Par François Marcilhac.
« Au niveau national, le gouvernement commence à réagir, mais cela reste chaotique. […] Nous avons été loin d’être efficaces pour des raisons économiques. […] Depuis trop longtemps, on a laissé les intérêts financiers et personnels prendre le pas sur l’intérêt général. Dans la gestion de cette crise, on s’aperçoit que finalement l’Europe est complètement invisible. La crise montre que les concepts et les idées sont loin de la réalité des gens qui sont confinés chez eux. L’économie en prend un coup et pour la santé, la réalité que le monde médical a toujours pointée du doigt apparaît au grand jour. […] J’espère que le gouvernement saura redresser la barre. »
En peu de mots simples, accessibles à tous les Français, le comte de Paris a tout dit, ce 3 avril dernier, sur M Ta Ville, un magazine en ligne drouais. [1] La gestion « chaotique » de la crise par le gouvernement, appelé à « redresser la barre », une politique à court terme, privilégiant « les intérêts financiers et personnels » aux dépens de l’intérêt général, notamment en matière de santé publique, et là, si Macron a encore aggravé les choses, depuis juin 2017, il s’est toutefois inscrit dans la lignée de ses deux ou trois prédécesseurs ; la déconnexion de la communication gouvernementale avec le vécu des Français et, plus encore, celle de l’idéologie avec la réalité du terrain — Macron est passé maître en la matière ! — ; enfin, l’invisibilité totale de l’Europe, en matière d’efficacité, bien sûr, car elle s’agite, elle ne sait même ne faire que cela, mais exécuter des moulinets avec les bras n’a jamais fait reculer le covid-19 !
Qu’Ursula von der Leyen, la présidente allemande de la Commission européenne, ose déclarer, dans une récente tribune à la presse européenne [2] que la « solidarité est au cœur même de l’Europe » et que « c’est ce qui va lui permettre de renaître », s’apparente plus à la méthode Coué qu’à une analyse lucide de la situation. « Aujourd’hui, ajoute-t-elle, l’Europe répond “présent” et travaille d’arrache-pied chaque jour pour sauver le plus de vies possibles, protéger le plus d’emplois possible et pour relancer notre économie le plus possible. » Elle oublie de préciser que c’est à travers l’aide interétatique que s’est organisée la solidarité entre les différents pays européens, et qu’il ne pouvait en être autrement, car le niveau interétatique, reposant sur les réalités nationales, est celui de l’efficacité — une efficacité que l’idéologie européenne et la lourdeur de la machinerie bruxelloise ne pouvaient qu’enrayer, en déplorant un « chacun pour soi » qui n’était que l’application de mesures de précaution légitimes et pertinentes. Il est vrai que Macron s’est alors particulièrement illustré en ravi de la crèche européenne, avant d’être ramené à la réalité par ses partenaires européens. L’Europe, comme l’a fort justement souligné le comte de Paris, a été en la matière « invisible ».
Quant au redémarrage de l’économie qu’elle souhaite, son apologie de la politique européenne est aussi un aveu cinglant des rigidités contre-productives des traités européens, puisque c’est en y dérogeant qu’il sera possible de limiter les dégâts : « Pour y arriver, nous avons pris, ces dernières semaines, des mesures sans précédent dans notre histoire. Nous avons assoupli les règles en matière d’aides d’Etat afin que les Etats puissent soutenir les grandes et les petites entreprises. Nous avons assoupli nos règles budgétaires afin que les budgets nationaux et européens puissent aider au plus vite ceux qui en ont besoin. Cela a permis aux institutions européennes et à nos Etats membres de dégager une enveloppe de 2 800 milliards d’euros pour lutter contre la crise – soit plus que partout ailleurs dans le monde. » L’Europe a ainsi dû manger son chapeau pour répondre aux défis qui l’attendent, en mettant provisoirement fin à son si précieux Pacte de stabilité et de croissance, qui prévoit notamment que le déficit public d’un pays ne peut dépasser 3 % du PIB et que son endettement ne peut excéder 60 % de ce même PIB. On ne peut mieux désigner les handicaps structurels que constituent des traités dont la logique strictement financière est un obstacle à la réactivité nécessaire. Comment ne pas comprendre que ces obstacles, que les États membres de l’Union européenne sont les seuls à s’imposer dans un monde globalisé, constituent un frein permanent à nos économies respectives et pas seulement en situation de crise pandémique ?
Enfin, Von der Layen appelle de ses vœux un « plan Marshall pour l’Europe », …tout en taisant le refus de Merkel et de pays du nord de l’Europe — toujours les mêmes — de constituer un fonds reposant sur des coronabonds, à savoir un emprunt commun, impliquant une mutualisation de certaines dettes, qui viendrait en complément de ce plan. « Un plan Marshall de cette nature contribuera à bâtir une Europe plus moderne, plus durable et plus résiliente. J’en suis convaincue : c’est cette Union qui peut et qui doit émerger de cette crise, tout comme elle l’a fait après chaque crise de notre histoire. Dans ce grand défi, l’Europe aura besoin d’une chose plus que tout : la volonté partagée d’un avenir commun, où chacun est solidaire des autres. » Rien n’est moins sûr, tant les intérêts des Etats membres sont divergents, non en raison des égoïsmes nationaux — concept psychologique qui n’a rien à faire en la matière —, que parce que les réalités nationales demeurent pérennes en matière économique, financière, culturelle — car le refus de l’Allemagne et de certains Etats du nord est aussi, peut-être avant tout, un refus culturel, comme l’a bien montrée la crise grecque : l’économie n’est pas qu’affaire de chiffres !
En revanche, l’Europe ne cesse pas d’apparaître comme la marâtre de certains de ses Etats-membres, dont les choix souverains lui déplaisent ! La Hongrie, par exemple, risque de faire encore les frais des rodomontades de la présidente allemande : il n’est pas certain qu’elles impressionnent beaucoup Viktor Orban. De même, alors qu’elle est au beau milieu d’une pandémie, les ministres des affaires étrangères de l’UE ont donné leur feu vert pour lancer les discussions d’adhésion avec l’Albanie et la Macédoine du Nord ! Ou comment la machinerie bruxelloise impose ses étranges priorités aux Etats membres !
Le mérite de cette pandémie aura au moins été de montrer que l’Europe est nue : seule la solidarité interétatique est efficace, seuls pourront surgir des compromis âprement négociés, dans lesquels ne pèseront que les Etats décidés à faire prévaloir la seule souveraineté qui existe, la souveraineté nationale. L’Europe n’est pas une réalité transcendante, dépassant les Etats-membres : en tant que telle, elle n’existe pas, la « souveraineté européenne », si chère au cœur de Macron, est une chimère, elle est « invisible », pour reprendre le mot du Prince. Certes, prédire que l’Union européenne ne survivra pas au covid-19 relèverait, aussi, de la méthode Coué. La machinerie bruxelloise, les intérêts de nombreux Etats-membres, l’idéologie européiste des élites françaises, l’inertie des peuples européens, qui ne voudront pas vivre une nouvelle aventure au lendemain de la pandémie, tout concourt pour que l’Europe n’éclate pas de si tôt. Du reste, ce n’est pas tant son éclatement que nous devons souhaiter qu’une sortie encadrée, coordonnée, pragmatique ; conforme à l’intérêt national. ■