Cette tribune de François Bousquet est parue sur Figarovox le 14 août. Nous partageons l’essentiel de son analyse qui mérite une lecture attentive. Nous avons vu, nous-mêmes, dans la révolte des Gilets jaunes à leur origine, une réaction salutaire du pays profond, Pays Réel, soudainement ressurgi. Et, en effet, cette réaction nous paraît pouvoir reprendre, s’étendre, engendrer d’utiles conséquences. JSF
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L’extrême-gauche a récupéré les « gilets jaunes » après les avoir méprisés, estime l’essayiste François Bousquet. Si la mobilisation perd beaucoup de sa force, les causes profondes du malaise ne sont pas réglées, argumente-il.
François Bousquet est journaliste et écrivain. Il participe à la revue Éléments. Il a publié notamment La droite buissonnière (éditions du Rocher, 2017), un essai sur l’influence de Patrick Buisson sur la droite française.
Le peuple orphelin cherche le bon gouvernement »
Son Panthéon, c’est la fosse commune. Ses Champs-Élysées, un rond-point. Sa garden-party, un barbecue. Voici, résumée à gros traits, la France périphérique, entrée par effraction dans l’actualité à l’automne 2018. Avant qu’elle ne se revête de jaune, quasiment personne ne voulait en entendre parler. Trente ans déjà que cette France-là a été rejetée dans les ténèbres extérieures. Un trou noir. Des millions de vies en jachère, enterrées vivantes sous les décombres des politiques de la ville, entre deux friches industrielles, entre deux commerces fermés, entre deux fermes à l’abandon, entre deux vagues d’immigration. Un pays englué dans ce que Louis Chauvel, l’un des très rares chercheurs, avec Christophe Guilluy, à avoir vu venir le mouvement des «gilets jaunes», a appelé la «spirale du déclassement», le grand fait social des trente dernières années. Or, ce déclassement est passé quasi inaperçu du pays central puisque la scène du crime a été rejetée dans les marges hexagonales: le peuple disparu, occulté des écrans-radars médiatiques. Il a refait surface, à l’automne, en bloquant les péages et en occupant les ronds-points, point nodal de cette périphérie, symbole de sa circularité: on tourne en rond dans un périmètre de 30 à 50 km, où tout a fermé, les usines, les épiceries, les cafés.
Pour une fois, ce n’était pas la rue qui manifestait, mais la route. Pour une fois, ce n’était pas la ville qui se soulevait, mais la campagne. Une sorte de démocratie participative 2.0 à ciel ouvert. Des réseaux sociaux aux réseaux routiers. Du jamais vu. Partout, un même slogan, peu ou prou: « Baissez les prix et le mépris ! » Aucun mouvement dans l’histoire récente n’avait suscité un tel engouement. Il est parvenu à coaguler une colère jusque-là disséminée, à l’image de la France périphérique dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Comment donner corps à ce mécontentement beaucoup plus homogène que l’inventaire à la Prévert à quoi on l’a trop souvent réduit, mais socialement atomisé et géographiquement dispersé? Un symbole – le gilet jaune – y est parvenu.
Au plus fort du mouvement, un vent de panique a soufflé sur l’Élysée. Impossible de ne pas songer à la prise des Tuileries ou à la fuite à Varennes, imprimées dans l’imaginaire collectif, au vu des images saisissantes du couple présidentiel poursuivi dans les rues du Puy-en-Velay, début décembre, après l’incendie de la préfecture. Alors pour beaucoup la jacquerie menaçait de se transformer en grand brasier collectif, la révolte en révolution. Mais le mouvement s’est progressivement délité en raison même de sa nature éruptive et fiévreuse, autant populaire que populiste.
Il faut dire que la réponse de l’exécutif a été à la hauteur de la vague jaune. Quelque 80 000 forces de l’ordre mobilisées chaque week-end, filtrant les gares et les péages aux portes des grandes villes noyées dans d’épais nuages de lacrymogène, l’emploi de LBD controversés, une surabondance de gardes à vue, des expulsions chahutées de ronds-points, des cahutes démontées, et même des lésions de guerre au dire de certains médecins.
