Jean Daniel publie un très bel et très émouvant article, dans « Le Nouvel Observateur » du 16 août (numéro 2232): si l’on voulait en faire une analyse ou un commentaire, il y faudrait des pages et des pages; nous nous en tiendrons à l’ambiance, à l’atmosphère qu’a ressenties Jean Daniel en ce jour et qu’il a voulu faire partager à ses lecteurs: la noblesse du ton et l’élévation d’esprit font de la lecture de cet hommage un des « bons » moments des lectures de l’été, même si le sujet est grave, puisqu’il s’agit du départ de quelqu’un qu’il « aime » (comme il le dit d’emblée, tout au début de son article). « …Il ne sera pas dit que, dans ce journal, on sera passé à côté de ce qui a eu lieu à Notre-Dame. Il ne sera pas dit que l’on n’aura pas salué ici les signes, les symboles, les ferveurs qui ont explosé dans cette cathédrale plus majestueuse, plus élégante, plus palpitante que jamais. C’est là, au cœur de la France et de la Chrétienté au moins européenne, que l’on s’est rassemblé non seulement pour dire adieu à un grand prélat mais, en même temps, pour transformer son message en acte, car ce grand prélat était juif et jusqu’à la dernière minute il a voulu le rappeler. »
La suite de l’article est dense, et renvoie, bien sûr, au vaste thème du destin du peuple juif; après avoir rapidement comparé les deux destins et les deux « pensées » -opposées- d’Edith Stein et de Jean-Marie Lustiger; après avoir tracé un rapide mais saisissant raccourci de la pérennité et de la souffrance du peuple juif, de sa « nécessité », Jean Daniel en revient à la cérémonie de Notre-Dame: « Ce qui m’a le plus frappé, c’est qu’il y régnait une sorte de gravité heureuse bien plus qu’une douleur éplorée…Nous n’étions pas dans le Miserere mais dans les actions de grâce. »… »Les deux mille Parisiens qui n’avaient pas pu prendre place dans l’église et se trouvaient devant le parvis, la centaine de cardinaux, d’évêques venus de France et d’ailleurs, comme la colonie juive représentée par un CRIF qui fait sa mue, ont assisté à un départ qui laisse des traces. C’était, en somme, la bonne nouvelle au sens presque chrétien de l’expression, la mort de celui-là était célébrée comme la naissance de l’Autre. »
C’est par une phrase de Simone Veil (grande amie du Cardinal Lustiger), entendue par lui le lendemain sur France Culture (dans l’émission de Frédéric Mitterrand), que Jean Daniel poursuit son article: « …Les Justes qui ont sauvé des juifs ont été cent fois plus nombreux qu’on ne le prétend, parce qu’ils ne voulaient pas se faire connaître. » Et Jean Daniel de conclure: « Alors on se dit que la France ne s’est pas autant déshonorée que le prétendent avec complaisance les Américains, et que cette cérémonie, à laquelle ils n’ont prêté aucune attention dans leur presse, n’aurait pas pu avoir lieu ailleurs qu’en France. »
N’y a-t-il que les Américains pour faire croire que la France se serait déshonorée, dans les circonstances tragiques dont il est question ici ? L’on aimerait surtout que la France soit plus « juste » envers elle-même, qu’elle cesse de se repentir de ses fautes vraies ou supposées, qu’elle célèbre son Histoire, comme il se doit, et qu’elle se préoccupe avant tout de poursuivre sa destinée propre. Notre-Dame, en effet, « au coeur de la France et de la Chrétienté au moins européenne », en est un symbole fort…
« L’on aimerait surtout que la France soit plus « juste » envers elle-même, qu’elle cesse de se repentir de ses fautes vraies ou supposées, qu’elle célèbre son Histoire, comme il se doit, et qu’elle se préoccupe avant tout de poursuivre sa destinée propre ».
Quel rapport entre votre souhait et le monument d’hagiographie, de propos convenus, de bâillonnement de l’esprit critique q’ont été ces obsèques ?