aucun renseignement à leurs collègues français, et nous nous en plaignions fortement. Le président Macron, en visite à Alger en décembre 2017 avait déjà demandé au Chef d’État-major algérien, le Général Gaïd Salah, de densifier cette coopération. Hélas, refus de l’Algérie, nous n’avons obtenu que des fournitures d’eau et de pétrole, mais jamais une coopération opérationnelle.
La coopération judiciaire, telle qu’annoncée par le ministre Barrot, était pour le moins étonnante puisqu’elle autorisait, rien de moins, que la venue à Paris de magistrats algériens qui auraient pu consulter les dossiers individuels de personnalités – dont certaines françaises – au Parquet national financier. Soi-disant pour récupérer des biens mal acquis… Concrètement, cette coopération était parfaitement asymétrique puisqu’on connaît les difficultés qu’eut en son temps, le juge Trevidic pour enquêter en Algérie sur l’assassinat des moines de Tibherine et alors même, que cette belle coopération judiciaire interdit à l’avocat français de Boualem Sansal, maître Zimeray, de se rendre à Alger. Curieuse conception de la réciprocité diplomatique.
On se contentait de vouloir améliorer les Accords avec l’Algérie (on imagine dans quel sens) pour une « mobilité plus fluide ». Évidemment, la révision ou l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968, comme de celui sur les passeports diplomatiques, n’étaient plus à l’ordre du jour.
Enfin, s’agissant de la coopération migratoire, elle ne mentionnait ni les OQTF ni les laissez-passer consulaires, ni les 35 000 Algériens – contrôlés – et en situation irrégulière selon les chiffres de Didier Leschi, directeur général de l’Office français d’immigration. On se contentait de vouloir améliorer les Accords avec l’Algérie (on imagine dans quel sens) pour une « mobilité plus fluide ». Évidemment, la révision ou l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968, comme de celui sur les passeports diplomatiques, n’étaient plus à l’ordre du jour.
Retour à la case départ
Tout ceci semble évidemment passer désormais à la trappe avec le dernier épisode de la crise franco-algérienne. Celle-ci n’est jamais à l’abri du moindre fait divers qui peut dégénérer et enflammer cette relation. C’est exactement où nous en sommes, huit jours après avoir célébré la « clairvoyance » du chef de l’État algérien et la nouvelle étape de la coopération.
Le tout dernier fait divers, c’est l’arrestation à Paris d’un agent du consulat algérien de Créteil impliqué dans l’enlèvement et l’arrestation d’un opposant algérien bien connu, l’influenceur, Amir Boukhors dit « Amir Dz ». Que l’Algérie opère directement sur le territoire français est un événement gravissime. Non seulement l’intéressé est un diplomate algérien, muni d’un passeport diplomatique ou plus probablement d’un passeport de service, mais il utilise les privilèges accordés par les Conventions de Vienne sur les relations diplomatiques et consulaires pour opérer sur le sol français. Comme d’habitude, le « système algérien » proteste de sa bonne foi et, la meilleure défense étant l’attaque, convoque une nouvelle fois notre ambassadeur à Alger pour obtenir des explications, publie un communiqué comme on les aime à Alger, et enfin, pour montrer que tout cela est sérieux, décidé de l’expulsion de 12 agents de l’ambassade de France à Alger. Plus précisément, 12 agents des deux services dépendant du ministère de l’Intérieur, (Service de coopération internationale et service de la DGSI), histoire de viser le ministre d’État, Monsieur Retailleau qui d’ailleurs se trouve au Maroc…
Bref, retour à la case départ. La France ne peut que réagir et procéder à un geste de réciprocité, en fermant un ou plusieurs consulats, par exemple Strasbourg, celui qui a refusé de délivrer le laissez-passer consulaire à quatorze reprises, et Créteil d’où est issu le fonctionnaire algérien qui a arrêté Amir Boukhors. La réciprocité est la base de la vie internationale, elle régit, avec le Protocole, la vie des États. Toutes ces règles ont été fixées par l’histoire, la tradition, les conférences internationales, puis codifiées. Comme Alger a pu remarquer que depuis huit mois Paris ne réagissait en rien, ce système qui connaît bien nos faiblesses, en profite. Il est temps de réagir. ■ XAVIER DRIENCOURT
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« Coopération sécuritaire au Sahel » ? Mais qu’est-ve qu’on en a à foutre ? Qu’il se bouffent entre eux et qu’il n’es reste rien.
Fuyons l’Afrique !
Aucune relation avec l’Algérie et le problème sera résolu une bonne fois pour toute.
Qu’est ce que c’est que cette relation « d’égal à égal » avec ce pays .
Les « accords de 68 »: ne plus les appliquer pour caducité, tout simplement.
Bien entendu, de bonnes âmes font la distinction entre la population algérienne et le régime , cela pourrait s’appliquer à Cuba, à la Corée du Nord et cetera.
L’histoire commune ? Chacun voit midi devant sa porte .