De Buonaparte et des Bourbons.
François-René de Chateaubriand.
1 : De Buonaparte.
30 mars 1814.
Non, je ne croirai jamais que j’écris sur le tombeau de la France, je ne puis me persuader qu’après le jour de la vengeance nous ne touchions pas au jour de la miséricorde. L’antique patrimoine des rois très chrétiens ne peut être divisé : il ne périra point, ce royaume que Rome expirante enfanta au milieu de ses ruines, comme un dernier essai de sa grandeur. Ce ne sont point les hommes seuls qui ont conduit les événements dont nous sommes les témoins, la main de la Providence est visible dans tout ceci : Dieu lui-même marche à découvert à la tête des armées et s’assied au conseil des rois. Comment sans l’intervention divine expliquer et l’élévation prodigieuse et la chute, plus prodigieuse encore, de celui qui naguère foulait le monde à ses pieds ? Il n’y a pas quinze mois qu’il était à Moscou, et les Russes sont à Paris ; tout tremblait sous ses lois, depuis les colonnes d’Hercule jusqu’au Caucase ; et il est fugitif, errant, sans asile ; sa puissance s’est débordée comme le flux de la mer, et s’est retirée comme le reflux. Comment expliquer les fautes de cet insensé ? Nous ne parlons pas encore de ses crimes. Une révolution, préparée par la corruption des mœurs et par les égarements de l’esprit, éclate parmi nous. Au nom des lois on renverse la religion et la morale ; on renonce à l’expérience et aux coutumes de nos pères ; on brise les tombeaux des aïeux, base sacrée de tout gouvernement durable, pour fonder sur une raison incertaine une société sans passé et sans avenir. Errant dans nos propres folies, ayant perdu toute idée claire du juste et de l’injuste, du bien et du mal, nous parcourûmes les diverses formes des constitutions républicaines. Nous appelâmes la populace à délibérer au milieu des rues de Paris sur les grands objets que le peuple romain venait discuter au Forum après avoir déposé ses armes et s’être baigné dans les flots du Tibre. Alors sortirent de leurs repaires tous ces rois demi-nus, salis et abrutis par l’indigence, enlaidis et mutilés par leurs travaux, n’ayant pour toute vertu que l’insolence de la misère et l’orgueil des haillons. La patrie, tombée en de pareilles mains, fut bientôt couverte de plaies. Que nous resta-t-il de nos fureurs et de nos chimères ? Des crimes et des chaînes ! Mais du moins le but que l’on semblait se proposer alors était noble. La liberté ne doit point être accusée des forfaits que l’on commit sous son nom ; la vraie philosophie n’est point la mère des doctrines empoisonnées que répandent les faux sages. Eclairés par l’expérience, nous sentîmes enfin que le gouvernement monarchique était le seul qui pût convenir à notre patrie. Il eut été naturel de rappeler nos princes légitimes ; mais nous crûmes nos fautes trop grandes pour être pardonnées. Nous ne songeâmes pas que le cœur d’un fils de saint Louis est un trésor inépuisable de miséricorde. Les uns craignaient pour leur vie, les autres pour leurs richesses. Surtout, il en coûtait trop à l’orgueil humain d’avouer qu’il s’était trompé. Quoi ! tant de massacres, de bouleversements, de malheurs, pour revenir au point d’où l’on était parti ! Les passions encore émues, les prétentions de toutes les espèces, ne pouvaient renoncer à cette égalité chimérique, cause principale de nos maux. De grandes raisons nous poussaient ; de petites raisons nous retinrent : la félicité publique fut sacrifiée à l’intérêt personnel, et la justice à la vanité. Il fallut donc songer à établir un chef suprême qui fût l’enfant de la révolution, un chef en qui la loi, corrompue dans sa source, protégeât la corruption et fît alliance avec elle. Des magistrats, intègres, fermes et courageux, des capitaines renommés par leur probité autant que pour leurs talents, s’étaient formés au milieu de nos discordes ; mais on ne leur offrit point un pouvoir que leurs principes leur auraient défendu d’accepter. On désespéra de trouver parmi les Français un front qui osât porter la couronne de Louis XVI. Un étranger se présenta : il fut choisi. Buonaparte n’annonça pas ouvertement ses projets ; son caractère ne se développa que par degrés. Sous le titre modeste de consul, il accoutuma d’abord les esprits indépendants à ne pas s’effrayer du pouvoir qu’ils avaient donné. Il se concilia les vrais Français, en se proclamant le restaurateur de l’ordre, des lois et de la religion. Les plus sages y furent pris, les plus clairvoyants trompés. Les républicains regardaient Buonaparte comme leur ouvrage et comme le chef populaire d’un Etat libre. Les royalistes croyaient qu’il jouait le rôle de Monk, et s’empressaient de le servir. Tout le monde espérait en lui. Des victoires éclatantes, dues à la bravoure des Français, l’environnèrent de gloire. Alors il s’enivra de ses succès, et son penchant au mal commença à se déclarer. L’avenir doutera si cet homme a été plus coupable par le mal qu’il a fait que par le bien qu’il eût pu faire et qu’il n’a pas fait. Jamais usurpateur n’eut un rôle plus facile et plus brillant à remplir. Avec un peu de modération, il pouvait établir lui et sa race sur le premier trône de l’univers. Personne ne lui disputait ce trône : les générations nées depuis la révolution ne connaissaient point nos anciens maîtres, et n’avaient vu que des troubles et des malheurs. La France et l’Europe étaient lassées ; on ne soupirait qu’après le repos ; on l’eût acheté à tout prix. Mais Dieu ne voulut pas qu’un si dangereux exemple fût donné au monde, qu’un aventurier pût troubler l’ordre des successions royales, se faire l’héritier des héros, et profiter dans un seul jour de la dépouille du génie, de la gloire et du temps. Au défaut des droits de la naissance, un usurpateur ne peut légitimer ses prétentions au trône que par des vertus : dans ce cas, Buonaparte n’avait rien pour lui, hors des talents militaires, égalés, sinon même surpassés par ceux de plusieurs de nos généraux. Pour le perdre, il a suffi à la Providence de l’abandonner et de le livrer à sa propre folie. Un roi de France disait que » si la bonne foi était bannie du milieu des hommes, elle devrait se retrouver dans le cœur des rois » cette qualité d’une âme royale manqua surtout à Buonaparte. Les premières victimes connues de la perfidie du tyran furent deux chefs des royalistes de la Normandie MM. de Frotté et le baron de Commarque eurent la noble imprudence de se rendre à une conférence où on les attira sur la foi d’une promesse ; ils furent arrêtés et fusillés. Peu de temps après, Toussaint-Louverture fut enlevé par trahison en Amérique, et probablement étranglé dans le château où on l’enferma en Europe. Bientôt un meurtre plus fameux consterna le monde civilisé. On crut voir renaître ces temps de barbarie du moyen âge, ces scènes que l’on ne trouve plus que dans les romans, ces catastrophes que les guerres de l’Italie et la politique de Machiavel avaient rendues familières au delà des Alpes. L’étranger, qui n’était point encore roi, voulut avoir le corps sanglant d’un Français pour marchepied du trône de France. Et quel Français, grand Dieu ! Tout fut violé pour commettre ce crime : droit des gens, justice, religion, humanité. Le duc d’Enghien est arrêté en pleine paix sur un sol étranger. Lorsqu’il avait quitté la France, il était trop jeune pour la bien connaître : c’est du fond d’une chaise de poste, entre deux gendarmes, qu’il voit comme pour la première fois, la terre de sa patrie et qu’il traverse pour mourir les champs illustrés par ses aïeux. Il arrive au milieu de la nuit au donjon de Vincennes. A la lueur des flambeaux, sous les voûtes d’une prison, le petit-fils du grand Condé est déclaré coupable d’avoir comparu sur des champs de bataille : convaincu de ce crime héréditaire, il est aussitôt condamné. En vain il demande à parler à Buonaparte (ô simplicité aussi touchante qu’héroïque !), le brave jeune homme était un des plus grands admirateurs de son meurtrier : il
