Tous ceux qui sont passés, qui ont milité à l’Action Française, ont au moins entendu parler de l’Enquête sur la monarchie, un livre de Charles Maurras édité en 1903. Combien l’ont lu ? Combien même ont seulement vu le gros volume de l’édition originelle, toujours très usé par le temps ? S’ils l’ont ouvert, combien sont ceux dont il ne soit pas presque aussitôt tombé des mains ?
Sauf s’il aspirait à l’érudition – envie devenue rare – on peut penser que la lecture intégrale de l’Enquête sur la monarchie n’est sans-doute pas celle qu’il convient le plus de recommander de prime abord à un jeune Français d’aujourd’hui désireux de s’initier aux principes du royalisme français. Et de participer à son action.
Par ailleurs, l’Enquête n’est pas essentiellement un ouvrage de philosophie politique. Ni une théorie du royalisme in abstracto. Certes, une pensée, la pensée « traditionnelle », la sous-tend et s’y exprime avec rigueur et clarté. Mais c’est bien plutôt un livre stratégique, une enquête pour fonder une action, lancer un mouvement, appeler à la mobilisation des intelligences et des énergies. Cet appel est lancé dans un contexte donné, avec de claires raisons de s’engager. Et de s’engager dans une action en défense de la patrie menacée, et avec une solution, avec des objectifs politiques de court terme. Ainsi le propre de l’Action Française en gestation, ce ne sera déjà pas seulement le nationalisme. Ce sera le nationalisme intégral, c’est à dire incarné dans un roi et une dynastie. Qui stabilise, pérennise, prévoit, fixe des limites et agit, mieux que tout autre, avec force, expérience et raison.
Il s’agit donc pour cette Action Française naissante d’un projet politique très concret : changer de régime, passer de la République à la monarchie. Un projet politique radical, certes, et presque un programme de gouvernement. L’entreprise se qualifie elle-même de « complot » mais de complot « à ciel ouvert ». Il n’est pas question d’une obscure conspiration ourdie en grand secret sans principes suffisamment cohérents ni formes politiques précises. Il est question de convaincre une fraction suffisante de « Français actifs » de renverser la République et de restaurer la monarchie « en règle », c’est à dire prise en la personne de l’héritier de la dynastie fondatrice de la nation. C’est en cela qu’elle parle utilement à l’Action Française d’aujourd’hui.
Le projet de l’Enquête est à court terme.
Le contexte européen donne en effet au dit projet un caractère d’urgence : les jeunes hommes qui lancent l’Action Française en 1900 – non plus seulement comme laboratoire d’idées mais comme mouvement politique – sont hantés par la menace de la guerre, qui grandit en Europe. Ils la redoutent avec anxiété à cause de la faiblesse de nos institutions, à cause de l’infériorité tragique à laquelle la République nous réduisait face à l’Empire allemand, belliciste, surarmé, puissant et gouverné. Renverser la République, rétablir la monarchie, c’est à dire, un État fort dans son ordre, tient donc à l’époque, d’une urgence.
Urgence – il faut le noter – qui ne paraît pas moindre aujourd’hui si l’on prend la mesure des menaces qui pèsent sur la souveraineté, l’identité, la permanence en tant que peuple, de la France actuelle.
Pour les fondateurs de l’Action Française, entre 1900 et 1914, la monarchie permettrait sans doute d’éviter la guerre et, à tout le moins, si cette dernière venait à se produire, un Etat restauré ferait tout pour ne pas exposer la France à un désastre pire que celui de 1870. (Il se produira de fait en 1940 et de toute façon 14-18 en a été un, nonobstant notre victoire).
Sur le plan intérieur, c’est la guerre religieuse, la guerre scolaire, la question sociale irrésolue, les influences étrangères – économiques, politiques, idéologiques, culturelles et spirituelles – durement ressenties, le centralisme jacobin qui achève de détruire « les anciennes provinces », etc. La perversion de la substance nationale résonne elle aussi comme un puissant motif d’engagement.
Sous des formes nouvelles, tout aussi graves, les périls que court la France actuelle n’appellent-ils pas tout autant qu’en 1900 à s’engager et à agir ?
