
Par Christophe Dickès.
« Alors que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient été les papes de l’identité de l’Église, redonnant une fierté aux catholiques dans un monde occidental déchristianisé qui ne leur épargne rien, le pape François demandait à l’Église de se corriger créant de facto des attentes démesurées sur sa gauche et des craintes sur sa droite. D’où l’idée d’une insatisfaction latente tout au long du règne. »
Cette tribune d’un auteur qui a consacré de nombreux travaux et publié plusieurs ouvrages très documentés sur les sujets religieux, est parue dans Le Figaro de ce matin (22.04.2025). Dans l’ordre politique où le pape François n’a pas craint d’intervenir continument pour imposer sa marque, Christophe Dickès nous paraît avoir raison de signaler combien « les élections de Donald Trump, de Giorgia Meloni, de Viktor Orban ou encore de Javier Milei« révèlent « le fossé entre les conceptions politiques du pape, notamment en matière de migrations« , et la « réalité du résultat des urnes. » Est-ce un signe ? La dernière haute personnalité politique que le Souverain Pontife ait reçu, à la toute dernière extrémité de sa vie, a été J.D. Vance, catholique étatsunien, dont il savait l’opposition ouverte à sa politique.
FIGAROVOX/TRIBUNE – Décédé ce lundi 21 avril au petit matin, le pape argentin s’est inscrit en rupture vis-à-vis de ses prédécesseurs, analyse l’historien.
*Auteur de nombreux ouvrages, Christophe Dickès a récemment publié Pour l’Église. Ce que le monde lui doit (Perrin, 2024) et Notre-Dame de Paris. Pages d’histoire (Salvator, 2024).
En prenant le nom de François le 13 mars 2013, le cardinal Jorge Bergoglio révélait au monde sa volonté de recentrer l’Église dans sa mission évangélique et sociale en marchant dans les pas du povorello d’Assise. Assez rapidement, le monde médiatique en fit un pape révolutionnaire quand, dans la longue histoire de l’Église, on préfère utiliser le terme de réformes.
En effet, le cardinal Bergoglio a d’abord été élu par le conclave afin de réformer la curie qui, depuis plusieurs décennies, était gangrenée par divers scandales financiers et luttes de pouvoir. Benoît XVI, son prédécesseur, avait entrepris un travail dans ce sens mais la tâche était trop titanesque pour celui qui, las, renonça à sa charge. À son tour, le pape François mit du temps afin de mener à bien la tâche. Il s’agissait tout d’abord de nettoyer les écuries d’Augias de la fameuse banque du Vatican, ce qui fut fait non sans risques. En effet, dès les premiers mois du pontificat, un procureur révéla les menaces de la mafia qui pesaient sur l’homme en blanc.
Toute autre était la question de la réforme structurelle de la curie. Le pape opéra sur ce sujet une véritable rupture en vidant de sa substance le pouvoir de son secrétaire d’État – équivalent de notre premier ministre – au profit même du pouvoir pontifical. Autrement dit, il retira à son secrétaire d’État le pouvoir financier en créant un secrétariat pour l’Économie dépendant directement du pouvoir pontifical.
Une œuvre réformatrice
La nouvelle Constitution apostolique sur la curie romaine, Praedicate evangelium, promulguée en 2022, donna aussi une structure plus missionnaire à la curie. Il s’agissait pour cette dernière d’être au service des Églises particulières. En somme, de mettre fin à la centralisation romaine. Un des symboles forts de cette réforme fut la relégation au second plan de la Congrégation pour la doctrine de la foi, au profit du dicastère pour l’Évangélisation. Ce qui fut, là aussi, une rupture : il s’agissait de mettre l’accent sur la mission de l’Église plutôt que sur le contrôle doctrinal, de passer d’une « autorité-pouvoir » à une « autorité-service » d’inspiration jésuite.
De manière générale, le pontificat de François a voulu lutter contre le cléricalisme, un terme qui devint très vite dans l’Église un mot-valise aux contours incertains. C’est au nom de la lutte contre le cléricalisme que le pape a promu la synodalité dans l’Église. De fait, l’œuvre réformatrice du pape François se distingue avant tout par cette volonté de renverser le vieux schéma grégorien d’une Église pyramidale même si, paradoxalement et de l’avis de l’ensemble des connaisseurs du Vatican, le pape François était un homme autoritaire qui acceptait fort peu la contradiction.