Résultat: entre le dernier trimestre 2018 et le premier trimestre 2019, le mouvement a muté. D’une année à l’autre, ce n’étaient plus les mêmes lieux de manifestation, ni les mêmes manifestants, ni les mêmes options politiques. L’extrême gauche – qui regardait jusque-là les gilets jaunes comme l’expression d’un poujadisme honni et attardé – s’est invitée au cœur des défilés. Le cahier de doléances a été capté et détourné. À la demande de reconnaissance de la France périphérique s’est substituée une demande d’assistance qui n’était pas initialement à l’ordre du jour. Jusqu’au RIC, certes central, mais qui a viré à l’assemblée citoyenne avec les habituelles rêveries autogestionnaires du gauchisme. Les «gilets jaunes» demandaient un référendum sur les questions régaliennes, dont les enjeux liés à l’insécurité culturelle, pas sur la piscine municipale. Ils plébiscitaient même, à la différence des jacqueries d’Ancien Régime, le retour de l’État, mais un État qui aurait rempli le contrat hobbesien qui nous lie à lui. Or, il apparaît de plus en plus à beaucoup qu’il ne le remplit plus tant il a cessé d’être protecteur. Les sacrifices fiscaux et les contraintes légales qu’il exige n’ont plus la contrepartie attendue. C’est donc la nature même du pacte politique que les «gilets jaunes» ont remis en cause. D’où la crise, générale, massive, de la représentation, tant politique et syndicale que médiatique. Cette crise de la représentation est si forte qu’elle a eu ironiquement raison des «gilets jaunes»: qui les représente? Question restée en suspens jusqu’à ce jour.
Le philosophe Alain de Benoist a pu dire au début du mouvement que les «gilets jaunes» étaient en mesure d’exercer leur pouvoir destituant, en attendant d’exercer leur pouvoir constituant. Ce pouvoir de révocation, focalisé autour de la personne du Président («Macron démission!»), a échoué en raison même de la structure volatile du mouvement: son horizontalité, son spontanéisme, son inaptitude organique à se structurer, ses micro-rivalités intestines. Le «narcissisme des petites différences», pour parler comme Freud, a triomphé de l’unanimisme initial: dès qu’une tête dépassait, elle était dans la foulée coupée.
On touche ici les limites de la révolte populaire, observables sur la très longue durée. La vérité, c’est que le peuple ne s’organise pas tout seul, il est organisé. Il ne s’institue pas tout seul, il est institué. Il y a toujours une avant-garde, révolutionnaire ou pas ; une élite, conservatrice ou pas. Que nous disent la vague populiste ou le mouvement des «gilets jaunes»? Que l, le bon pasteur. Certes il veut choisir son maître, mais il cherche un maître, à l’instar des hystériques selon le psychanalyste Lacan, lequel ajoutait qu’elles ne cherchaient un maître que pour pouvoir le dominer. C’est de cela qu’il s’agit ici. Mais manifestement, les «gilets jaunes» ne l’ont pas trouvé dans les assemblées citoyennes.
Quid aujourd’hui de la révolte? Il y a toujours des chasubles jaunes au-devant des voitures, mais c’est désormais plus un phénomène de persistance rétinienne. Il y a toujours des gens qui battent le pavé chaque samedi pour maintenir une flamme plus que vacillante, mais le cœur n’y est plus. Post politicum animal triste.
Il n’empêche: il y a un avant et un après. Les raisons de la colère des «gilets jaunes» n’ont pas disparu dans le grand débat macronien. Elles sont objectives, structurelles, stratégiques. Elles augurent l’ouverture d’un nouveau cycle de révoltes, hors des corps intermédiaires, hors des médiations politiques traditionnelles défaillantes. Le harcèlement des élus et des permanences de la LREM, la grogne paysanne contre le Ceta, la réforme des retraites à venir, une économie structurellement en berne incapable de produire des richesses tangibles (la tertiarisation), les nouvelles vagues migratoires attendues, tout laisse à penser que les braises ne se sont pas éteintes, qu’elles ne demandent qu’à enflammer de nouveau la périphérie, pour peu que cette dernière apprenne de ses erreurs, renouvelle ses modes d’intervention et d’organisation, trouve enfin un débouché politique. ■
En effet, l’analyse de François Bousquet est remarquable.
Bonne analyse journalistique des faits.
Mais qu’en est il du fond?
Le bas peuple de France a compris même s’il a du mal à l’exprimer que la (les) sociétés ouvertes au monde, que l’élite nous proposent vont favoriser ces derniers et oublier (rendre esclave) la majorité des peuples de tout l’Occident, Amérique comprise.Le bas peuple est instruit, les élites le considèrent idiot. Les gilets jaunes paradent dans les voitures, ils sont obligatoire de part la loi. Ils sont naturellement exposés et expriment le trait d’union avec la possible prochaine réaction.
Pourquoi, parce que le Français est par nature souverainiste. Il attend patiemment la venu d’un souverain qui sache et puisse exprimer une autre manière de vivre ensemble, une manière qui n’oublie pas le socle historique et donc nos ancêtres. Voyez comment le peuple de France observe sans juger la position des Anglais envers la chose ,( l’Europe des élites). Ce peuple s’est battu pour la liberté contre le nazisme, combien de familles oubliées par nos élites parisiennes, ont encore le mal de l’absence d’un être cher, regardent avec dégoût les parades festives détournées de la bravoures de ceux qui ont combattu pour notre liberté.