ne pouvait croire qu’un capitaine voulut assassiner un soldat. Encore tout exténué de faim et de fatigue, on le fait descendre dans les ravins du château ; il y trouve une fosse nouvellement creusée. On le dépouille de son habit ; on lui attache sur la poitrine une lanterne pour l’apercevoir dans les ténèbres, et pour mieux diriger la balle au cœur. Il demande un confesseur ; il prie ses bourreaux de transmettre les dernières marques de son souvenir à ses amis : on l’insulte par des paroles grossières. On commande le feu ; le duc d’Enghien tombe : sans témoins, sans consolation, au milieu de sa patrie, à quelques lieues de Chantilly, à quelques pas de ces vieux arbres sous lesquels le saint roi Louis rendait la justice à ses sujets, dans la prison où M. le prince fut renfermé, le jeune, le beau, le brave, le dernier rejeton du vainqueur de Rocroy, meurt comme serait mort le grand Condé, et comme ne mourra pas son assassin. Son corps est enterré furtivement, et Bossuet ne renaîtra point pour parler sur ses cendres. Il ne reste à celui qui s’est abaissé au-dessous de l’espèce humaine par un crime qu’à affecter de se placer au-dessus de l’humanité par ses desseins, qu’à donner pour prétexte à un forfait des raisons inaccessibles au vulgaire, qu’à faire passer un abîme d’iniquités pour la profondeur du génie. Buonaparte eut recours à cette misérable assurance qui ne trompe personne, et qui ne vaut pas un simple repentir : ne pouvant cacher son crime, il le publia. Quand on entendit crier dans Paris l’arrêt de mort, il y eut un mouvement d’horreur que personne ne dissimula. On se demanda de quel droit un étranger venait de verser le plus beau comme le plus pur sang de la France. Croyait-il pouvoir remplacer par sa famille la famille qu’il venait d’éteindre ? Les militaires surtout frémirent : ce nom de Condé leur semblait appartenir en propre et représenter pour eux l’honneur de l’armée française. Nos grenadiers avaient plusieurs fois rencontré les trois générations de héros dans la mêlée, le prince de Condé, le duc de Bourbon et le duc d’Enghien ; ils avaient même blessé le duc de Bourbon, mais l’épée d’un Français ne pouvait épuiser ce noble sang : il n’appartenait qu’à un étranger d’en tarir la source. Chaque nation a ses vices. Ceux des Français ne sont pas la trahison, la noirceur et l’ingratitude. Le meurtre du duc d’Enghien, la torture et l’assassinat de Pichegru, la guerre d’Espagne et la captivité du pape, décèlent dans Buonaparte une nature étrangère à la France. Malgré le poids des chaînes dont nous étions accablés, sensibles aux malheurs autant qu’à la gloire, nous avons pleuré le duc d’Enghien, Pichegru, Georges et Moreau ; nous avons admiré Saragosse et environné d’hommages un pontife chargé de fers. Celui qui priva de ses Etats le prêtre vénérable dont la main l’avait marqué du sceau des rois, celui qui à Fontainebleau osa, dit-on, frapper le souverain pontife, traîner par ses cheveux blancs le père des fidèles, celui-là crut peut-être remporter une nouvelle victoire : il ne savait pas qu’il restait à l’héritier de Jésus-Christ ce sceptre de roseau et cette couronne d’épines qui triomphent tôt ou tard de la puissance du méchant. Le temps viendra, je l’espère, où les Français libres déclareront par un acte solennel qu’ils n’ont point pris de part à ces crimes de la tyrannie ; que le meurtre du duc d’Enghien, la captivité du pape et la guerre d’Espagne, sont des actes impies, sacrilèges, odieux, anti-français surtout, et dont la honte ne doit retomber que sur la tête de l’étranger. Buonaparte profita de l’épouvante que l’assassinat de Vincennes jeta parmi nous pour franchir le dernier pas et s’asseoir sur le trône. Alors commencèrent les grandes saturnales de la royauté : les crimes, l’oppression, l’esclavage marchèrent d’un pas égal avec la folie. Toute liberté expire, tout sentiment honorable, toute pensée généreuse, deviennent des conspirations contre l’Etat. Si on parle de vertu, on est suspect ; louer une belle action, c’est une injure faite au prince. Les mots changent d’acception : un peuple qui combat pour ses souverains légitimes est un peuple rebelle ; un traître est un sujet fidèle ; la France entière devient l’empire du mensonge : journaux, pamphlets, discours, prose et vers, tout déguise la vérité. S’il a fait de la pluie, on assure qu’il a fait du soleil ; si le tyran s’est promené au milieu du peuple muet, il s’est avancé, dit-on, au milieu des acclamations de la foule. Le but unique, c’est le prince : la morale consiste à se dévouer à ses caprices, le devoir à le louer. Il faut surtout se récrier d’admiration lorsqu’il a fait une faute ou commis un crime. Les gens de lettres sont forcés par des menaces à célébrer le despote. Ils composaient, ils capitulaient sur le degré de la louange : heureux quand, au prix de quelques lieux communs sur la gloire des armes, ils avaient acheté le droit de pousser quelques soupirs, de dénoncer quelques crimes, de rappeler quelques vérités proscrites ! Aucun livre ne pouvait paraître sans être marqué de l’éloge de Buonaparte, comme du timbre de l’esclavage ; dans les nouvelles éditions des anciens auteurs, la censure faisait retrancher tous les passages contre les conquérants, la servitude et la tyrannie, comme le Directoire avait eu dessein de faire corriger dans les mêmes auteurs tout ce qui parlait de la monarchie et des rois. Les almanachs étaient examinés avec soin ; et la conscription forma un article de foi dans le catéchisme. Dans les arts, même servitude : Buonaparte empoisonne les pestiférés de Jaffa ; on fait un tableau qui le représente touchant, par excès de courage et d’humanité, ces mêmes pestiférés. Ce n’était pas ainsi que saint Louis guérissait les malades qu’une confiance touchante et religieuse présentait à ses mains royales. Au reste, ne parlez point d’opinion publique : la maxime est que le souverain doit en disposer chaque matin. Il y avait à la police perfectionnée par Buonaparte un comité chargé de donner la direction aux esprits, et à la tête de ce comité un directeur de l’opinion publique. L’imposture et le silence étaient les deux