Par François Schwerer.
Il n’est ici question ni de religion ni de politique ou d’économie, mais d’histoire de la Marine française, en particulier dans le cours de la Grande Guerre. Il ne s’agit pas davantage d’une histoire exhaustive de la Marine française dans cette guerre, mais plutôt d’évocations de personnalités d’exception, d’épisodes, qui ont marqué le cours des événements. C’est-là un domaine malheureusement peu connu. D’où justement l’intérêt d’en traiter : pour nombre d’entre nous, ce sera une découverte. François Schwerer* a préparé et mis à jour, pour les lecteurs de Je Suis Français, une série de textes rédigés par ses soins. Nous les publions sous forme de suite, au fil des jours de cet été. Bonne lecture !
En 1914, dès le début de la guerre, l’armée autrichienne qui s’était ruée sur la Serbie, avait essuyé une série de trois revers aux batailles de Cer, de la Drina et de Kolubara.
Fin août l’armée serbe avait même réussi à couper en deux l’armée autrichienne à la bataille du Tsar et lancé une contre-offensive qui l’avait menée jusqu’aux abords de Sarajevo. Depuis lors, les Autrichiens cherchaient l’occasion de laver cet affront.
Les Allemands cherchaient, pour leur part à relier par voie ferrée Berlin à Istanbul et, pour cela, visaient à faire basculer la Bulgarie dans le camp des Empires centraux. Le roi Ferdinand 1er de Bulgarie de son côté, quoique très favorable aux Russes donc à l’Entente et fort opposé à l’Empire ottoman, se méfiait encore plus des projets du roi Pierre 1er de Serbie [Photo] dont les ambitions sur la Macédoine et le rêve d’unifier tous les Slaves du sud (Yougo-Slaves) sous une seule bannière, étaient connus de tous.
Pour ajouter aux difficultés, à la suite d’un différent avec son ministre de l’Intérieur, Stojan Protic, le roi Pierre 1er avait abdiqué le 29 juin 1914 et son fils, le prince héritier, Alexandre, avait été nommé régent du Royaume dont l’homme fort était en fait le général Radomir Poutnik.
C’est, en profitant de cette situation que le général Von Falkenhayn décida un an plus tard, au début du mois d’octobre 1915, de lancer une grande offensive contre la Serbie. Il mit donc à la disposition de l’armée bulgare onze divisions d’infanterie sous les ordres du général Mackensen et c’est ainsi que trois armées germano-austro-bulgares envahirent simultanément la petite Serbie. Celle-ci aurait dû pouvoir compter sur l’aide de la Grèce puisque les deux pays étaient liés, depuis 1913, par un traité en vertu duquel celle-ci devait intervenir en cas d’invasion de la Serbie par les Bulgares. Mais, le roi Constantin 1er était le beau-frère de l’empereur d’Allemagne et croyait en la victoire finale de ce dernier. L’opinion du peuple grec, quant à elle, était terriblement divisée.
En fait, la situation générale était encore plus compliquée du fait de diverses promesses incompatibles. Depuis son entrée en guerre aux côtés des membres de l’Entente, la marine italienne avait le commandement de la flotte alliée en Adriatique. Or l’Italie considérait la Serbie comme pouvant devenir une rivale compte tenu de ses propres visées sur la côte orientale de cette mer. C’est pourquoi, avant même d’entrer officiellement en guerre, les Italiens avaient pris pied à Valona (Vlorë) – ancienne capitale de l’Albanie indépendante – dès le 29 décembre 1914. De plus, dans le cadre d’un traité secret signé à Londres le 26 avril 1915, pour les décider à entrer en guerre, les Alliés leur avaient promis, après la victoire, de les laisser s’installer dans le Trentin et le Tyrol du Sud ainsi que de mettre la main sur une province dalmate allant jusqu’à Raguse (aujourd’hui Dubrovnic) et Cattaro (Kotor). Pour ne rien arranger, dans la deuxième moitié de 1915, Aristide Briand avait promis aux Serbes, pour qu’ils continuent la guerre, de les autoriser à annexer la Croatie en cas de victoire des Alliés, plus le port de Fiume, la côte Monténégrine, avec Antivari (Bar) et le port de Spoleto (Split) !