Non le mouvement des gilets jaunes n’est pas encore terminé…La France profonde existe encore…
Macron s’est sorti d’affaire en transformant les « Etats Généraux » du grand débat national en one-man show, assez réussi sur le plan de la communication avec le soutien indéfectible de la presse audio-visuelle (ça sert les amis).
C’est pourquoi j’ai parfois rêvé d’un Louis XVI qui aurait tiré le char de la Révolution plutôt que de s’y vautrer… D’autant que toutes les lois de la Constituante sortaient des tiroirs de la monarchie de Versailles.
Nul ne sait ce que donnera la rentrée. Les syndicats obsolètes peinent à exister, la fin des régimes spéciaux est leur dernière aubaine. Mais je ne crois pas que la réforme des retraites mobilisent la classe moyenne en dehors de la fonction publique.
Les revendications « politiques » ont disparu, le RIC ne fait plus rêver, comme la VIè République d’ailleurs. L’antiparlementarisme reprend des tours contre les godillots qui finiront par avoir peur.
Il a répondu à « je suis Français »…
« Être Français c’est embrasser une histoire d’amour de la liberté. »
LCI hier soir, phrase sortie à Bormes les Mimosas de la bouche de notre très cher président.
A chacun de nous d’apprécier « cette histoire d’amour de la liberté » qu’il a si bien exprimé envers les « Gilets jaunes »?
Ma grand mère disait avec humour et amour, qu’avec des mots , on pouvait refaire le monde.
Pour Louis XVI: je ne serais pas aussi dur, pour le reste nous sommes bien d’accord, les républicains n’ont fait qu’accélérer l’histoire déjà écrite.
Les Français rêvent d’un souverain ou d’un homme providentiel, mais ils rêvent tout autant de pouvoir exprimer leurs envies, cette république ne répond pas aux besoins collectifs souhaités. Vivre ensemble c’est la grande histoire humaine, à nous d’en trouver les moyens et la méthode, demain nous ne serons plus présent pour…
« Les Français rêvent d’un souverain ou d’un homme providentiel, mais ils rêvent tout autant de pouvoir exprimer leurs envies », écrivez-vous… Le malheur (ou l’évidence) est que leurs envies sont absolument contradictoires et schizophréniques. « Moins d’impôt, plus de subventions ! », « Plus de sécurité, mais davantage de liberté ! », « Enseignement du même niveau pour tous, mais maintien des écoles campagnardes », « Pas de santé à deux vitesses, mais maintien des maternités dangereuses »… et ainsi de suite.
Il faut un chef qui prend des décisions et que l’on suivra, même s’il change de barque au milieu de la rivière. Comme le Général.
La démocratie c’est accepter la défaite devant la majorité, fusse t-elle imperceptible. Or, notre actuelle démocratie Occidentale que l’on impose dans le monde entier, n’est qu’une dictature de la vie imposée par des élites prétentieux. Vous dites des maternités dangereuses, il faut définir ce qui est dangereux. On meurt dans de très grands hôpitaux des métropoles occidentales. Il ne faut pas confondre, savoir faire et rentabilité. Mon mécanicien auto s’est faire, mon vendeur d’automobile cherche la rentabilité derrière des mots. Le Français et tous les Occidentaux ne sont pas « schizophréniques » ils ne sont pas non plus contradictoires; ils désirent tout simplement que les élites les respectent, ce qui n’est plus le cas. Le progrès d’une maladie que l’on ne sait pas soigner , le progrès d’un cancer ce n’est pas un progrès. L’actuel progrès qui nous entoure qui vient d’un siècle de découvertes et de savoir faire, devient par mensonge financier un cancer pour la majorité des peuples occidentaux et les Français expriment leur angoisse à leur manière. Pour le général je suis d’accord…Mais pour Napoléon, le peuple la suivi dans sa marche des cent jours dans les Alpes. Les envies ne sont pas contradictoires, combien de filles et de fils de Français dits moyens sont actuellement au chômage, sans aucune vison de leur vie, déplacés par les études , loin de leurs familles, sans attache et sans horizon. Un souverain, oui, mais un souverain qui s’appuie sur l’histoire d’un grand peuple, qui a construit en plus de deux mille ans son pays; avec des hauts et des bas j’en convient.
Le mouvement n’est pas fini. Le feu couve sous la cendre et Macron en est l’étincelle. Le peuple qui n’est pas écouté commence à ne plus avoir grand chose à perdre parce que tout ce qui faisait partie de l’art de vivre en France n’existe plus même pour les nantis. Sans être nostalgique d’un passé révolu il est évident que la vie journalière n’enclin pas à l’espérance d’une amélioration. Tout casser pour faire naître autre chose est une tentation dangereuse.