grands moyens employés pour tenir le peuple dans l’erreur. Si vos enfants meurent sur le champ de bataille, croyez-vous qu’on fasse assez de cas de vous pour vous dire ce qu’ils sont devenus ? On vous taira les événements les plus importants à la patrie, à l’Europe, au monde entier. Les ennemis sont à Meaux : vous ne l’apprenez que par la fuite des gens de la campagne ; on vous enveloppe de ténèbres ; on se joue de vos inquiétudes ; on rit de vos douleurs ; on méprise ce que vous pouvez sentir et penser. Vous voulez élever la voix, un espion vous dénonce, un gendarme vous arrête, une commission militaire vous juge : on vous casse la tête, et on vous oublie. Ce n’était pas tout d’enchaîner les pères, il fallait encore disposer des enfants. On a vu des mères accourir des extrémités de l’empire et venir réclamer, en fondant en larmes, les fils que le gouvernement leur avait enlevés. Ces enfants étaient placés dans des écoles où, rassemblés au son du tambour, ils devenaient irréligieux, débauchés, contempteurs des vertus domestiques. Si de sages et dignes maîtres osaient rappeler la vieille expérience et les leçons de la morale, ils étaient aussitôt dénoncés comme des traîtres, des fanatiques, des ennemis de la philosophie et du progrès des lumières. L’autorité paternelle, respectée par les plus affreux tyrans de l’antiquité, était traitée par Buonaparte d’abus et de préjugés. Il voulait faire de nos fils des espèces de mamelouks sans Dieu, sans famille et sans patrie. Il semble que cet ennemi de tout s’attachât à détruire la France par ses fondements. Il a plus corrompu les hommes, plus fait de mal au genre humain dans le court espace de dix années, que tous les tyrans de Rome ensemble, depuis Néron jusqu’au dernier persécuteur des chrétiens. Les principes qui servaient de base à son administration passaient de s
on gouvernement dans les différentes classes de la société ; car un gouvernement pervers introduit le vice chez les peuples, comme un gouvernement sage fait fructifier la vertu. L’irréligion, le goût des jouissances et des dépenses au-dessus de la fortune, le mépris des liens moraux, l’esprit d’aventure, de violence et de domination, descendaient du trône dans les familles. Encore quelque temps d’un pareil règne, et la France n’eût plus été qu’une caverne de brigands. Les crimes de notre révolution républicaine étaient l’ouvrage des passions, qui laissent toujours des ressources : il y avait désordre et non pas destruction dans la société. La morale était blessée, mais elle n’était pas anéantie. La conscience avait ses remords ; une indifférence destructive ne confondait point l’innocent et le coupable : aussi les malheurs de ce temps auraient pu être promptement réparés. Mais comment guérir la plaie faite par un gouvernement qui posait en principe le despotisme ; qui, ne parlant que de morale et de religion, détruisait sans cesse la morale et la religion par ses institutions et ses mépris ; qui ne cherchait point à fonder l’ordre sur le devoir et sur la loi, mais sur la force et sur les espions de police ; qui prenait la stupeur de l’esclavage pour la paix d’une société bien organisée, fidèle aux coutumes de ses pères, et marchant en silence dans le sentier des antiques vertus ? Les révolutions les plus terribles sont préférables à un pareil état. Si les guerres civiles produisent les crimes publics, elles enfantent au moins les vertus privées, les talents et les grands hommes. C’est dans le despotisme que disparaissent les empires : en abusant de tous les moyens, en tuant les âmes encore plus que les corps, il amène tôt ou tard la dissolution et la conquête. Il n’y a point d’exemple d’une nation libre qui ait péri par une guerre entre les citoyens ; et toujours un Etat courbé sous ses propres orages s’est relevé plus florissant. On a vanté l’administration de Buonaparte : si l’administration consiste dans des chiffres ; si pour bien gouverner il suffit de savoir combien une province produit en blé, en vin, en huile, quel est le dernier écu qu’on peut lever, le dernier homme qu’on peut prendre, certes Buonaparte était un grand administrateur ; il est impossible de mieux organiser le mal, de mettre plus d’ordre dans le désordre. Mais si la meilleure administration est celle qui laisse un peuple en paix, qui nourrit en lui des sentiments de justice et de pitié, qui est avare du sang des hommes, qui respecte les droits des citoyens, les propriétés des familles, certes le gouvernement de Buonaparte était le pire des gouvernements. Et encore que de fautes et d’erreurs dans son propre système ! L’administration la plus dispendieuse engloutissait une partie des revenus de l’Etat. Des armées de douaniers et de receveurs dévoraient les impôts qu’ils étaient chargés de lever. Il n’y avait pas de si petit chef de bureau qui n’eût sous lui cinq ou six commis. Buonaparte semblait avoir déclaré la guerre au commerce. S’il naissait en France quelque branche d’industrie, il s’en emparait, et elle séchait entre ses mains. Les tabacs, les sels, les laines, les denrées coloniales, tout était pour lui l’objet d’un monopole ; il s’était fait l’unique marchand de son empire. Il avait, par des combinaisons absurdes, ou plutôt par une ignorance et un dégoût décidé de la marine, achevé de perdre nos colonies et d’anéantir nos flottes. Il bâtissait de grands vaisseaux qui pourrissaient dans les ports, ou qu’il désarmait lui-même pour subvenir aux besoins de son armée de terre. Cent frégates, répandues dans toutes les mers, auraient pu faire un mal considérable aux ennemis, former des matelots à la France, protéger nos bâtiments marchands : ces premières notions du bon sens n’entraient pas même dans la tête de Buonaparte. On ne doit point attribuer à ses lois les progrès de notre agriculture ; ils sont dus au partage des grandes propriétés, à l’abolition de quelques droits féodaux, et à plusieurs autres causes produites par la révolution. Tous les jours cet homme inquiet et bizarre fatiguait un peuple qui n’avait besoin que de repos par des décrets contradictoires, et souvent inexécutables : il violait le soir la loi qu’il avait faite le matin. Il a dévoré en dix ans 15 milliards d’impôts [Tous ces calculs ne sont qu’ approximatifs : je ne me pique nullement de donner de comptes rigoureux par francs et par centimes. (N.d.A.)] , ce qui surpasse la somme des taxes levées pendant les soixante-treize années du règne de Louis XIV. La dépouille du monde, 1500 millions de revenu ne lui suffisaient pas ; il n’était occupé qu’à grossir son trésor par les mesures les plus iniques. Chaque préfet, chaque sous-préfet, chaque maire avait le droit d’augmenter les entrées des villes, de mettre des centimes additionnels sur les bourgs, les villages et les hameaux, de demander à tel propriétaire une somme arbitraire pour tel ou tel prétendu besoin. La France entière était au pillage. Les infirmités, l’indigence, la mort, l’éducation, les arts, les sciences, tout payait un tribut au prince. Vous aviez un fils estropié, cul-de-jatte, incapable de