Questions – Réponses après les élections en Saxe et au Brandebourg
Que dire, en bref, des résultats des élections de dimanche dernier dans les deux länder de Saxe et du Brandebourg ?
Si on les considère du point de vue de l’actualité immédiate, le nez dans l’instant, comme le font les chaînes d’information en continu, ces résultats n’ont rien d’extraordinaire. Ils étaient plus ou moins prévus : les deux grands partis qui gouvernent l’Allemagne depuis l’après-guerre poursuivent leur déclin. Lent et modéré, mais, semble-t-il, inéluctable, pour la CDU-CSU. Rapide et profond pour le SPD. Soit dit en passant, ces deux partis historiques ne peuvent plus constituer à eux seuls une grande coalition majoritaire. Ils ont besoin d’un allié, en l’espèce les Verts.
Si, au contraire, l’on considère ces résultats dans la perspective historique de de l’après-guerre mondiale, alors, ils sont une révolution. L’apparition de l’AfD dans l’univers politique allemand (2013), sa montée en puissance relativement rapide, son entrée en force au Bundestag avec plus de 90 députés (septembre 2017), et enfin ses résultats électoraux de dimanche dernier en Saxe et au Brandebourg, c’est bel et bien une révolution.
Pourquoi une révolution ?
Parce que depuis l’après-guerre, en raison des conditions spécifiques de sa défaite crépusculaire de 1945, l’Allemagne, complexée et repentante, se voulait une démocratie exemplaire qui s’interdisait toute expression d’un quelconque nationalisme allemand, ou a fortiori d’un quelconque souci identitaire. Il n’existait pas, ne devait exister, en Allemagne aucune organisation de quelque importance, aucun parti politique, qui puissent être pointés comme d’extrême-droite selon le vocabulaire habituel et la classification traditionnelle des médias. Or l’AfD existe, elle professe un nationalisme et un souci identitaire décomplexés, qui auraient été perçus et condamnés il y a dix ans presque comme un péché, au sens religieux du terme. Et l’AfD a fait maintenant sa place au sein de l’institution parlementaire fédérale autant que régionale, elle est installée dans tous les länder, elle multiplie les scores électoraux en hausse, etc. C’est incontestablement une révolution.
Qu’est-ce qui a permis que cette révolution se produise ?
On peut se risquer à envisager trois causes. La première est que le complexe de culpabilité qui avait envahi l’âme allemande au sortir de la guerre, et pour longtemps, devait bien finir par s’éroder un jour. Il semble que ce soit aujourd’hui chose faite, sans doute pour au moins un tiers de l’opinion allemande. Et assurément beaucoup plus, au sein des jeunes générations.
Mais surtout, l’AfD doit son succès à deux facteurs déclenchants plus actuels et plus déterminants : les institutions européennes et Angela Merkel.
La première AfD s’est surtout opposée à l’Euro et aux abandons de souveraineté que l’Allemagne devrait consentir à Bruxelles.
Quant à Angela Merkel, en appelant un million de migrants à entrer en Allemagne, à l’automne 2015, il est certain qu’elle est l’acteur involontaire mais principal de la réaction populaire ou populiste qui a porté la vague de l’AfD. Jusque où ira-t-elle ? Ce qui est certain c’est qu’actuellement elle se poursuit et pas seulement à l’Est, comme on le dit trop souvent, mais aussi à l’Ouest. Même si sa progression y est moindre, elle n’est pas inexistante. Il faut noter d’ailleurs que la crainte des succès de l’AfD a conduit le courant conservateur traditionnel à une certaine droitisation des programme politiques. Ainsi de la CSU en Bavière.
Peut-on se forger une idée de l’évolution des forces à venir entre les trois grands partis allemands actuels ?
Un analyste subtil des questions internationales, Vincent Hervouët, observe que, comme ils ont conservé malgré tout le pouvoir partout, les partis traditionnels sont bien décidés à ne rien modifier de leurs idées politiques comme de leurs pratiques.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’érosion des partis traditionnels devrait se poursuivre et en parallèle l’AfD devrait continuer de grandir. L’AfD, c’est à dire le courant nationaliste et identitaire.
Certains milieux s’inquiètent de ce retour de l’Allemagne ou d’une partie de l’Allemagne au nationalisme identitaire. Ce dernier menace-t-il la France comme jadis ?
Pour l’avenir à long terme, on ne peut jurer de rien. L’Allemagne a toujours été, du moins jusqu’au milieu du siècle dernier, ce grand peuple guerrier dont De Gaulle admirait les vertus militaires. Pour parer aux circonstances – allemandes ou autres – que peut nous réserver un avenir plus ou moins lointain, la France doit donc maintenir, actualiser, si possible accroître sa capacité militaire. Ce qui, d’ailleurs, ne se sépare pas de sa puissance économique, notamment industrielle, pas plus que de sa santé politique et morale, aujourd’hui terriblement dégradée.
Pour l’heure, et sans-doute pour longtemps, l’analogie historique avec les confrontations franco-allemandes du siècle passé ne peut pas, selon nous, être soutenue,
D’abord parce que la renaissance d’un certain nationalisme et identitarisme allemands à laquelle nous assistons n’est pas à ce jour dirigée contre les pays voisins, mais contre la vague d’immigration massive mortifère que nous-mêmes subissons comme toute l’Europe, et, d’autre part, contre l’Europe postnationale ou supranationale qui demeure le projet conduit pas les institutions dites européennes de Bruxelles. En ce sens, la réaction allemande qui se fait jour autour de l’AfD n’a pas à voir avec les conflits de jadis. Elle nous paraît au contraire s’apparenter, au sens plein du terme, avec les luttes actuelles des différents peuples européens pour la sauvegarde de leurs héritages respectifs – ou même, pour une part, communs – et pour leur survie. Il est arrivé dans l’Histoire que les Européens se retrouvent, pour un temps, unis contre un même danger extérieur. Il nous semble que nous nous trouvons dans ce genre de circonstances plutôt qu’en 1870, 1914-1918 ou 1939-1945.
Quant à l’hégémonisme de l’Allemagne en Europe, qui ne tient ni à ses capacités militaires à peu près nulles, ni à sa démographie qui fait d’elle un peuple âgé, mais à ses succès économiques, concomitants avec le décrochage de la France, dont nous sommes, hélas ! seuls responsables, il ne dépend que de nous de le relativiser en organisant, comme il nous est arrivé de le réussir dans le passé, notre redressement. JSF ■
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