Par Rémi Hugues.
Ce dossier consiste en une suite de 7 parties – dont celle-ci. Les suivantes seront publiées dans les jours qui viennent. Elles seront ultérieurement réunies en un document unique pour consultation.
Malgré ses quelques défauts, qui probablement ont constitué la faille dans laquelle se sont insérés les ennemis de la Maison capétienne pour la renverser du trône, celle-ci représente un modèle à suivre : son règne correspond à lʼapogée de la France, située peu ou prou à lʼère dite du classicisme.
Sa prudence et sa modération furent sans doute les premières de ses vertus. Maurras avance : « Ses princes se sont appliqués, dʼun règne à lʼautre, à ne point trop gagner dans une seule entreprise, de crainte de trop perdre ultérieurement comme il est arrivé des Napoléon. Mais, à la différence de Napoléon Ier et de Napoléon III, qui tous deux laissèrent la France plus petite quʼils ne lʼavaient trouvée, les descendants dʼHugues Capet (ci-conttre) ont tous transmis leur héritage tel quʼils lʼavaient eu de leurs devanciers ou augmenté de quelque province. »[1]
Pas à pas la maison de France a édifié une nation à la mesure de ses ambitions. Après plusieurs siècles cette maison était à la tête de la « Chine de lʼEurope », de la « Grande Nation », rien de moins. Finalement son dessein a été, plutôt que de ressusciter lʼEmpire romain, de faire coïncider ses frontières avec celles de la Gaule.
Tel fut le pacte tacite passé entre Francs et Gaulois : ces derniers consentirent implicitement à la domination de ceux-là en échange de la réalisation de ce quʼils nʼétaient jamais parvenus à accomplir, à savoir lʼunité gauloise. Si lʼon reprend la terminologie dumézilienne, la France est la combinaison harmonieuse des bellatores – les Francs –, des oratores – Rome – et des laboratores – les Gaulois.
Et lʼon peut penser que ce qui conduisit Maurras à devenir royaliste, cʼest quʼil sʼaperçut vite que cette sublime réalisation irait à sa perte si la République, fille de la Révolution et donc dʼessence démocratique et libérale, sʼinstallait durablement sur le sol français.
LʼEnquête nʼest pas seulement une apologie de la royauté. Elle est aussi le procès en règle de la démocratie libérale.
III La pensée « lib-dém », voilà lʼennemie !
La charge lancée par Maurras dans LʼEnquête contre la démocratie libérale est avant tout dʼordre institutionnel. Il explique que « lʼidée démocratique, et sa complémentaire lʼidée libérale, peu consistantes dans leurs thèses, diviseuses et débilitantes dans leurs effets, poussent à disperser lʼÉtat dans la vie sociale au lieu de le concentrer dans sa fonction naturelle, déterminant ainsi un énervement national qui facilite lʼentreprise de voisins plus pauvres et plus ambitieux. »[2]
Maurras voit très nettement dans la démocratie libérale un vecteur dʼaffaiblissement de la France, via dʼabord lʼaffaiblissement de lʼÉtat. En voulant se mêler de tout, lʼÉtat libéral-démocratique en vient à perdre sa capacité à assurer avec succès sa mission principielle : paix intérieure (sécurité et justice) et diplomatie (guerre et paix).
Et cet État libéral-démocratique, qui semble être animé par « la ferme résolution dʼaffaiblir, de diminuer, de détruire lʼÉtat dans lʼexercice de son plus juste droit régalien »[3] est autant monarchique que républicain.
Dans un extrait du texte « Les Monod peints par eux-mêmes », paru le 1er janvier 1900 dans LʼAction française, Maurras nʼest pas tendre avec la Restauration :
« Cʼest sur la fonction propre de lʼÉtat que sʼacharnèrent les libéraux. Ils nʼattaquèrent ni lʼenseignement de lʼÉtat, ni lʼassistance publique dʼÉtat, ni les autres administrations dʼÉtat, mais bien le pouvoir de lʼÉtat sur les grands sujets de la politique étrangère et intérieure, ce quʼon doit appeler le pouvoir propre de lʼÉtat. […] Ils prônèrent lʼÉtat césarien, envisagé comme gendarme et pourvoyeur de la démocratie, comme marchand, comme hospitalier et maître dʼécole, comme administrateur et curateur universel. »[4]
Alors quʼil prétend se préoccuper des plus démunis, en réalité cet État se charge de défendre le fort au détriment du faible. Il nʼest plus un arbitre, mais un maton. Maurras souligne que « notre État est sans force, nos citoyens isolés sont à la merci, dʼabord de lʼAdministration, ensuite de toute autre collectivité solidaire »[5], autrement dit de tout lobby, ou groupe de pression.
Ce que, de surcroît, Maurras reproche à lʼÉtat libéral-démocratique, cʼest son incapacité à faire converger intérêts du gouvernement et intérêt du gouverné. En liant le sort du roi à celui de sa nation, le principe dynastique, avance-t-il, est hautement estimable, dans la mesure où il force le souverain à prendre la bonne décision, car autant lui que son peuple aura à lʼassumer si elle sʼavère désastreuse ou ruineuse.
Que ce soit lʼÉtat sous la Restauration ou celui sous la République, il consiste, soutient Maurras, au règne de lʼétranger. Cet État que lʼon pourrait qualifier de « moderne » – au sens négatif du terme – dissocie radicalement les intérêts du gouvernement et ceux du gouverné.
La modernité nʼest-elle pas affaire de séparation, dans son acception hébraïque satan ou grecque diabole ? Lʼhistorien Augustin Thierry considérait à cet égard que la modernité est « la société nouvelle qui sépare lʼÉglise et lʼÉtat, le devoir social des choses de la conscience, et le croyant du citoyen. »[6] On retrouve ce fil conducteur de la dislocation, très présent chez Maurras, en particulier lorsquʼil vilipende les « trois R » (Réforme, Révolution, Romantisme) : la modernité serait ainsi le triomphe de ce qui sépare, lʼère du tri entre le bon grain et lʼivraie.
La modernisation – au sens de démocratisation – de la France, dit en substance Maurras, signifie un processus de dépossession de soi ; processus lié au phénomène de xénocratie.
Cette modernisation remplace lʼaristocratie par lʼoligarchie, laquelle, « de nature cosmopolite »[7], « ne connaît que des intérêts financiers ou métaphysiques. »[8] Elle correspond en fait à une véritable entreprise de colonisation : Maurras va jusquʼà affirmer que la République des Gambetta, des Ferry et des Waldeck-Rousseau nʼest « que lʼexpression dʼun protectorat accordé de Londres ou de Berlin à la domination des étrangers ou demi-étrangers de lʼintérieur. […] Les républicains qui conservent lʼamour de la France en viennent à désirer que cette oligarchie étrangère, jouant parmi nous et contre nous des ressorts de la démocratie, soit remplacée par une aristocratie ou par une bourgeoisie indigène. »[9]
Mais il est illusoire dʼimaginer que puisse émerger un tel groupe. Car Maurras signale que lʼorganisation principale de cooptation de la classe dirigeante républicaine est la franc-maçonnerie, dont la nature est transnationale, mais surtout qui, à la différence de lʼÉglise de Rome, entend abolir les frontières nationales, ce qui pour Maurras est totalement chimérique : « il nʼest point de cadre politique plus large que la nation. »[10], note-il dans la préface de 1909. ■ (À suivre, demain)
À lire de Rémi Hugues Mai 68 contre lui-même (Cliquer sur l’image)
Publié le 20 août 2020 – Actualisé le 5 juin 2022
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