servir : une loi de la conscription vous obligeait à donner 1500 francs pour vous consoler de ce malheur. Quelquefois le conscrit malade mourait avant d’avoir subi l’examen du capitaine de recrutement ; vous supposiez alors le père exempt de payer les 1500 francs de la réforme ? Point du tout. Si la déclaration de l’infirmité avait été faite avant l’accident de la mort, le conscrit se trouvant vivant au moment de la déclaration, le père était obligé de compter la somme sur le tombeau de son fils. Le pauvre voulait-il donner quelque éducation à l’un de ses enfants, il fallait qu’il comptât d’abord une somme à l’université, plus une redevance sur la pension donnée au maître. Un auteur moderne citait-il un ancien auteur, comme les ouvrages de ce dernier étaient tombés dans ce qu’on appelait le domaine public , la censure exigeait un centime par feuille de citation. Si vous traduisiez en citant, vous ne payiez qu’un demi-centime par feuille, parce qu’alors la citation était du domaine mixte , la moitié appartenant au travail du traducteur vivant et l’autre moitié à l’auteur mort. Lorsque Buonaparte fit distribuer des aliments aux pauvres dans l’hiver de 1812, on crut qu’il tirait cette générosité de son épargne : il leva à cette occasion des centimes additionnels, et gagna 4 millions sur la soupe des pauvres. Enfin, on l’a vu s’emparer de l’administration des funérailles : il était digne du destructeur des Français de lever un impôt sur leurs cadavres. Et comment aurait-on réclamé la protection des lois, puisque c’était lui qui les faisait ? Le corps législatif a osé parler une fois, et il a été dissous. Un seul article des nouveaux codes détruisait rapidement la propriété. Un administrateur du domaine pouvait vous dire : » Votre propriété est domaniale ou nationale. Je la mets provisoirement sous le séquestre : allez et plaidez. Si le domaine a tort, on vous rendra votre bien. » Et à qui aviez-vous recours en ce cas ? Aux tribunaux ordinaires ? Non : ces causes étaient réservées à l’examen du conseil d’Etat, et plaidées devant l’empereur, qui était ainsi juge et partie. Si la propriété était incertaine, la liberté civile était encore moins assurée. Qu’y avait-il de plus monstrueux que cette commission nommée pour inspecter les prisons, et sur le rapport de laquelle un homme pouvait être détenu toute sa vie dans les cachots, sans instruction, sans procès, sans jugement, mis à la torture, fusillé la nuit, étranglé entre deux guichets ? Au milieu de tout cela, Buonaparte faisait nommer chaque année des commissions de la liberté de la presse et de la liberté individuelle : Tibère ne s’est jamais joué à ce point de l’espèce humaine. Enfin, la conscription faisait comme le couronnement de ses œuvres de despotisme. La Scandinavie, appelée par un historie
n la fabrique du genre humain , n’aurait pu fournir assez d’hommes à cette loi homicide. Le code de la conscription sera un monument éternel du règne de Buonaparte. Là se trouve réuni tout ce que la tyrannie la plus subtile et la plus ingénieuse peut imaginer pour tourmenter et dévorer les peuples : c’est véritablement le code de l’enfer. Les générations de la France étaient mises en coupe réglée comme les arbres d’une forêt : chaque année quatre-vingt mille jeunes gens étaient abattus. Mais ce n’était là que la coupe régulière : souvent la conscription était doublée ou fortifiée par des levées extraordinaires ; souvent elle dévorait d’avance les futures victimes, comme un dissipateur emprunte sur le revenu à venir. On avait fini par prendre sans compter : l’âge légal, les qualités requises pour mourir sur un champ de bataille n’étaient plus considérés ; et l’inexorable loi montrait à cet égard une merveilleuse indulgence. On remontait vers l’enfance ; on descendait vers la vieillesse : le réformé, le remplacé, étaient repris ; tel fils d’un pauvre artisan, racheté trois fois au prix de la petite fortune de son père, était obligé de marcher. Les maladies, les infirmités, les défauts du corps n’étaient plus une raison de salut. Des colonnes mobiles parcouraient nos provinces comme un pays ennemi, pour enlever au peuple ses derniers enfants. Si l’on se plaignait de ces ravages, on répondait que les colonnes mobiles étaient composées de beaux gendarmes qui consoleraient leurs mères et leur rendraient ce qu’elles avaient perdu. Au défaut du frère absent, on prenait le frère présent. Le père répondait pour le fils, la femme pour le mari : la responsabilité s’étendait aux parents les plus éloignés et jusqu’aux voisins. Un village devenait solidaire pour le conscrit qu’il avait vu naître. Des garnisaires s’établissaient chez le paysan, et le forçaient de vendre son lit pour les nourrir : pour s’en délivrer il fallait qu’il trouvât le conscrit caché dans les bois. L’absurde se mêlait à l’atroce : souvent on demandait des enfants à ceux qui étaient assez heureux pour n’avoir point de postérité ; on employait la violence pour découvrir le porteur d’un nom qui n’existait que sur le rôle des gendarmes, ou pour avoir un conscrit qui servait déjà depuis cinq ou six ans. Des femmes grosses ont été mises à la torture, afin qu’elles révélassent le lieu où se tenait caché le premier né de leurs entrailles ; des pères ont apporté le cadavre de leur fils pour prouver qu’ils ne pouvaient fournir ce fils vivant. Il restait encore quelques familles dont les enfants, plus riches, s’étaient rachetés ; ils se destinaient à former un jour des magistrats, des administrateurs, des savants, des propriétaires, si utiles à l’ordre social dans un grand pays : par le décret des gardes d’honneur, on les a enveloppés dans le massacre universel. On en était venu à ce point de mépris pour la vie des hommes et pour la France, d’appeler les conscrits la matière première et la chair à canon . On agitait quelquefois cette grande question parmi les pourvoyeurs de chair humaine : savoir combien de temps durait un conscrit ; les uns prétendaient qu’il durait trente-trois mois, les autres trente-six. Buonaparte disait lui-même : J’ai trois cent mille hommes de revenu . Il a fait périr dans les onze années de son règne plus de cinq millions de Français, ce qui surpasse le nombre de ceux que nos guerres civiles ont enlevés pendant trois siècles, sous les règnes de Jean, de Charles V, de Charles VI, de Charles VII, de Henri II, de François II, de Charles IX, de Henri III et de Henri IV. Dans les douze derniers mois qui viennent de s’écouler, Buonaparte a levé (sans compter la garde nationale) treize cent mille hommes, ce qui est plus de cent mille hommes par mois : et on a osé lui dire qu’il n’avait dépensé que le luxe de la population. Il était aisé de prévoir ce qui est arrivé : tous les hommes sages disaient que la conscription en épuisant la France l’exposerait à l’invasion aussitôt qu’elle serait sérieusement attaquée. Saigné à blanc par le bourreau, ce corps, vide de sang, n’a pu faire qu’une faible résistance ; mais la perte des hommes n’était pas le plus grand mal que faisait la conscription : elle tendait à