Il y a 116 ans, le 25 août 1903, Frédéric Amouretti mourait à Cannes, âgé à peine de 40 ans. Cʼest lʼoccasion de revenir sur la relativement courte mais intense vie de celui qui peut être considéré comme lʼun des amis de jeunesse les plus proches de Charles Maurras, à qui ce dernier a dédié la préface du Chemin de paradis, écrite en mai 1894.
Cʼest dans ce sens quʼAndré Cottez a pu affirmer quʼil fut le précurseur du nationalisme intégral dans une monographie publiée par Plon en 1937, à lʼépoque où lʼAction Française était à son apogée.
Pour mieux connaître cette personnalité importante de l’histoire du royalisme français, nous reproduisons une partie de la brève biographie que lui a consacrée Jean Gavot dans le texte Cent ans de Félibrige à Cannes[1], laquelle a été rédigée pour le centenaire de la naissance de Frédéric Amouretti. Rémi Hugues ■
[Note : L’article précédent s‘achève par une profession de foi et d’espérance provincialiste…]
Nous ne sommes pas les premiers dans cette espérance. Les chefs-d’œuvre de Mistral sont tout gonflés de cette idée. Nous envoyons au Maître nos souhaits passionnés. Un Mistral, ne l’ignorons pas, la nouvelle génération, non contente de l’aimer et de l’admirer, le comprend.
Et vous, Monsieur le Capoulié, vous qui fûtes des rares esprits par qui l’idée mistralienne ait été pleinement embrassée, sachez bien que nous sommes avec les héros de votre « Romancero ». Et nous entendons les soupirs de votre dame Guiraude, vaincue et jetée dans un puits par les hommes méchants, qui ont le poil roux.
Li gènt marrit de la crousado,
Lis ome qu’an pelage rous,
L’an tirassado
E piei l’an tracho emé courrous Au founs d’un pous.
Au founs dóus pous, enca souspiro,
Alor li cler e li ribaud
Emé grando iro,
L’an acabado à cop de palo
E de caiau. I’a sièis cènts an qu’es aclapado,
Mai s’au pous anas escouta,
Sous li calado
Ausirès une vouès canta :
LA LIBERTA.
Les gens mauvais de la croisade,
Les hommes qui ont le poil roux,
L’ont traînée, puis l’ont jetée avec courroux,
Au fonds d’un puits.
Au fond du puits, elle soupire encore,
Alors les Clercs et les ribauds
Avec grande ire l’ont achevée,
A coup d’épieux et de cailloux.
Il y a 600 ans qu’elle est enfouie,
Mais si au bord du puits, vous allez écouter, Sous le tas de pierres,
Vous entendrez une voix chanter :
LA LIBERTÉ.ʼʼ
C’est sur cette puissante évocation de la Croisade Albigeoise, en réalité la lutte du Nord encore barbare contre le Midi déjà hautement civilisé, le Midi des troubadours et des Cours d’Amour, par laquelle Félix Gras, dans son émouvant Romancero, a exalté le souvenir des libertés méridionales perdues, que s’acheva la proclamation des jeunes félibres fédéralistes de Paris.
De ce régionalisme intégral, qui devait le conduire plus tard au nationalisme intégral de l’Action Française, Frédéric Amouretti resta toute sa vie le fidèle et fougueux paladin.
Comme l’a dit Kafka, l’homme ne peut vivre sans une confiance durable en quelque chose d’indestructible en soi.
Mais, au moment, cette fameuse déclaration n’alla pas, je l’ai dit, sans provoquer stupeur et remous. Après le tonnerre, l’orage creva: le préfet de la Seine s’en émut et fit des représentations à M. Sextius Michel, (Photo) qui cumulait les fonctions de président du Félibrige de Paris et de maire du 15e arrondissement. Au sein même du groupement félibréen de la capitale, une violente crise, qui se résolut par l’exclusion solennelle de Charles Maurras et la démission de douze jeunes félibres qui allèrent fonder avec lui, et sous la présidence de Frédéric Amouretti, l’Ecole parisienne du Félibrige.
Dans un compte rendu de ces incidents relatés par Le Viro Soulèu, l’organe du Félibrige parisien, il est dit : – Ce Frédéric Amouretti, qu’es un tron de Dièu, avié pastascla dins la poulitico…, etc.
En Provence, dans tout le Midi, la déclaration fut accueillie avec enthousiasme par la jeunesse, notamment à Marseille, où le poète Auguste Marin (Photo) la signa sur l’heure et la porta aux bureaux du journal Le petit Marseillais, qui en assura la plus fracassante publicité.
On se doute que tous les félibres ne partageaient pas cet estrambord; bien au contraire, il y eut des rumeurs de réprobation chez un grand nombre d’entre eux, qui ne demandaient qu’à jouir de la douce quiétude dans laquelle ils avaient jusqu’alors vécu, accusant les auteurs du manifeste de sombres desseins contre les vieux félibres. La querelle des anciens et des modernes sera de tous les temps.
Mistral, toujours olympien, sut sagement calmer les inquiétudes, tout en soutenant, dans le journal L’Aiòli, le petit groupe naissant de ces jeunes qui venaient mettre leurs ressources d’intelligence et de cœur au service de la pensée développée dans son œuvre. Avec ce don de prophétie qu’on lui a reconnu, l’Altissime poète prévoyait le cheminement de ce régionalisme promu de leur bruyante manifestation.
Au vrai, en y regardant de près et dans la sérénité du recul, les propositions de leur déclaration jugées alors brutales, on pourrait, je pense, reconnaître que leur idée essentielle, qui n’a rien perdu de son actualité, est entrée dans les conceptions les plus officielles. La mise en œuvre d’un IVème plan d’équipement et de grands travaux dans l’ordre de régions territoriales économiques, apparaît, en effet, sur ce point du moins, comme une première réalisation de ce que réclamaient, si haut, Frédéric Amouretti et ses amis.
Mais qui était Frédéric Amouretti ? Il est temps que je le situe devant vous, dans sa biographie d’abord, en m’aidant de la remarquable étude que lui a consacrée André Cottez, docteur ès-lettres, ès-sciences politiques et ès-sciences juridiques, parue aux éditions Plon en 1937.
Le père de Frédéric — Étienne Henri Amouretti — avait vu le jour à Toulon. Il entra à l’école de médecine navale où il fit carrière. Promu au grade de docteur en médecine à la Faculté de Montpellier, il prit sa retraite comme médecin principal de la Marine, s’établit alors à Cannes où, entre temps, il s’était marié et où, désormais, il se consacra à une clientèle civile. Il y mourut le 3 avril 1883.
La mère de Frédéric, une Cannoise, se nommait Anne-Marie Guigon.
Quant à Frédéric, il vint au monde à Toulon, où le père exerçait alors des fonctions dans la marine, le 18 juillet 1863.
La plus grande partie de son enfance et de sa jeunesse se passera à Cannes, où il fera de brillantes études secondaires au collège catholique Stanislas. (Photo en tête d’article) Sur les bancs de ce collège, Frédéric fera la connaissance de celui qui sera le duc d’Orléans (Photo) et dont, aux côtés de Maurras, il se fera et restera, jusqu’à sa mort, le champion de sa cause… une cause perdue… fors, sans doute, l’idée régionaliste qu’il avait quant à lui rattachée au rétablissement du principe monarchique. (A suivre) ■
[1]https://www.cieldoc.com/libre/integral/libr0368.pdf
Dossier préparé par Rémi Hugues