Par David Brunat.
Cette tribune publiée hier sur FigaroVox exprime fort bien l’impression générale de majesté, de maîtrise de soi et de parfaite incarnation de l’identité du peuple britannique – dans la longue durée, le temps de l’Histoire – que l’allocution de la reine Elizabeth II a suscitée en France et dans le monde. Impression qui tient à la fois de la personnalité exceptionnelle de cette reine, du long temps de son règne, et du charme séculaire de la royauté. L’on nous dira, une fois de plus, que cette monarchie n’est pas la nôtre. Ce qui est d’une heureuse et banale évidence. À nous, si nous en sommes capables, de faire la monarchie que nous-mêmes, les Français et les circonstances voudront. En attendant, ce qui n’est pas notre cas, la nation britannique conserve et cultive son identité et sa souveraineté, qu’incarne sa souveraine, même si le royaume connaît lui aussi les crises sociales que traversent les autres pays de l’ancien Occident.
« Inquiète est la tête qui porte une couronne », fait dire Shakespeare au roi d’Angleterre Henry IV dans la pièce qui porte le nom de ce souverain emporté au début du 15e siècle par une redoutable maladie infectieuse : la lèpre.
Que dirait aujourd’hui le plus grand dramaturge anglais s’il lui était donné d’écrire sur Elizabeth II, si sereine dans l’adversité, impassible mais humaine, sensible, maîtresse d’elle-même, en un mot: royale? Tout le contraire, sans nul doute.
Car sous cette couronne, comme nous l’avons vu avec éloquence dimanche soir, ce n’est pas une tempête qui souffle, mais un esprit de calme qu’on n’ose qualifier d’olympien quoiqu’il vaille bien celui des dieux ; c’est un sang-froid manifeste et majestueux (ce bon sang-froid qui ne saurait mentir), un flegme qui n’est pas seulement britannique, pas simplement monarchique, mais qui appartient en propre à cette reine dont le caractère et le destin ont été forgés à l’épreuve de la guerre, du Blitz, des bombes, de la lutte pour la liberté, et du combat parfois ardu lui aussi pour maintenir dans les orages tout l’éclat, la popularité et la dignité de la Couronne en dépit des turpitudes de son entourage, des scandales et des tragédies, depuis la disparition de Lady Diana jusqu’à l’implication de son fils Andy dans l’affaire Weinstein, sans oublier la rebuffade de son petit-fils chéri Harry prenant ses cliques et ses claques loin d’Albion avec sa dulcinée qui étouffait, dit-on, à la Cour de Sa Gracieuse Majesté.
Mesure pour mesure, Elizabeth aurait toutes les raisons d’être habitée par l’inquiétude. Le monde tremble, le voici comme dans Macbeth «full of sound and fury», semblable à une fable insensée dite par un fou, un idiot, un malfaisant.
La Grande-Bretagne est frappée de plein fouet par l’épidémie après l’avoir longtemps tenue à distance, snobée, niée avec une sorte de morgue insulaire. Le cœur du pouvoir politique est atteint. Le Premier ministre actuel, ce concentré remuant et déconcertant de Falstaff et du bouffon Feste de la «Nuit des rois», est actuellement à l’hôpital.
La Reine n’est pas même épargnée dans son cercle le plus intime puisque son fils et héritier du trône a été infecté comme n’importe lequel de ses Sujets par le Covid-19, qui ne fait pas de distinction de rang et d’étiquette et qui, dans son aveugle puissance égalisatrice, fond aussi bien sur les Grands que sur les humbles.
On n’avait pas attendu cette crise pour savoir quel modèle de résilience représente la reine depuis son accession au trône en 1953. Modèle de durée, de constance, d’endurance, d’adaptation, d’intelligence des situations et des gens, de sens politique habilement caché sous un masque de réserve constitutionnelle et de discrétion bienséante véritablement royale ; modèle, pour toutes ces raisons et d’autres encore, de leadership, sans aucune faute, sans nulle outrance ou dérapage depuis tant d’années (en dehors de quelques tenues vestimentaires aux couleurs audacieuses), sans nulle forfanterie encore moins, et avec une conscience aigüe de son devoir et de ce que Louis XIV appelait « le métier de roi. »
Mais l’épidémie perfide qui frappe Albion comme le reste du monde vient rehausser encore, s’il en était besoin, la légende et la stature de cette souveraine robuste comme la tour de Londres alors qu’elle compte 93 printemps et en célébrera un 94e dans le courant de ce mois d’avril où, hélas, la vie de tant de personnes ne tient qu’à un fil.
Nul doute que les quatre minutes de son intervention depuis Windsor resteront comme un des moments les plus émouvants et les plus marquants de son règne, et pas seulement en raison de la rareté de ses prises de parole publiques et du caractère dramatique des circonstances.
En quelques mots empreints d’une noble empathie pour son peuple et pour tous ceux qui souffrent, en quelques symboles, en quelques rappels historiques poignants (exhaussés par une photographie d’elle avec sa sœur Margaret prise en 1940, à un moment où l’existence même du Royaume-Uni était en péril et où la famille royale prit des risques pour entretenir le courage des Britanniques), elle a ajouté une nouvelle page au livre si long, si plein, si riche de sa vie, et à l’histoire tumultueuse de la royauté anglaise. Au point de faire mentir le proverbe selon lequel le silence est d’or.
Un dimanche des Rameaux pas comme les autres, donc, où la chef de l’Église anglicane qu’est Elizabeth II a parlé de «prière» dans son allocution, profane mais où perçait le souvenir de l’onction sacrée des rois et des reines d’outre-Manche.
Parfois il est bon de pouvoir compter sur celui ou celle qui incarne l’unité, la continuité, la solidarité de la nation.
Grande est l’épreuve que traversent les peuples aujourd’hui. Et à défaut du «tout est bien qui finit bien» d’une célèbre pièce de Shakespeare, puissions-nous nous exclamer un jour, et le plus proche sera le meilleur: «Peut-être est-il vrai qu’il n’existe pas de remède contre l’amour», comme l’assure le même Shakespeare dans … Les joyeuses commères de Windsor, «mais il en existe dorénavant un contre le Covid 19». C’est le plus grand souhait que l’on puisse former aujourd’hui pour le monde.
God save the Queen. And all of us. ■
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Juste et bel article ; David Brunat note bien à propos le caractère propre de la Reine Elisabeth dans le prestige de la Monarchie Britannique , outre le côté bénéfique de cette Institution , outre les qualités de maîtrise et ténacité attribués à de ce peuple .
Le joug démocratique sous lequel ont du plier les couronnes européennes , au XX e semble avoir épargné cette Reine ( en dépit de la démocratie du pays ) . Que fallut il donc sinon un une personnalité hors du commun ? Parlera t ‘on , dans le futur , d ‘ Elisabeth II la Grande ?