nous replonger nous et l’Europe entière dans la barbarie. Par la conscription, les métiers, les arts et les lettres sont inévitablement détruits. Un jeune homme qui doit mourir à dix-huit ans ne peut se livrer à aucune étude. Les nations voisines, obligées, pour se défendre, de recourir aux mêmes moyens que nous, abandonnaient à leur tour les avantages de la civilisation ; et tous les peuples précipités les uns sur les autres, comme au siècle des Goths et des Vandales, auraient vu renaître les malheurs de ces temps. En brisant les liens de la société générale, la conscription anéantissait aussi ceux de la famille. Accoutumés dès leur berceau à se regarder comme des victimes dévouées à la mort, les enfants n’obéissaient plus à leurs parents ; ils devenaient vagabonds et débauchés, en attendant le jour où ils allaient piller et égorger le monde. Quel principe de religion et de morale aurait eu le temps de prendre racine dans leur cœur ? De leur côté, les pères et les mères, dans la classe du peuple, n’attachaient plus leurs affections, ne donnaient plus leurs soins à des enfants qu’ils se préparaient à perdre, qui n’étaient plus leur richesse et leur appui, et qui ne devenaient pour eux qu’un objet de douleur et un fardeau. De là cet endurcissement de l’âme, cet oubli de tous les sentiments naturels, qui mènent à l’égoïsme, à l’insouciance du bien et du mal, à l’indifférence pour la patrie, qui éteignent la conscience et le remords, qui vouent un peuple à la servitude, en lui ôtant l’horreur du vice et l’admiration pour la vertu. Telle était l’administration de Buonaparte pour l’intérieur de la France. Examinons au dehors la marche de son gouvernement, cette politique dont il était si fier, et qu’il définissait ainsi : La politique, c’est jouer aux hommes . Eh bien ! il a tout perdu à ce jeu abominable, et c’est la France qui a payé sa perte. Pour commencer par son système continental, ce système, d’un fou ou d’un enfant, n’était point d’abord le but réel de ses guerres, il n’en était que le prétexte. Il voulait être le maître de la terre en ne parlant que de la liberté des mers. Et ce système insensé, a-t-il fait ce qu’il fallait pour l’établir ? Par les deux grandes fautes qui, comme nous le dirons après, ont fait échouer ses projets sur l’Espagne et sur la Russie, n’a-t-il pas manqué aussi de fermer les ports de la Méditerranée et de la Baltique ? N’a-t-il pas donné toutes les colonies du monde aux Anglais ? Ne leur a-t-il pas ouvert au Pérou, au Mexique, au Brésil, un marché plus considérable que celui qu’il voulait leur fermer en Europe ? chose si vraie, que la guerre a enrichi le peuple qu’il prétendait ruiner. L’Europe n’emploie que quelques superfluités de l’Angleterre ; le fond des nations européennes trouve dans ses propres manufactures de quoi suffire à ses principales nécessités. En Amérique, au contraire, les peuples ont besoin de tout, depuis le premier jusqu’au dernier vêtement ; et dix millions d’Américaine consomment plus de marchandises anglaises que trente millions d’européens. Je ne parle point de l’importation de l’argent du Mexique aux Indes, du monopole du cacao, du quinquina, de la cochenille et de mille autres objets de spéculation, devenus une nouvelle source de richesse pour les Anglais. Et quand Buonaparte aurait réussi à fermer les ports de l’Espagne et de la Baltique, il fallait donc ensuite fermer ceux de la Grèce, de Constantinople, de la Syrie, de la Barbarie : c’était prendre l’engagement de conquérir le monde. Tandis qu’il eut tenté de nouvelles conquêtes, les peuples déjà soumis, ne pouvant échanger le produit de leur sol et de leur industrie, auraient secoué le joug et rouvert leurs ports. Tout cela n’offre que
vues fausses, qu’entreprises petites à force d’être gigantesques, défaut de raison et de bon sens, rêves d’un fou et d’un furieux. Quant à ses guerres, à sa conduite avec les cabinets de l’Europe, le moindre examen en détruit le prestige. Un homme n’est pas grand par ce qu’il entreprend, mais par ce qu’il exécute. Tout homme peut rêver la conquête du monde : Alexandre seul l’accomplit. Buonaparte gouvernait l’Espagne comme une province dont il pompait le sang et l’or. Il ne se contente pas de cela : il veut encore régner personnellement sur le trône de Charles IV. Que fait-il alors ? Par la politique la plus noire, il sème d’abord des germes de division dans la famille royale ; ensuite il enlève cette famille, au mépris de toutes les lois humaines et divines ; il envahit subitement le territoire d’un peuple fidèle, qui venait de combattre pour lui à Trafalgar. Il insulte au génie de ce peuple, massacre ses prêtres, blesse l’orgueil castillan, soulève contre lui les descendants du Cid et du grand capitaine. Aussitôt Saragosse célèbre la messe de ses propres funérailles et s’ensevelit sous ses ruines ; les chrétiens de Pélasge descendent des Asturies : le nouveau Maure est chassé. Cette guerre ranime en Europe l’esprit des peuples, donne à la France une frontière de plus à défendre, crée une armée de terre aux Anglais, les ramène après quatre siècles dans les champs de Poitiers et leur livre les trésors du Mexique. Si, au lieu d’avoir recours à ces ruses dignes de Borgia, Buonaparte, par une politique toujours criminelle, mais plus habile, eût, sous un prétexte quelconque, déclaré la guerre au roi d’Espagne ; s’il se fût annoncé comme le vengeur des Castillans opprimés par le prince de la Paix ; s’il eût caressé la fierté espagnole, ménagé les ordres religieux, il est probable qu’il eût réussi. » Ce ne sont pas les Espagnols que je veux, disait-il dans sa fureur, c’est l’Espagne. » Eh bien ! cette terre l’a rejeté. L’incendie de Burgos a produit l’incendie de Moscou, et la conquête de l’Alhambra a amené les Russes au Louvre. Grande et terrible leçon ! Même faute pour la Russie : au mois d’octobre 1812, s’il s’était arrêté sur les bords de la Duna ; s’il se fût contenté de prendre Riga, de cantonner pendant l’hiver son armée de cinq cent mille hommes, d’organiser la Pologne derrière lui, au retour du printemps, il eût peut-être mis en péril l’empire des czars. Au lieu de cela, il marche à Moscou par un seul chemin, sans magasins, sans ressource. Il arrive : les vainqueurs de Pultawa embrasent leur ville sainte. Buonaparte s’endort un mois au milieu des ruines et des cendres ; il semble oublier le retour des saisons et la rigueur du climat, il se laisse amuser par des propositions de paix ; il ignore assez le cœur humain pour croire que des peuples qui ont eux-mêmes brûlé leur capitale, afin d’échapper à l’esclavage, vont capituler sur les ruines fumantes de leurs maisons. Ses généraux lui crient qu’il est temps de se retirer. Il part, jurant comme un enfant furieux qu’il reparaîtra bientôt avec une armée dont l’ avant-garde seule sera composée de trois cent mille soldats . Dieu envoie un souffle de sa colère : tout périt ; il ne nous revient qu’un homme ! Absurde en administration, criminel en politique, qu’avait-il donc pour séduire les Français, cet étranger ? Sa gloire