Cela peut paraître paradoxal de prime abord, mais nous souffrons à la fois d’un excès de libéralisme et d’un excès de socialisme. C’est pourquoi il faut changer de Système.
C’est ce que pense Christophe Geffroy -à qui nous avons fait écho plus d’une fois…- dans son très interéssant éditorial du mois de mars dans La Nef ( http://www.lanef.net/t_article/changer-de-systeme-geffroy-christophe.asp )
Et de citer Benoît XVI, qui nous exhorte à changer nos comportements….
On ne peut que considérer les écrits de Christophe Geffroy avec intérêt et sympathie. Dans l’ordre du politique,qui est le nôtre, notre rôle est de proposer l’instauration -ou la ré-instauration, comme on voudra…- d’un pouvoir fort, capable de s’opposer aux forces de l’Argent.
L’Argent, le capital, qui a été, de fait, libéré par la Révolution, elle qui a abattu le pouvoir du Sang, basé sur la Tradition, l’Histoire, la Spiritualité, et qui -venu du fond des âges, ce dont il tirait sa légitimité et sa force-, pouvait s’opposer à la toute-puissance de l’Or, que plus rien ne s’arrête aujourd’hui….
Changer de système
Editorial, Geffroy Christophe, La Nef n°213 de mars 2010
Sommes-nous sortis de la crise financière de septembre 2008 ? Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, non seulement ne le pense pas, mais craint fort que les mêmes causes produiront à l’avenir les mêmes effets. Il l’explique dans un livre roboratif à contre-courant de la pensée dominante (1). Il estime en effet que nous n’avons pas pris la juste mesure de cette crise, car rien de fondamental n’a été corrigé, ni notre « cupidité » remise en cause un seul instant. À ceux qui ne voient que la dimension financière, il oppose la faillite d’un système conjuguée à une grave crise morale.
Comment ne pas voir ici le parallèle avec l’exhortation de Benoît XVI nous pressant « à adopter de nouveaux styles de vie » à l’opposé du consumérisme actuel (2) ? Le système dénoncé par Stiglitz est celui du libéralisme économique pur et dur qui affirme que le libre marché est en toutes circonstances le meilleur régulateur possible, qui pousse aux déréglementations, à la libre circulation des capitaux… et qui conduit finalement à l’obsession du court terme en vue d’une rentabilité financière maximum.
Cette logique libérale pousse à la financiarisation de l’économie, c’est-à-dire que les activités financières occupent une part croissante dans l’économie et dans les grandes entreprises. Beaucoup d’entre elles, notamment ce que l’on nomme les multinationales, ne se caractérisent plus par un savoir-faire technique, mais sont devenues d’immenses groupes hétéroclites mus essentiellement par un souci de retour financier à court terme sur investissement. Une branche est achetée ou vendue en fonction de sa rentabilité. Ce n’est plus une logique industrielle et encore moins humaine ou nationale, c’est une logique financière de profit maximum qui ne recule devant aucune délocalisation.
Beaucoup de chrétiens craignent cette critique virulente du néo-libéralisme, car ils pensent que ce système est un moindre mal face à la seule alternative qu’ils envisagent, le socialisme, qui n’a que trop montré ses échecs et dont nous supportons encore les effets – le poids de la bureaucratie et des interventions intempestives de l’État dans des prérogatives qui ne sont pas les siennes (alors qu’il ne remplit plus ou mal celles, régaliennes, qui le justifient). Eh ! oui, c’est bien l’un des paradoxes et des difficultés de l’heure de souffrir à la fois d’un excès de libéralisme et de socialisme – dont on ne dira jamais assez qu’ils sont frères ennemis, « frères » signifiant qu’ils puisent aux mêmes sources philosophiques en réduisant l’homme à un vulgaire homo economicus.
Les catholiques, néanmoins, ne devraient pas être surpris par cette analyse, car j’ose dire qu’elle est celle de la doctrine sociale de l’Église pour qui se donne la peine de lire les textes sans lunettes idéologiques : Caritas in veritate (2009), la magistrale encyclique sociale de Benoît XVI, va très précisément dans ce sens. Mais pour le comprendre, il faut bien saisir une distinction rarement faite : le capitalisme financier qui nous gouverne – auquel peu de monde tient vraiment, sauf la toute petite minorité qui en profite – n’est pas la même chose que le principe de la liberté d’initiative – à laquelle nous sommes fondamentalement attachés (3). Ce qui caractérise le capitalisme financier, c’est l’inégale répartition du pouvoir dans l’entreprise – juridiquement des sociétés anonymes (SA) –, seuls les capitalistes ayant le pouvoir de décisions : or, ces capitalistes – les porteurs de parts de ces SA – sont le plus souvent totalement étrangers à la société dont ils sont actionnaires ; la seule chose qui les intéresse est donc le rendement de leur investissement, d’où l’obsession de la rentabilité de ces grandes multinationales qui se financent sur les places boursières (4).
Que l’on ne s’y trompe pas, ce n’est pas le néo-libéralisme qui défend la libre entreprise à taille humaine – c’est-à-dire la PME familiale ; au contraire, sa folle logique pousse à la concentration des entreprises, à la constitution de groupes multinationaux toujours plus puissants au détriment du tissu des PME qui n’ont pas les moyens de résister à la concurrence déloyale des fabrications délocalisées dans les pays à main-d’œuvre bon marché et peu soucieux d’écologie.
Depuis l’hégémonie du néo-libéralisme à la suite de la chute du mur de Berlin, un autre phénomène ne cesse d’inquiéter : celui de la croissance des inégalités des salaires. Ceux-ci ont beau grimper en moyenne, le salaire médian, lui, stagne ; autrement dit, seul le groupe des hauts revenus profite de cette croissance (5). Cette paupérisation des classes moyennes est au demeurant à l’origine de la crise des subprimes aux États-Unis.
Cette crise financière a-t-elle ébranlé le leadership américain ? L’économiste Jacques Sapir estime que le tournant s’est produit en réalité lors de la crise de 1997-1999. Celle-ci, écrit-il, « montre que les États-Unis et les institutions financières internationales qu’ils contrôlent directement ou indirectement sont incapables de maîtriser l’univers financier qu’ils ont créé » (6). Sapir en arrive ainsi à montrer que le « siècle américain » a avorté à ce moment-là, mais que, ce faisant, la voie s’est ouverte pour un « retour des nations ». Les événements de 2008 lui donnent raison, mais c’est un autre sujet sur lequel nous aurons à revenir.
(1) Le triomphe de la cupidité, de Joseph E. Stiglitz, Les liens qui libèrent, 2010, 474 pages, 23 e.
(2) Encyclique Caritas in veritate, n. 52.
(3) Sur cet aspect, cf. Jacques Sapir, Les trous noirs de la science économique. Essai sur l’impossibilité de penser le temps et l’argent, 2000, rééd. Seuil « Points Économie », 2003.
(4) Cet aspect est évoqué par Benoît XVI dans Caritas in veritate, n. 40.
(5) Jacques Sapir, Le nouveau XXIe siècle. Du siècle « américain » au retour des nations, Seuil, 2008, p. 22-23.
(6) Ibid., p. 79.
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“Alors les grands penseurs de la gôôôche on se réveille ? On a une panne de…”