Lundi dernier (10.08), après l’annonce quelques jours plus tôt – à la stupéfaction universelle – de l’exil forcé du roi Juan-Carlos, nous avons tenté de distinguer, dans la situation réelle de l’Espagne, ce qui était important de ce qui l’était moins, ce qui tenait d’un contexte profond et grave et ce qui tenait de l’écume des passions ordinaires de l’opinion ou simplement des journalistes. Tenons-nous en – en trois points principaux – au contexte profond et grave auquel l’Espagne est confrontée : 1. Son ingouvernabilité relative du fait de l’absence devenue chronique de majorité parlementaire solide et cohérente, qui oblige les partis naguère dominants (Parti Populaire, PSOE) à des alliances des plus néfastes (notamment avec les partis indépendantistes) ; 2. L’émergence progressive d’un néo-républicanisme latent, plus ou moins avoué, des forces de gauche et d’extrême-gauche, décidées à prendre en quelque manière leur revanche sur la victoire nationaliste de 1939 et, pour cela, à faire resurgir les fantômes et les querelles, jusque là sagement enterrées, de la guerre civile, au risque de fracturer de nouveau le pays : 3. enfin les séparatismes ou plutôt les indépendantismes basque et catalan qui pourraient faire éclater l’Espagne et aboutir à la proclamation de républiques dissidentes qui – Portugal excepté – plongeraient la Péninsule dans le chaos et les puissances européennes dans l’extrême embarras. Seul fait discordant : au plus fort de la crise catalane de 2017, le roi Felipe a donné un puissant coup d’arrêt à ce processus de destruction. Celui-là même que la (fausse) Droite espagnole alors au pouvoir (Parti Populaire) avait été incapable de donner En même temps qu’il lançait un signal fort aux partisans de l’unité espagnole, au patriotisme populaire, encouragé, remobilisé, manifestant aussitôt à travers tout le pays, sous toutes les formes possibles. Ce coup d’arrêt, ce signal fort, le roi Felipe les a donnés le 3 octobre 2017 par le discours très ferme que nous reprenons ici. Les puristes et les doctrinaires de notre école de pensée trouveront – à juste raison – que ce discours comporte trop de références à la démocratie, à la Constitution, à l’État de Droit, pas assez à l’Espagne historique et pérenne. Nous aurions pu, nous aussi, penser cela. À la réflexion, il nous paraît pourtant clair que ni le roi d’Espagne ni ceux qui se battent actuellement en défense de l’Espagne, ne font oeuvre doctrinale. Ils mènent un combat – par tous les moyens même légaux – d’opposition frontale à des menaces graves et de court ou moyen-terme pesant sur leur pays. Ni le cher Carlisme, ni l’autre héritier de la dynastie libérale, le prince Louis-Alphonse de Bourbon, n’ont de poids substantiel dans cet affrontement national. Le dernier rempart, le mur ultime, contre un effondrement de l’Espagne, c’est aujourd’hui de facto le roi régnant, le roi Felipe VI. Dernière question : le dossier espagnol a-t-il à voir avec les intérêts de la France ? Nous concerne-t-il ? Concerne-t-il l’Europe de la culture et de la civilisation, la seule qui tienne ? La réponse nous paraît être dans la question. Nous n’en traiterons pas ici.
À lire …
Felipe VI, est désormais le mur contre l’éclatement de l’Espagne
Discours du roi Philippe VI d’Espagne le 3 octobre 2017 au soir
Bonsoir !
Nous sommes en train de vivre des moments très graves pour notre vie démocratique. Et dans ces circonstances, je veux m’adresser directement à tous les Espagnols. Nous avons tous été témoins des faits qui se sont produits en Catalogne avec la prétention finale de la Generalitat que soit proclamée – illégalement – l’indépendance de la Catalogne.