militaire ? Eh bien, il en est dépouillé. C’est en effet un grand gagneur de batailles ; mais hors de là le moindre général est plus habile que lui. Il n’entend rien aux retraites et à la chicane du terrain ; il est impatient, incapable d’attendre longtemps un résultat, fruit d’une longue combinaison militaire ; il ne sait qu’aller en avant, faire des pointes, courir, remporter des victoires, comme on l’a dit, à coups d’hommes , sacrifier tout pour un succès, sans s’embarrasser d’un revers, tuer la moitié de ses soldats par des marches au-dessus des forces humaines. Peu importe : n’a-t-il pas la conscription et la matière première ? On a cru qu’il avait perfectionné l’art de la guerre, et il est certain qu’il l’a fait rétrograder vers l’enfance de l’art [Il est vrai pourtant qu’il a perfectionné ce qu’on appelle l’administration les armées et le matériel de la guerre. (N.d.A.)] . Le chef-d’œuvre de l’art militaire chez les peuples civilisés, c’est évidemment de défendre un grand pays avec une petite armée ; de laisser reposer plusieurs milliers d’hommes derrière soixante ou quatre-vingt mille soldats ; de sorte que le laboureur qui cultive en paix son sillon sait à peine qu’on se bat à quelques lieues de sa chaumière. L’empire romain était gardé par cent cinquante mille hommes, et César n’avait que quelques légions à Pharsale. Qu’il nous défende donc aujourd’hui dans nos foyers, ce vainqueur du monde ! Quoi ! tout son génie l’a-t-il soudainement abandonné ? Par quel enchantement cette France, que Louis XIV avait environnée de forteresses, que Vauban avait fermée comme un beau jardin, est-elle envahie de toutes parts ? Où sont les garnisons de ses places-frontières ? Il n’y en a point. Où sont les canons de ses remparts ? Tout est désarmé, même les vaisseaux de Brest, de Toulon et de Rochefort. Si Buonaparte eût voulu nous livrer sans défense aux puissances coalisées, s’il nous eût vendus, s’il eût conspiré secrètement contre les Français, eût-il agi autrement ? En moins de seize mois, deux milliards de numéraire, quatorze cent mille hommes, tout le matériel de nos armées et de nos places, sont engloutis dans les bois de l’Allemagne et dans les déserts de la Russie. A Dresde, Buonaparte commet fautes sur fautes, oubliant que si les crimes ne sont quelquefois punis que dans l’autre monde, les fautes le sont toujours dans celui-ci. Il montre l’ignorance la plus incompréhensible de ce qui se passe dans les cabinets, s’obstine à rester sur l’Elbe, est battu à Leipsick, et refuse une paix honorable qu’on lui propose. Plein de désespoir et de rage, il sort pour la dernière fois du palais de nos rois, va brûler, par un esprit de justice et d’ingratitude, le village où ces mêmes rois eurent le malheur de le nourrir, n’oppose aux ennemis qu’une activité sans plan, éprouve un dernier revers, fuit encore, et délivre enfin la capitale du monde civilisé de son odieuse présence. La plume d’un Français se refuserait à peindre l’horreur de ses champs de bataille ; un homme blessé devient pour Buonaparte un fardeau : tant mieux s’il meurt, on en est débarrassé. Des monceaux de soldats mutilés, jetés pêle-mêle dans un coin, restent quelquefois des jours et des semaines sans être pansés : il n’y a plus d’hôpitaux assez vastes pour contenir les malades d’une armée de sept ou huit cent mille hommes, plus assez de chirurgiens pour les soigner. Nulle précaution prise pour eux par le bourreau des Français : souvent point de pharmacie, point d’ambulance, quelquefois même pas d’instruments pour couper les membres fracassés. Dans la campagne de Moscou, faute de charpie, on pansait les blessés avec du foin ; le foin manqua, ils moururent. On vit errer cinq cent mille guerriers, vainqueurs de l’Europe, la gloire de la France ; on les vit errer parmi les neiges et les déserts, s’appuyant sur des branches de pin, car ils n’avaient plus la force de porter leurs armes, et couverts, pour tout vêtement, de la peau sanglante des chevaux qui avaient servi à leur dernier repas. De vieux capitaines, les cheveux et la barbe hérissés de glaçons, s’abaissaient jusqu’à caresser le soldat à qui il était resté quelque nourriture, pour en obtenir une chétive partie : tant ils éprouvaient les tourments de la faim ! Des escadrons entiers, hommes et chevaux, étaient gelés pendant la nuit ; et le matin on voyait encore ces fantômes debout au milieu des frimas. Les seuls témoins des souffrances de nos soldats dans ces solitudes étaient des bandes de corbeaux et des meutes de lévriers blancs demi-sauvages, qui suivaient notre armée pour en dévorer les débris. L’empereur de Russie a fait faire au printemps la recherche des morts : on a
compté deux cent quarante-trois mille six cent dix cadavres d’hommes, et cent vingt-trois mille cent trente-trois de chevaux [Extrait d’un rapport officiel du ministre de la police générale au gouvernement russe, en date du 16 mai 1813. (N.d.A.)] . La peste militaire, qui avait disparu depuis que la guerre ne se faisait plus qu’avec un petit nombre d’hommes, cette peste a reparu avec la conscription, les armées d’un million de soldats et les flots de sang humain : et que faisait le destructeur de nos pères, de nos frères, de nos fils, quand il moissonnait ainsi la fleur de la France ? Il fuyait ! il venait aux Tuileries dire, en se frottant les mains au coin du feu : Il fait meilleur ici que sur les bords de la Bérésina . Pas un mot de consolation aux épouses, aux mères en larmes dont il était entouré ; pas un regret, pas un mouvement d’attendrissement, pas un remords, pas un seul aveu de sa folie. Les Tigellins disaient : » Ce qu’il y a d’heureux dans cette retraite, c’est que l’empereur n’a manqué de rien ; il a toujours été bien nourri, bien enveloppé dans une bonne voiture ; enfin, il n’a pas du tout souffert, c’est une grande consolation ; et lui, au milieu de sa cour, paraissait gai, triomphant, glorieux : paré du manteau royal, la tête couverte du chapeau à la Henri IV, il s’étalait, brillant sur un trône, répétant les attitudes royales qu’on lui avait enseignées ; mais cette pompe ne servait qu’à le rendre plus hideux, et tous les diamants de la couronne ne pouvaient cacher le sang dont il était couvert. » Hélas ! cette horreur des champs de bataille s’est rapprochée de nous ; elle n’est plus cachée dans les déserts : c’est au sein de nos foyers que nous la voyons, dans ce Paris que les Normands assiégèrent en vain il y a près de mille ans, et qui s’enorgueillissait de n’avoir eu pour vainqueur que Clovis, qui devint son roi. Livrer un pays à l’invasion, n’est-ce pas le plus grand et le plus irrémissible des crimes ? Nous avons vu périr sous nos propres yeux le reste de nos générations ; nous avons vu des troupeaux de conscrits, de vieux soldats pâles et défigurés, s’appuyer sur les bornes des rues, mourant de toutes les sortes de misères, tenant à peine d’une main l’arme avec laquelle ils avaient défendu la patrie, et demandant l’aumône de l’autre main ; nous avons vu la Seine chargée de barques, nos chemins encombrés