Alors Maurras et ses amis lancent le processus de mise en œuvre de leur projet.
Début 1900, Maurras entame son enquête sur la monarchie dans la Gazette de France. Il pose aux élites françaises la très célèbre question : « Oui ou non l’institution d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire, et décentralisée est-elle de salut public ? ». Ce n’est pas une interrogation spéculative. Elle est posée comme nécessaire prélude, comme un appel à la mobilisation, une invitation à l’engagement. On le sait – Remi Hugues l’a rappelé dans sa remarquable étude pour JSF* -, l’enquête consistera en une série de réponses à la question posée, venant d’un grand nombre de personnalités alors célèbres – qui sont presque toutes parfaitement inconnues aujourd’hui. Hormis Maurice Barrès qui d’ailleurs refusera de s’engager aux côtés de Maurras. Ces débats occuperont le gros volume publié ensuite.
Il est à noter qu’avant de lancer son opération de restauration nationale et monarchique, que sera et qu’est encore l’Action Française, Maurras accomplit deux actes essentiels.
Le premier c’est justement cette consultation, cette question précisément posée à une élite française représentative d’une large partie du pays, Ainsi Maurras aura-il préalablement consulté et débattu. Il aura recherché l’assentiment, le consentement d’une élite. Il imagine même que le retour à la monarchie devra être confirmé par un fidéicommis solennel et irrévocable du peuple français. Formule inusitée et rare, que nous appellerions aujourd’hui un référendum…
Le second acte que Maurras remplit avant de lancer son affaire, consiste à consulter le prétendant légitime et à vérifier son accord. Cette démarche atteste qu’il ne peut y avoir d’action monarchique sans le Prince… Ni hier, ni aujourd’hui. Ceux qui à l’Action Française ou ailleurs tiennent la question du Prince comme secondaire ou différable ne sont pas dans la ligne ni dans l’esprit de l’Action Française des origines. Ses dirigeants feront le voyage de Bruxelles pour rencontrer les conseillers du duc d’Orléans, Philippe VIII, alors en exil. Leurs conversations qu’on dirait aujourd’hui « programmatiques » se déroulent en juillet et août 1900 et le 18 août, le Prince ratifiera par une lettre adressée à Maurras les principes politiques définis avec ses conseillers, MM. André Buffet et Eugène de Lur-Saluces.
L’Action Française s’ancrera toujours sur ce lien nécessaire avec les Princes, nés des profondeurs de notre Histoire. Cet ancrage n’est pas moins une condition naturelle d’existence du royalisme français actuel, sauf à le transférer au domaine de l’irréel.
Tel est, selon nous, non pas le contenu politique détaillé, mais l’esprit de l’Enquête sur la monarchie et sa mise en perspective, après 120 ans, avec l’action qu’il nous revient de mener aujourd’hui. Dans un contexte d’urgence, aussi, et peut-être davantage si l’on mesure à quel point la France en tant que telle est près aujourd’hui de disparaître. Dans sa culture, sa souveraineté, son peuplement traditionnel, son patrimoine, sa langue, sa place dans le monde. Etc.
Après plus d’un siècle et alors que de profondes modifications des réalités sociales et politiques françaises sont intervenues, le plus remarquable est peut-être que la question qui ouvre l’Enquête se pose toujours avec autant d’acuité.
Quand on regarde l’état de notre pays, de la société française, quand on observe la situation du monde qui se dégrade à un rythme terriblement inquiétant, situation à laquelle la France se trouvera de plus en plus confrontée, on se dit que la question radicale posée jadis par l’Enquête s’impose aujourd’hui encore avec une pertinence, une urgence, non pas diminuées mais accrues. L’ordre du jour, comme en 1900, est à la mobilisation.
Retrouvez l’étude de Rémi Hugues dans JSF
Le grand manifeste royaliste a 120 ans [7/7]
Réédition
À noter que Belle-de-Mai éditions vient de republier une version des 120 ans pouvant être très utile, de L’Enquête sur la monarchie.
Deux modèles sont disponibles : classique (18€) et luxe (25€).
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