Par François Schwerer.
Il n’est ici question ni de religion ni de politique ou d’économie, mais d’histoire de la Marine française, en particulier dans le cours de la Grande Guerre. Il ne s’agit pas davantage d’une histoire exhaustive de la Marine française dans cette guerre, mais plutôt d’évocations de personnalités d’exception, d’épisodes, qui ont marqué le cours des événements. C’est-là un domaine malheureusement peu connu. D’où justement l’intérêt d’en traiter : pour nombre d’entre nous, ce sera une découverte. François Schwerer* a préparé et mis à jour, pour les lecteurs de Je Suis Français, une série de textes rédigés par ses soins. Nous les publions sous forme de suite, au fil des jours de cet été. Bonne lecture !
Dès le 9 janvier 1916, l’amiral Chocheprat avait réuni pour assurer le succès de la mission et mis à la disposition de la 1ère escadre légère, les croiseurs Edgar-Quinet, Waldeck-Rousseau, Ernest-Renan, Jules-Ferry, Lavoisier et d’Estrées auxquels il avait joint une flottille de torpilleurs et de chalutiers.
Pour la petite histoire, la résidence à Corfou que l’Empereur Guillaume II avait achetée quelques années plus tôt à l’impératrice Elisabeth d’Autriche (Sissi), l’Achilleion, fut l’un des premiers bâtiments que fit occuper « l’homme de Corfou », pour le transformer en hôpital.
« Les civils furent dirigés sur l’Algérie ou Marseille, ceux munis de ressources suffisantes ayant obtenu l’autorisation de séjourner en Italie. Mais les typhiques et les cholériques, personne n’en voulait, et ce furent nos hôpitaux de Bizerte qui en héritèrent. Un certain nombre d’entre eux avaient été amenés à Brindisi, où tout le monde les refusait. Ce que voyant, le chalutier français Verdon, commandé par le lieutenant de vaisseau d’Aubarède, se dévoua pour les emmener à Corfou. Et c’est peut-être un des plus beaux épisodes à l’actif de nos marins, car il y a peu de morts aussi hideuses que celle à laquelle ils s’exposaient en venant prendre dans leurs bras de pauvres êtres atteints d’un mal essentiellement contagieux, et par-dessus le marché tellement sales et couverts de vermine qu’ils faisaient horreur à tous. Avec des précautions et des égards comme des frères n’en ont pas toujours, les uns pour les autres, ces presque cadavres furent conduits dans des ambulances improvisées »[1].
Le 13 février 1916, le prince régent Alexandre de Serbie confiait à l’envoyé de l’Illustration, Robert Vaucher : « Si les circonstances me le permettent, dès que la première période de la réorganisation de l’armée sera terminée, j’espère partir pour Paris afin de rendre visite au président Poincaré et au généralissime Joffre. Vous savez ce qu’est la France pour nous actuellement. C’est d’elle, et de ses alliés, que nous attendons tout et je sens la nécessité de conférer longuement avec le chef de vos armées. Puisqu’il s’agit d’une nouvelle guerre balkanique à entreprendre, notre expérience des choses des Balkans pourra être utile au conseil des alliés. On a trop ignoré ce qu’était véritablement la situation dans la Péninsule, combien l’Autriche exerçait sur nous une tyrannie de tous les instants et quelle était la félonie bulgare. Il importe que, dans la nouvelle campagne, les erreurs du passé ne se renouvellent pas ».
Dans cette affaire, le rôle de la Marine française a surtout été remarquable lors du transport de l’Armée serbe réorganisée de Corfou à Salonique. [Photo : Compte-rendu des opérations des 10 et 11 février 1916 au ministère]. Au début, le Gouvernement français avait pensé transporter les soldats serbes de Corfou à Patras qui, de là, auraient gagné Salonique par voie ferrée. Mais le Gouvernement grec ne donna pas son autorisation pour la traversée de son territoire. Il fallut donc monter un transport par voie maritime de Corfou jusqu’à Salonique. Ce transport fut essentiellement conçu par le capitaine de vaisseau de Cacqueray et le chef d’Etat-major de l’amiral de Gueydon, le CV Vandier – qui plaidera plus tard auprès des Anglais l’organisation des convois pour faire échec à la guerre sous-marine allemande. Le dispositif qu’ils adoptèrent pour sécuriser un transport dans des eaux où les innombrables îles pouvaient servir de refuge aux sous-marins ennemis, était articulé autour de deux mesures principales : un « patrouillage » incessant par des chalutiers des routes que devaient suivre les transports ; et une réalisation des transports par convois escortés de torpilleurs. Entre Corfou et Salonique, la surveillance de la mer était divisée en cinq zones dont quatre sous commandement français et une sous commandement britannique, ce qui nécessitait une coordination permanente entre les deux marines. « Les heures de sortie des convois de Corfou étaient réglées, de façon qu’étant donnée la vitesse connue des bâtiments, on pût calculer, à peu près exactement, le moment de leur entrée dans les zones successives de protection. Deux sorties de jour étaient prévues : le matin à 5 heures pour les convois de 14 nœuds et au-dessus ; le soir à 17 heures pour ceux de moins de 13 nœuds »[2]. (À suivre, demain mercredi) ■
* Articles précédents …
■ Marine française : Amiral Pierre-Alexis Ronarc’h [1] [2] [3]
■ Marine française : Amiral Marie Jean Lucien Lacaze (1860 – 1955) [1] [2]
■ Marine française : En 1915, les canonnières fluviales aux Faux de Verzy
■ Marine française. En mer de Chine : à l’école de l’Amiral Courbet [1] [2] [3] [4] [5]
■ Marine française. En baie d’Along : En mission à « Ouai Chao »