Par Rémi Hugues.
Ce dossier consiste en une suite de 7 parties – dont celle-ci – qui seront publiées dans les jours qui viennent. Elles seront ultérieurement réunies en un document unique pour consultation.
LʼÉcole de la République prétend former des citoyens en vue de décider collectivement du Bien commun.
Le hasard de la naissance, dʼautant plus que Lamarck montra que le milieu compte autant que les gènes, est bien plus réduit que le hasard conduisant à la victoire de tel ou tel candidat.
« Lʼhérédité souveraine est un bien en soi (…), cette façon de succéder anéantit la querelle, fonde la paix, maintient uni ce qui disperse la compétition. »
Lʼélection est souvent une grande loterie où tout se joue sur un sourire, un timbre de voix ou la beauté des costumes de lʼimpétrant. Mais surtout, elle nourrit une lutte permanente pour les places, au détriment de lʼintérêt supérieur de la nation. Ce qui compte, cʼest la réélection. Ce qui prime, et ce de façon permanente, cʼest la compétition.
À cet égard ce que fait remarquer Maurras doit être relevé : « Lʼhérédité souveraine est un bien en soi : sans égard à la personne de lʼhéritier, cette façon de succéder anéantit la querelle, fonde la paix, maintient uni ce qui disperse la compétition. […] Les Français ne seraient pas hommes, affectueux et raisonnables, si la race royale qui a fait leur nation ne recevait point dʼeux le culte dʼestime et dʼamour quʼun si grand bienfait leur réclame. Un lien moral unit la France à la série des chefs fondateurs quʼil faut bien appeler pères de la patrie. »[1]
La patrie, justement, est unifiée par le roi. Les dynasties royales maintiennent lʼunité sociologique – on vient de le voir – mais aussi géographique de la patrie. Contempteur du jacobinisme, Maurras voyait dans la centralisation non seulement une perte de substance nationale mais surtout un mouvement paradoxal de dislocation du pays. Cʼest la diversité qui fonde lʼunité. Elle en est la condition de possibilité. Sinon, il y a lʼuniformité, qui est un facteur de dissolution.
Sur ce point, Maurras indique que lʼ « effort décentralisateur est une pièce indispensable de la refonte générale. Le lien national doit être retrempé, et retendu à ses sources : la province, le pays, la ville, le village, le foyer. Il faut rendre aux clochers de nos hameaux comme aux acropoles de nos provinces un pouvoir de vie autonome qui les régénère.
La France est une fédération historique faite autour du fédérateur parisien. Cet élément fédérateur est précieux à tous les égards, il ne doit ni entraver ni sacrifier les éléments fédérés. […] Cʼest par la conscience et lʼamour de nos plus humbles commencements engagés dans la paroisse, la petite ville, le quartier de la grande ville, que peuvent et doivent renaître la conscience et lʼamour du composé national entier. […]
Le patriotisme français se perdait dans lʼabstraction juridique et dans la bureaucratie chère aux démocraties. Mistral et le félibrige, les barrésiens de lʼEst, ceux de lʼOuest, notamment le groupe breton avec Le Goffic et ses amis, ont retrouvé la substance concrète qui fait lʼaliment et le stimulant de toute dialectique nationale lorsque, partie dʼun point quelconque de temps ou de lʼespace, de lʼhistoire ou du territoire, elle aboutit à la capitale, à lʼÉtat. »[2]
II. Heurs et malheurs de notre royauté
À propos de lʼhistoire administrative de la France, il est loisible dʼinvoquer Alexis de Tocqueville et son essai LʼAncien régime et la Révolution, dans lequel il met en évidence que cʼest précisément la monarchie capétienne, tant vantée par Maurras, qui aurait inventé la centralisation étatique, et non les révolutionnaires jacobins. Il y aurait donc contradiction entre lʼéloge quʼil fait des Capétiens et son positionnement favorable à la décentralisation.