Depuis déjà un certain temps, différentes autorités de Catalogne, d’une manière réitérée, consciente et délibérée, en sont venues à violer la Constitution et le statut d’autonomie de la Catalogne, qui est la loi qui reconnaît, protège et défend ses institutions historiques et son auto- gouvernement.
Par leurs décisions ces autorités ont porté atteinte de manière systématique aux règles approuvées légalement et légitimement, faisant preuve d’une déloyauté inadmissible envers les pouvoirs de l’État. Un État que précisément ces autorités représentent en Catalogne.
Elles ont violé les principes démocratiques de tout État de Droit et elles ont mis à mal l’harmonie et la convivialité à l’intérieur de la société catalane elle-même, arrivant malheureusement à la diviser. Aujourd’hui, la société catalane est fracturée et dans l’affrontement interne.
Ces autorités ont dévalorisé l’affection et les sentiments de solidarité qui ont uni et uniront l’ensemble des Espagnols, et par leur conduite irresponsable ils peuvent même mettre en péril la stabilité économique et sociale de toute l’Espagne.
En définitive, tout cela a consisté en la culmination d’une tentative inacceptable d’appropriation des institutions historiques de la Catalogne. Ces autorités de manière claire et décidée se sont rangées totalement en marge du droit et de la démocratie. Elles ont prétendu briser l’unité de l’Espagne et la souveraineté nationale qui est le droit de tous les Espagnols a décider démocratiquement de leur vie en commun. Pour toutes ces raisons et devant cette situation d’extrême gravité qui requiert le ferme engagement de tous envers les intérêts généraux, il est de la responsabilité des pouvoirs légitimes de l’État d’assurer l’ordre constitutionnel et le fonctionnement normal des institutions, la pérennité de l’État de Droit et l’auto-gouvernement de la Catalogne basé sur la constitution et sur son statut d’autonomie.
Aujourd’hui je veux en plus transmettre différents messages à tous les Espagnols, particulièrement aux Catalans.
Aux citoyens de Catalogne – à tous – Je veux redire que depuis des décennies nous vivons dans un État démocratique qui offre les voies constitutionnelles pour que n’importe quelle personne puisse défendre ses idées dans le respect de la loi. Parce que, comme nous le savons tous, sans ce respect, il n’y a de convivialité démocratique possible, en paix et liberté, ni en Catalogne, ni dans le reste de l’Espagne, ni en aucun lieu du monde. Dans une Espagne constitutionnelle et démocratique l’on sait bien que l’on a un espace de concorde et de rencontre avec tous nos concitoyens.
Je sais très bien qu’en Catalogne aussi il y a une grande préoccupation et une grande inquiétude face à la conduite des autorités de la communauté autonome. À ceux qui le ressentent ainsi, je dis qu’ils ne sont pas seuls et ne le seront pas, qu’ils ont tout l’appui et toute la solidarité du reste des Espagnols et la garantie absolue de notre État de droit de défense de leurs libertés et de leurs droits.
Et à l’ensemble des Espagnols qui vivent dans la désapprobation et la tristesse ces événements, je transmets un message de tranquillité, de confiance et aussi d’espérance.
Ce sont des moments difficiles. Mais nous les surmonterons. parce que nous croyons en notre pays et nous nous sentons orgueilleux de ce que nous sommes. Parce que nos principes démocratiques sont forts, sont solides. Et ils le sont parce qu’ils sont basé sur le désir de millions et 2 millions d’espagnol de vivre ensemble en paix et en liberté. Ainsi nous avons construit peu à peu l’Espagne des dernières décennies. Et ainsi nous devons continuer ce chemin avec sérénité et avec détermination. Sur ce chemin dans cette Espagne meilleur que nous désirons tous il y aura aussi la Catalogne.
Je termine maintenant ces paroles adressées à tout le peuple espagnol Pour souligner une fois de plus l’attachement de la Couronne envers la Constitution et la démocratie, mon engagement pour la bonne entente et la Concorde entre Espagnols et mon engagement en tant que Roi pour l’unité et la pérennité de l’Espagne. ■