Ce sont les défaites russes de 1915 et l’échec de l’expédition franco-anglaise aux Dardanelles qui décidèrent finalement de l’engagement des Bulgares aux côtés des Empires centraux. Le 6 septembre 1915 fut signé l’accord avec les Puissances centrales qui, à l’issue du conflit, garantissait à la Bulgarie la récupération de la Macédoine serbe jusqu’au cours de la Morava, dans le but de permettre la restauration de la Grande Bulgarie.
Le 5 octobre 1915, la Bulgarie déclara donc la guerre à la Serbie qui dut désormais faire face aux forces austro-allemandes, sous le commandement unique du général August Von Mackensen, au nord et à l’ouest, et aux forces bulgares à l’est. Ainsi attaquée de trois côtés à la fois par des forces d’une supériorité numérique écrasante, la petite armée serbe, réduite par l’épidémie de typhus qui s’était déclarée à la suite de la campagne de 1914, allait se couvrir de gloire dans sa résistance désespérée ; mais elle n’eut bientôt plus d’autre ressource que de se dégager en se repliant vers l’Adriatique.
Il faut avouer que, parmi les Alliés, bien peu se préoccupaient vraiment de la Serbie. Dans ses Mémoires, Lloyd George avouera après la guerre : « En 1915, nous avons été avertis à temps que les Allemands avaient l’intention d’anéantir la Serbie, en coopérant avec les Bulgares. Malgré cela, quand l’attaque se produisit, nous n’avions pas acheté même un mulet pour venir en aide aux Serbes par Salonique »[1].
Bousculé par les germano-austro-bulgares, et puisque la Grèce interdisait tout passage à son armée, le général Radomir Poutnik donna l’ordre de se replier vers l’Albanie. Il envisageait alors de gagner Durazzo (Durès) et de là rejoindre Corfou pour y réorganiser son armée. Mais Durazzo n’avait qu’une « méchante rade foraine », ouverte à tous les vents et ne pouvait accueillir que des bateaux ayant un faible tirant d’eau. La ville avait surtout le principal défaut d’être située trop près du port autrichien de Cattaro. Quoi qu’il en soit, pour rallier les ports de la côte où les bateaux alliés pourraient venir les attendre, les Serbes devaient encore fuir à travers les montagnes albanaise et monténégrine fortement enneigées. « Véritable chemin de croix qui laissa un souvenir durable dans la mémoire collective serbe : le vieux roi Pierre, malade dans un char à banc traîné par des bœufs, le gouvernement, l’état-major, les troupes et de nombreux civils avec femmes et enfants, moines et prêtres portant la châsse du roi Etienne 1er, les débris de tout un peuple à travers d’arides montagnes, en plein hiver, sans autres armes que des fusils, sans ravitaillement, au milieu d’une population albanaise qui n’avait pas oublié les exactions serbes de l’année précédente »[2], puisque la seconde guerre balkanique de 1912 avait laissé des traces dans toutes les mémoires.
Selon le plan adopté, l’armée serbe devait être ravitaillée par les Alliés et cette opération avait été confiée à la marine italienne. Mais l’armée serbe avait perdu 200 000 hommes (100 000 tués ou blessés et 100 000 prisonniers) et l’Italie proclamait haut et fort qu’« on ne ressuscite pas un cadavre » ! L’opération de ravitaillement tourna au désastre si bien qu’à partir de ce moment-là la ration quotidienne des réfugiés fut réduite à une galette de maïs de 200 g par personne et par jour. (Histoire • Marine française…. À suivre, demain lundi) ■
* Articles précédents …
■ Marine française : Amiral Pierre-Alexis Ronarc’h [1] [2] [3]
■ Marine française : Amiral Marie Jean Lucien Lacaze (1860 – 1955) [1] [2]
■ Marine française : En 1915, les canonnières fluviales aux Faux de Verzy
■ Marine française. En mer de Chine : à l’école de l’Amiral Courbet [1] [2] [3] [4] [5]
■ Marine française. En baie d’Along : En mission à « Ouai Chao »