PAR PÉRONCEL-HUGOZ.
Suite du texte de notre collaborateur publié en 1990 dans Villes du Sud (Payot, Genève).
AU ROYAUME DE BONGO.
DÎNER DE GALA SOUS LES TROPIQUES.
(…) Face au minaret marocain, le Palais Rénovation où vit et gouverne ce président africain pas exactement comme les autres, n’a rien de mauresque. Dû à un trio d’architectes français il a coûté un milliard et demi de francs, héliport compris. Avec ses façades en verre fumé il ressemble extérieurement, vous vous en doutiez, au siège social d’un consortium financier, et c’est d’ailleurs ce qu’il est aussi. A l’intérieur, les marbres sont venus de Carrare par avion, les ascenseurs sont musicaux comme dans un supermarché et l’un d’entre eux peut enfourner une limousine ; plafonds tendus de vélums rose style « maison » parisienne d’avant Marthe Richard ; tapis rouges évidemment ; lustres à pendeloques italiens ; murs moirés ; tentures épaisses et donnant chaud rien qu’à les regarder malgré l’air réfrigéré poussé à mort.
Dehors la moiteur est à 28°. Son Excellence M. le président de la République, El Hadj* Omar Bongo, Président-Fondateur du PDG se prépare, dans ses appartements privés remplis de bibelots de toute la planète, pour le dîner de gala qu’il offre dans la salle d’apparat en l’honneur de Son Excellence M. Alain Decaux, ministre délégué à la Francophonie, membre de l’Académie française. (Photo) Le Gabon, comme la France, pour se consoler de ne pas ou plus avoir de titres nobiliaires, se délecte des fonctions à tiroirs et s’en donne à cœur joie à chaque remaniement de cabinet, créant une fois un ministère des Affaires sociales, des Catastrophes naturelles et de la Sécurité sociale, une autre fois un ministère d’État chargé du Commerce, des Transferts de technologie et de la Rationalisation ou un autre consacré aux Chemins de fer, Routes, Transports fluviaux, Eaux, Ressources forestières et Communications sociales…
Enfin un haut-parleur annonce Son Excellence M. le président, etc. Des sièges néo-Louis XV mâtinés de Retour d’Égypte se lèvent comme un seul homme, robes longues et habits foncés. M. Bongo s’assoit sur un trône capitonné rose et noir, surmonté de l’emblème très doré du pays. Il est vêtu d’un complet à la taille très cambrée, avec papillon et pochette vert sapin, les moustaches en croc bien astiquées ; pour varier, derrière l’estrade, se dresse le portrait présidentiel en complet blanc. (À suivre, demain dimanche) ■
* Titre des musulmans ayant accompli le pèlerinage à La Mecque.
L’humour de Péroncel-Hugoz, jusque dans les détails des descriptions, est toujours délectable. Outre que ces tranches de vie appartiennent à l’Histoire. Remarquable.
Délicieux ! moi qui ai un peu connu les palais africains (mais moins cossus que ceux du Gabon), je m’y revois (je suis tout de même (bavez-en d’envie !) officier de l’Ordre national du Burkina-Faso !!!
Je ne connais de l’Afrique que le Maghreb et ne suis officier de rien du tout. Mais j’attends avec impatience la suite du récit de ce diable de grand reporteur du Monde. Diable, enfin, façon de dire. Qu’il m’excuse !
Je connais bien la plupart des pays d’Afrique francophone et j’y ai vu le faste ostentatoire des nouveaux riches côtoyer la misère des toujours pauvres. Mais j’y ai aussi entendu la critique méprisante de tel homme exceptionnellement intègre et récemment ministre, sous le motif qu’il quittait ses fonctions ministérielles aussi pauvre qu’il y était entré « sans avoir rien fait pour son village » au lieu de l’avoir fait bénéficier des retours attendus de ses fonctions. On tolère la fortune même douteusement acquise si elle a des miettes de retombées (en rapport avec la fortune supposée) sur le village d’origine, la famille et le clan.