Par François Schwerer.
Il n’est ici question ni de religion ni de politique ou d’économie, mais d’histoire de la Marine française, en particulier dans le cours de la Grande Guerre. Il ne s’agit pas davantage d’une histoire exhaustive de la Marine française dans cette guerre, mais plutôt d’évocations de personnalités d’exception, d’épisodes, qui ont marqué le cours des événements. C’est-là un domaine malheureusement peu connu. D’où justement l’intérêt d’en traiter : pour nombre d’entre nous, ce sera une découverte. François Schwerer* a préparé et mis à jour, pour les lecteurs de Je Suis Français, une série de textes rédigés par ses soins. Nous les publions sous forme de suite, au fil des jours de cet été. Bonne lecture !
Au 1er janvier 1914, il commande les défenses maritimes du front de mer à Brest, auprès de l’amiral Guépratte. A côté de cela, il est subsidiairement chargé du désarmement du cuirassé Carnot dont les canons et les projecteurs seront – à son initiative ? – confiés aux canonniers marins dès le début de la guerre, pour renforcer l’artillerie lourde de l’armée de terre.
En septembre 1914, il est appelé par le Général Gallieni (qui ne l’a pas oublié depuis la campagne de Madagascar) pour le seconder dans la Défense de Paris. Il deviendra alors, pour les journalistes de l’époque, « la Vigie noire de Paris ». Il y révèle pleinement son caractère travailleur infatigable et inventif : « postes d’alerte, transmissions téléphoniques, abris, ballons captifs, canons fixes et mobiles, puissants projecteurs sur camion, mitrailleurs partout, il ne va cesser d’améliorer le dispositif »[1]. Il utilise tous les moyens possibles avec un maximum d’imagination pour une efficacité totale. Par exemple, les projecteurs ne lui servent pas qu’à éclairer les cibles aériennes (les avions bombardiers allemands) mais aussi à éblouir les pilotes ennemis ou à les leurrer en faisant croire aux lumières d’une fausse ville.
En juillet 1915, il succède au capitaine de vaisseau Prère comme Directeur du Service d’aviation maritime du camp retranché de la capitale (et s’installe avec son état-major auprès du Gouverneur militaire de Paris dans les locaux du lycée Duruy). Malgré la confiance de ses supérieurs, il est encore victime de certaines préventions ainsi qu’en témoigne le commandant Pierret, chef du 3ème bureau du gouvernement militaire : « On est plutôt surpris de voir ce noir pourvu de cinq galons et officier de la Légion d’Honneur ; il paraît qu’il est très intelligent ; c’est un ancien polytechnicien ». Mais très vite, il va montrer ses capacités militaires, ses immenses qualités d’organisateur et sa puissance de travail qui feront de lui l’un des principaux artisans du sauvetage de Paris pendant la guerre. Atteint par la limité d’âge, il est versé dans le cadre de réserve le 7 mars 1917, mais le général Maunoury, qui a succédé au général Gallieni[2], demande à le conserver auprès de lui tellement il le trouve indispensable.
Painlevé (Photo) approuve cette demande et Camille Mortenol est nommé colonel d’artillerie de réserve dans l’Armée de terre afin de pouvoir être maintenu dans son poste[3].
A la fin de la guerre, il aura sous ses ordres 10 000 hommes et disposera de 200 canons et 65 projecteurs et, grâce à son action, Paris n’aura pas eu à souffrir des bombardements aériens que l’Allemagne avait voulu lui infliger. Il quitte le service actif le 15 mai 1919. Le 16 juin 1920 il est élevé au rang de commandeur de la Légion d’Honneur avec comme citation : « Officier supérieur du plus grand mérite, à son poste jour et nuit pour veiller sur Paris, assure ses fonctions avec un rare dévouement et une compétence éclairée ». Cette décoration lui sera remise au cours d’une prise d’armes solennelle dans la cour d’honneur des Invalides en octobre 1921.
A la retraite, installé à Paris, il s’engage dans l’association France-colonies pour se mettre au service notamment des Guadeloupéens. Il publie quelques articles dont un qui, en mars 1922, tire un bilan lucide de la Guerre – et de la fausse paix qui a suivi – pour la Revue Colonies et Marine. « La flotte française est sortie très affaiblie de cette guerre où elle a perdu cent soixante-douze bâtiments de tout rang dont seize cuirassés, croiseurs ou croiseurs auxiliaires, ainsi la marine française comme nombre d’unités de combat, prend rang bien loin après les marines des Etats-Unis et du Japon, nées toutes deux, elles aussi, d’hier. La France va-t-elle renoncer à jouer un rôle sur mer et disparaître en tant que puissance navale ? Or, la dernière guerre n’a pas tué la guerre. Le Reich n’admet pas sa défaite et déjà prépare la revanche ; d’ailleurs le traité de paix lui laisse le droit de se constituer une marine de guerre et il entend bien en user. Ce qui s’est passé après Iéna doit servir de leçon, et qui sait quelles surprises réserve le jeu des alliances, toujours dominé par la connexité des intérêts ? Dans une période encore troublée pour longtemps, en présence d’une Allemagne avide de revanche, la France ne peut se désintéresser de l’avenir de ses forces navales ; quoi qu’il advienne, une marine puissante lui est nécessaire pour sa sécurité. Les avions verront encore grandir leur rôle par l’attaque méthodique des grands bâtiments de surface. Il convient donc de munir largement la marine de ces précieux appareils. Enfin, il est indispensable qu’une organisation défensive rationnelle des colonies et des bases navales que le pays juge nécessaire d’entretenir, soit réalisée d’abord avec les autres départements ministériels intéressés. On doit y arriver si on utilise complètement les ressources des colonies. Certaines d’entre elles, dans les guerres précédentes, ont forcé à se rembarquer l’ennemi cependant retranché sur de solides positions et, de plus, maître de la mer. Ces exploits sont le gage de ce qui peut être tenté dans des pays où toute la population est foncièrement attachée à la France. Qu’on ne répète pas que le sort des colonies se règle en Europe. La politique de l’indifférence en matière de défense coloniale, politique à courte vue, très facile à pratiquer puisqu’elle dispense de tout effort, a déjà valu à la France le dépècement du magnifique empire qu’elle possédait autrefois au-delà des mers ; il importe de ne pas retomber dans les mêmes errements. (…) La France ne peut s’en remettre à personne du soin de défendre ses propres côtes, son commerce et ses possessions coloniales ».
Il meurt à Paris le 22 décembre 1930 et il est enterré au cimetière de Vaugirard.
Sur son lit de mort, il demande à son ami Isaac Béton : « Je vous invite à rechercher le vice-amiral P. Guépratte (Image) , mon meilleur ami de la flotte, pour lui dire de ma part qu’au moment suprême, ma dernière pensée a été pour lui, en mémoire de l’amitié dont il m’a donné tant de témoignages ». (Fin de ces notes sur Camille Mortenol – La série « Marine » reprendra sous quelques jours) ■