L’avenir dira si sa volonté de revoir la constitution hiérarchique de l’Église par le biais de la synodalité et de la collégialité s’imposera
Le problème est que cette volonté de changement alla de pair avec un sentiment de culpabilité entretenu au sein même de l’institution et qu’un éditorialiste parisien traduisit par ce titre choc : « François, le pape anticlérical ». Alors que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient été les papes de l’identité de l’Église, redonnant une fierté aux catholiques dans un monde occidental déchristianisé qui ne leur épargne rien, le pape François demandait à l’Église de se corriger créant de facto des attentes démesurées sur sa gauche et des craintes sur sa droite. D’où l’idée d’une insatisfaction latente tout au long du règne.
Un entourage progressiste
À cet égard, le synode sur la famille des années 2014-2015 révéla l’importance de l’entourage progressiste du souverain pontife, entourage qui n’a cessé d’agir afin d’imposer un agenda en rupture avec les deux pontificats précédents. Ce programme atteignit son acmé avec la fin de la libéralisation de la messe en latin (motu proprio Traditionis custodes, 2021) et, surtout, la déclaration Fiducia supplicans (18 décembre 2023) sur la bénédiction des couples homosexuels, publiée par le dicastère pour la Doctrine de la foi.
Ce dernier texte créa une crise d’une ampleur inédite, posant la question de l’universalité du message évangélique. Comment en effet, peut-on accepter une pratique dans un diocèse allemand ou belge et la refuser dans un diocèse breton ou polonais ? En outre, la crise révélait au grand jour les oppositions protéiformes qui s’étaient exprimées à bas bruit tout au long du pontificat. Tout d’abord au sein même du Vatican, puisque le fossé entre le pape et la curie était réel, puis dans plusieurs pays.
Les catholiques polonais ont ainsi reproché à Rome de mettre sous le boisseau l’héritage de « leur » pape Jean-Paul II. De leur côté, les catholiques chinois persécutés ont vu comme une forme de trahison la signature d’un accord entre le Vatican et les autorités communistes en 2018. Quant aux catholiques américains, ils n’ont guère accepté les critiques du pape François contre le libéralisme. Les prises de position en faveur de l’homosexualité ont aussi suscité des réserves en Asie (la sexualité y est une question privée ou taboue), voire une franche opposition comme sur l’ensemble du continent africain. Enfin, les élections de Donald Trump, de Giorgia Meloni, de Viktor Orban ou encore de Javier Milei révélaient le fossé entre les conceptions politiques du pape, notamment en matière de migrations, et la dure réalité du résultat des urnes.
Ranimer l’esprit réformateur
Quant à l’Europe, elle est apparue comme l’angle mort du pontificat. Même si son soutien aux institutions européennes n’a pas fait débat, le pape estimait que l’Église était par trop « eurocentrique ». Ses déclarations, tout comme l’ensemble de sa politique, révélaient au grand jour le basculement d’une Église globale vers le sud, sur fond de ressentiments entretenus contre l’Occident. Ce rejet s’est exprimé par sa volonté de ne visiter que des pays situés aux périphéries du monde (Centrafrique, Paraguay, Albanie, etc.) au détriment des grandes nations. Sa politique étrangère tournée vers la Russie, la Chine et l’islam ajouta à l’incompréhension et suscita bien des oppositions.
Que restera-t-il donc des réformes du pape François ? L’avenir dira si sa volonté de revoir la constitution hiérarchique de l’Église par le biais de la synodalité et de la collégialité s’imposera. Par cette réforme, le pape a voulu ranimer l’esprit réformateur du concile Vatican II : celle d’une Église en marche. Étonnamment, le pape argentin en a fait un concile de rupture quand son prédécesseur a souhaité inscrire l’événement dans la continuité de la tradition de l’Église. En agissant de la sorte, François prit le risque de rouvrir un débat épineux que l’Église avait eu tant de peine à refermer. ■ CHISTOPHE DICKÈS
Signalons aux lecteurs de JSF que Christophe Dickès est aussi l’auteur de deux livres importants sur Jacques Bainville :
- Jacques Bainville, l’Europe d’entre deux-guerres, Godefroy de Bouillon, 1995.
- Jacques Bainville – Les lois de la politique étrangère, Bernard Giovanangeli Éditeur, 2008 ; 2e édition revue et corrigée chez L’Artilleur, 512 p., 2021.