de chariots remplis de blessés, qui n’avaient pas même le premier appareil sur leurs plaies. Un de ces chars, que l’on suivait à la trace du sang, se brisa sur le boulevard : il en tomba des conscrits sans bras sans jambes, percés de balles, de coups de lance, jetant des cris et priant les passants de les achever. Ces malheureux, enlevés à leurs chaumières avant d’être parvenus à l’âge d’homme, menés avec leurs bonnets et leurs habits champêtres sur le champ de bataille, placés, comme chair à canon , dans les endroits les plus dangereux pour épuiser le feu de l’ennemi, ces infortunés, dis-je, se prenaient à pleurer, et criaient en tombant frappés par le boulet : Ah, ma mère ! ma mère ! cri déchirant qui accusait l’âge tendre de l’enfant arraché la veille à la paix domestique ; de l’enfant tombé tout à coup des mains de sa mère dans celles de son barbare souverain ! Et pour qui tant de massacres, tant de douleurs ? Pour un abominable tyran, pour un étranger qui n’est si prodigue du sang français que parce qu’il n’a pas une goutte de ce sang dans les veines. Ah ! quand Louis XVI refusait de punir quelques coupables dont la mort lui eût assuré le trône, en nous épargnant à nous-mêmes tant de malheurs ; quand il disait : » Je ne veux pas acheter ma sûreté au prix de la vie d’un seul de mes sujets ; » quand il écrivait dans son testament : » Je recommande à mon fils, s’il a le malheur de devenir roi, de songer qu’il se doit tout entier au bonheur de ses concitoyens, qu’il doit oublier toute haine et tout ressentiment, et nommément ce qui a rapport aux chagrins que j’éprouve ; qu’il ne peut faire le bonheur des peuples qu’en régnant suivant les lois ; » quand il prononçait sur l’échafaud ces paroles : » Français, je prie Dieu qu’il ne venge pas sur la nation le sang de vos rois qui va être répandu » voilà le véritable roi, le roi français, le roi légitime, le père et le chef de la patrie ! Buonaparte s’est montré trop médiocre dans l’infortune pour croire que sa prospérité fut l’ouvrage de son génie ; il n’est que le fils de notre puissance, et nous l’avons cru le fils de ses œuvres. Sa grandeur n’est venue que des forces immenses que nous lui remîmes entre les mains lors de son élévation. Il hérita de toutes les armées formées sous nos plus habiles généraux, conduites tant de fois à la victoire par tous ces grands capitaines qui ont péri, et qui périront peut-être jusqu’au dernier, victimes des fureurs et de la jalousie du tyran. Il trouva un peuple nombreux, agrandi par des conquêtes, exalté par des triomphes et par le mouvement que donnent toujours les révolutions ; il n’eut qu’à frapper du pied la terre féconde de notre patrie, et elle lui prodigua des trésors et des soldats. Les peuples qu’il attaquait étaient lassés et désunis ; il les vainquit tour à tour, en versant sur chacun d’eux séparément les flots de la population de la France. Lorsque Dieu envoie sur la terre les exécuteurs des châtiments célestes, tout est aplani devant eux : ils ont des succès extraordinaires avec des talents médiocres. Nés au milieu des discordes civiles, ces exterminateurs tirent leurs principales forces des maux qui les ont enfantés et de la terreur qu’inspire le souvenir de ces maux : ils obtiennent ainsi la soumission du peuple au nom des calamités dont ils sont sortis. Il leur est donné de corrompre et d’avilir, d’anéantir l’honneur, de dégrader les âmes, de souiller tout ce qu’ils touchent, de tout vouloir et de tout oser, de régner par le mensonge, l’impiété et l’épouvante, de parler tous les langages, de fasciner tous les yeux, de tromper jusqu’à la raison, de se faire passer pour de vastes génies, lorsqu’ils ne sont que des scélérats vulgaires, car l’excellence en tout ne peut être séparée de la vertu : traînant après eux les nations séduites, triomphant par la multitude, déshonorés par cent victoires, la torche à la main, les pieds dans le sang, ils vont au bout de la terre comme des hommes ivres, poussés par Dieu, qu’ils méconnaissent. Lorsque la Providence au contraire veut sauver un empire et non le punir, lorsqu’elle emploie ses serviteurs, et non ses fléaux ; qu’elle destine aux hommes dont elle se sert une gloire honorable, et non une abominable renommée, loin de leur rendre la route facile comme à Buonaparte, elle leur oppose des obstacles dignes de leurs vertus. C’est ainsi que l’on peut toujours distinguer le tyran du libérateur, le ravageur des peuples du grand capitaine, l’homme envoyé pour détruire, et l’homme venu pour réparer. Celui-là est maître de tout, et se sert pour réussir de moyens immenses ; celui-ci n’est maître de rien, et n’a entre les mains que les plus faibles ressources : il est aisé de reconnaître aux premiers traits et le caractère et la mission du dévastateur de la France. Buonaparte est un faux grand homme : la magnanimité, qui fait les héros et les véritables rois, lui manque. De là vient qu’on ne cite pas de lui un seul de ces mots qui annoncent Alexandre et César, Henri IV et Louis XIV. La nature le forma sans entrailles. Sa tête, assez vaste, est l’empire des ténèbres et de la confusion. Toutes les idées, même celle du bien, peuvent y entrer, mais elles en sortent aussitôt. Le trait distinctif de son caractère est une obstination invincible, une volonté de fer, mais seulement pour l’injustice, l’oppression, les systèmes extravagants ; car il abandonne facilement les projets qui pourraient être favorables à la morale, à l’ordre et à la vertu. L’imagination le domine, et la raison ne le règle point. Ses desseins ne sont point le fruit de quelque chose de profond et de réfléchi, mais l’effet d’un mo
uvement subit et d’une révolution soudaine. Il a quelque chose de l’histrion et du comédien ; il joue tout, jusqu’aux passions qu’il n’a pas. Toujours sur un théâtre, au Caire, c’est un renégat qui se vante d’avoir détruit la papauté ; à Paris, c’est le restaurateur de la religion chrétienne ; tantôt inspiré, tantôt philosophe, ses scènes sont préparées d’avance ; un souverain qui a pu prendre des leçons afin de paraître dans une attitude royale est jugé pour la postérité. Jaloux de paraître original, il n’est presque jamais qu’imitateur ; mais ses imitations sont si grossières, qu’elles rappellent à l’instant l’objet ou l’action qu’il copie ; il essaye toujours de dire ce qu’il croit un grand mot, ou de faire ce qu’il présume une grande chose. Affectant l’universalité du génie, il parle de finances et de spectacles, de guerre et de modes, règle le sort des rois et celui d’un commis à la barrière, date du Kremlin un règlement sur les théâtres, et le jour d’une bataille fait arrêter quelques femmes à Paris. Enfant de notre révolution, il a des ressemblances frappantes avec sa mère ; intempérance de langage, goût de la basse littérature, passion d’écrire dans les journaux. Sous le Ménisque de César et d’Alexandre, on aperçoit l’homme de peu et l’enfant de petite famille. Il méprise souverainement les hommes, parce qu’il les juge d’après lui. Sa maxime est qu’ils ne font rien que par intérêt, que