Cet éditorial de Vincent Trémolet de Vilers est paru à la une du Figaro de ce matin. Il souligne de façon intéressante notre progression dans l’ère de l’inculture et de la pensée sommaire dont nous parlons par ailleurs. La disparition du Débat en est une illustration. Nous n’avons rien à ajouter si ce n’est pour recommander la lecture de cet article.
« Dissolution de la culture et restriction de la liberté »
À 40 ans, Le Débat, qui fut l’un des phares de la vie intellectuelle en France, met un point final. C’est une triste nouvelle pour tous ceux qui sont attachés à la conversation civique. Pierre Nora et Marcel Gauchet l’ont porté avec courage, constance et brio pendant toutes ces années. Cet héritage nous oblige. Avec cette prestigieuse revue, le débat va-t-il disparaître ? Cela fait longtemps qu’un certain nombre d’adversaires conspirent contre lui.
La contraction du temps, d’abord. Celui de la réflexion, de la rumination, de l’étude, de la hiérarchisation, de l’élaboration d’une pensée se perd dans le torrent de l’information continue. Le tweet aujourd’hui l’emporte sur la thèse, qui réclame dix ans d’effort solitaire.
La dissolution de la culture, ensuite. Fondée sur l’histoire, la philosophie, la littérature, elle était une fréquentation intime qui façonnait les esprits: elle tend à devenir un ornement. À force de déconstruction, elle s’estompe et laisse la place au jargon des sciences sociales. Études de genre, pensée décoloniale, antispécisme, néoféminisme… une nouvelle doxa, indigeste, sentencieuse, étrangère aux doutes, renvoie les trésors de la civilisation occidentale – Shakespeare, Caravage, Michelet, Bizet, Nietzsche, Rodin… – à la cave.
La restriction de la liberté, enfin, qui se manifeste par une violence doucereuse, celle que Tocqueville promet à celui qui dévie du discours imposé: «Vous resterez parmi les hommes, mais vous perdrez vos droits à l’humanité. Quand vous vous approcherez de vos semblables, ils vous fuiront comme un être impur.»
Pourtant, malgré ce sombre décor, des intellectuels, des écrivains continuent de penser le monde. Ils se déploient dans les journaux comme sur les écrans, font salle comble, vendent leurs livres, affrontent les vents contraires. Ils maintiennent l’art de la contradiction, la clarté de la langue, la recherche inquiète de la vérité: des trésors en péril. La conversation, disait Roger Scruton, est l’autre nom de la civilisation. ■
Je valide cette analyse très pertinente ! Merci