Pierre de Meuse, dans son précieux Idées et doctrines de la Contre-révolution relate cet épineux problème ainsi :
« [T]out lʼeffort de la monarchie a été au long des siècles de centraliser afin de permettre à lʼÉtat dʼavoir une action sans entraves. À ce titre, la Révolution française ne serait pas une rupture avec la politique antérieure, mais sa continuation. Même Maurras en vacille sous le coup ! Et il le reconnaît : oui les rois de France ont centralisé, mais, nous dit-il, ils laissaient cependant subsister des entités capables de se défendre alors que le pouvoir républicain les anéantit ; de plus le pouvoir royal nʼétait pas idéologique, et ne cherchait pas à remodeler le pays. Certes, cʼest indiscutable. Mais ce que Maurras répugne à admettre, et que Julien Freund et Bertrand de Jouvenel nous expliquent, cʼest que lʼÉtat est naturellement centralisateur. Pire encore, la rationalité étatique se nourrit de lʼordre social quʼelle dissout à mesure quʼelle instrumentalise ses organes. »[3]
Quoi quʼil en soit, il y a de toute façon dans LʼEnquête une évaluation des erreurs commises par les rois capétiens. Ce nʼest pas leur hagiographie, mais leur biographie, si lʼon peut dire.
On notera la lettre-réponse de Frédéric Amouretti à son camarade et ami Maurras, qui donne sur ce thème des éclairages des plus intéressants :
« La période de déviation nationale a commencé au milieu du dix-septième siècle avec Mazarin ; Louis XIV nʼa plus convoqué les États généraux ; il a établi la capitation par ordonnance, il a érigé les charges municipales en titres dʼoffices. Ainsi il supprimait la représentation nationale. »[4]
Puis, poursuit-il : « Les Capétiens directs, les Valois, si indignement calomniés, les deux premiers Bourbons ont réalisé le type de la Monarchie tempérée, qui a dʼabord fait notre pays morceau à morceau, puis lʼa rendu le plus grand du monde. On se trompe quand on attribue à la dictature de Richelieu la déviation funeste qui sʼest produite après lui. »[5]
Selon Amouretti, cʼest à Louis XIV et non à Richelieu que revient la faute, la faiblesse dʼavoir succombé à la démesure : « Je suis convaincu dʼune façon très précise que cʼest Richelieu qui a marqué lʼapogée de la gloire française. Homme dʼÉglise, le grand cardinal était de petite noblesse, bien près encore du tiers-état, semble-t-il ; il se rattachait donc aux trois classes. Prince par la pourpre romaine, il sʼinclinait cependant devant son roi, Louis XIII, cet excellent roi, homme admirable dʼénergie et de désintéressement ; le grand cardinal, obligé de se subordonner à un chef héréditaire, était protégé contre le vertige de la toute-puissance, si dangereux. Il mit la France si haut quʼaprès lui elle ne devait plus que décroître. »[6]
À la Monarchie absolue dont la figure la plus emblématique fut Louis XIV, Amouretti oppose une autre forme, censée être le modèle absolu de la future royauté française : « Seule […] la Monarchie tempérée peut donner à la France la sécurité par lʼarmée, la réputation par la diplomatie, la prospérité par la paix économique, et la reprise de la conscience nationale par la mise en valeur de toutes les énergies locales. »[7] ■ (À suivre, demain)
[1] Ibid., p. XCVIII.
[2] Ibid., p. CXXI.
[3] Poitiers, DMM, 2019, p. 90.
[4] Ibid., p. 335.
[5] Ibid., p. 336.
[6] Ibid., p. 336-337.
[7] Ibid., p. 340.
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
Publié le 19 août 2020 – Actualisé le 4 juin 2022
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source.
Merci !!
Cela éclaire d’un jour nouveau et redessine les contours de mes cours en lycée, suis professeur d’histoire et Géographie, je vais adapter mon discours tout en appliquant le programme !
Merci, vraiment 🙏