la probité même n’est qu’un calcul. De là le système de fusion qui faisait la base de son gouvernement, employant également le méchant et l’honnête homme, mêlant à dessein le vice et la vertu, et prenant toujours soin de vous placer en opposition à vos principes. Son grand plaisir était de déshonorer la vertu, de souiller les réputations : il ne vous touchait que pour vous flétrir. Quand il vous avait fait tomber, vous deveniez son homme, selon son expression ; vous lui apparteniez par droit de honte ; il vous en aimait un peu moins, et vous en méprisait un peu plus. Dans son administration, il voulait qu’on ne connût que les résultats, et qu’on ne s’embarrassât jamais des moyens, les masses devant être tout, les individualités rien. » On corrompra cette jeunesse, mais elle m’obéira mieux ; on fera périr cette branche d’industrie, mais j’obtiendrai pour le moment plusieurs millions ; il périra soixante mille hommes dans cette affaire, mais je gagnerai la bataille. » Voilà tout son raisonnement, et voilà comme les royaumes sont anéantis ! Né surtout pour détruire, Buonaparte porte le mal dans son sein, tout naturellement, comme une mère porte son fruit, avec joie et une sorte d’orgueil. Il a l’horreur du bonheur des hommes ; il disait un jour : » Il y a encore quelques personnes heureuses en France ; ce sont des familles qui ne me connaissent pas, qui vivent à la campagne, dans un château, avec 30 ou 40 000 liv. de rente ; mais je saurai bien les atteindre. » Il a tenu parole. Il voyait un jour jouer son fils ; il dit à un évêque présent : » Monsieur l’évêque, croyez-vous que cela ait une âme ? » Tout ce qui se distingue par quelque supériorité épouvante ce tyran ; toute réputation l’importune. Envieux des talents, de l’esprit, de la vertu, il n’aimerait pas même le bruit d’un crime, si ce crime n’était pas son ouvrage. Le plus disgracieux des hommes, son grand plaisir est de blesser ce qui l’approche, sans penser que nos rois n’insultaient jamais personne, parce qu’on ne pouvait se venger d’eux ; sans se souvenir qu’il parle à la nation la plus délicate sur l’honneur, à un peuple que la cour de Louis XIV a formé, et qui est justement renommé pour l’élégance de ses mœurs et la fleur de sa politesse. Enfin Buonaparte n’était que l’homme de la prospérité ; aussitôt que l’adversité, qui fait éclater les vertus, a touché le faux grand homme, le prodige s’est évanoui : dans le monarque on n’a plus aperçu qu’un aventurier, et dans le héros qu’un parvenu à la gloire. Lorsque Buonaparte chassa le Directoire, il lui adressa ce discours : » Qu’avez-vous fait de cette France que je vous ai laissée si brillante ? Je vous ai laissé la paix, j’ai retrouvé la guerre ; je vous ai laissé des victoires, j’ai retrouvé des revers ; je vous ai laissé les millions de l’Italie, et j’ai trouvé partout des lois spoliatrices et la misère. Qu’avez-vous fait de cent mille Français que je connaissais tous, mes compagnons de gloire ? Ils sont morts. Cet état de choses ne peut durer ; avant trois ans il nous mènerait au despotisme : mais nous voulons la république, la république assise sur les bases de l’égalité, de la morale, de la liberté civile et de la tolérance politique, etc. » Aujourd’hui, homme de malheur, nous te prendrons par tes discours, et nous t’interrogerons par tes paroles. Dis, qu’as-tu fait de cette France si brillante ? Où sont nos trésors, les millions de l’Italie, de l’Europe entière ? Qu’as-tu fait, non pas de cent mille, mais de cinq millions de Français que nous connaissions tous, nos parents, nos amis, nos frères ? Cet état de choses ne peut durer ; il nous a plongés dans un affreux despotisme. Tu voulais la république, et tu nous as apporté l’esclavage. Nous, nous voulons la monarchie assise sur les bases de l’égalité des droits, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique et religieuse. Nous l’as-tu donnée, cette monarchie ? Qu’as-tu fait pour nous ? que devons-nous à ton règne ? Qui est-ce qui a assassiné le duc d’Enghien, torturé Pichegru, banni Moreau, chargé de chaînes le souverain pontife, enlevé les princes d’Espagne, commencé une guerre impie ? C’est toi. Qui est-ce qui a perdu nos colonies, anéanti notre commerce, ouvert l’Amérique aux Anglais, corrompu nos mœurs, enlevé les enfants aux pères, désolé les familles, ravagé le monde, brûlé plus de mille lieues de pays, inspiré l’horreur du nom français à toute la terre ? C’est toi. Qui est-ce qui a exposé la France à la peste, à l’invasion, au démembrement, à la conquête ? C’est encore toi. Voilà ce que tu n’as pu demander au Directoire, et ce que nous te demandons aujourd’hui. Combien es-tu plus coupable que ces hommes que tu ne trouvais pas dignes de régner ! Un roi légitime et héréditaire qui aurait accablé son peuple de la moindre partie des maux que tu nous as faits eût mis son trône en péril ; et toi, usurpateur et étranger, tu nous deviendrais sacré en raison des calamités que tu as répandues sur nous ! tu régnerais encore au milieu de nos tombeaux ! Nous rentrons enfin dans nos droits par le malheur ; nous ne voulons plus adorer Moloch ; tu ne dévoreras plus nos enfants : nous ne voulons plus de ta conscription, de ta police, de ta censure, de tes fusillades nocturnes, de ta tyrannie. Ce n’est pas seulement nous, c’est le genre humain qui t’accuse. Il nous demande vengeance au nom de la religion, de la morale et de la liberté. Où n’as-tu pas répandu la désolation ? dans quel coin du monde une famille obscure a-t-elle échappé à tes ravages ? L’Espagnol dans ses montagnes, l’Illyrien dans ses vallées, l’Italien sous son beau soleil, l’Allemand, le Russe, le Prussien dans ses villes en cendres, te redemandent leurs fils que tu as égorgés, la tente, la cabane, le château, le temple où tu as porté la flamme. Tu les as forcés de venir chercher parmi nous ce que tu leur as ravi, et reconnaître dans tes palais leur dépouille ensanglantée. La voix du monde te déclare le plus grand coupable qui ait jamais paru sur la terre ; car ce n’est pas sur des peuples barbares et sur des nations dégénérées que tu as versé tant de maux ; c’est au milieu de la civilisation, dans un siècle de lumières, que tu as voulu régner par le glaive d’Attila et les maximes de Néron. Quitte enfin ton sceptre de fer ; descends de ce monceau de ruines dont tu avais fait un trône ! Nous te chassons comme tu as chassé le Directoire. Va ! puisses-tu, pour seul châtiment, être témoin de la joie que ta chute cause à la France, et contempler en versant des larmes de rage le spectacle de la félicité p
ublique ! Telles sont les paroles que nous adressons à l’étranger. Mais si nous rejetons Buonaparte, qui le remplacera ? – Le Roi .
(fin de la première partie, la plus longue et sans conteste la plus réussie; les deux autres parties, nettement plus courtes, sont consultables sur le PDF « Chateaubriand », dans la Catégorie « Textes à télécharger »….).
Noël Stassinet sur On attend une vigoureuse réaction du…
“Alors les grands penseurs de la gôôôche on se réveille ? On a une panne de…”