Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Vendredi 18, sur France Inter, M. Seux, chroniqueur économique, par ailleurs directeur délégué de la rédaction du journal Les Échos, déclare qu’« on ne peut pas forcer une entreprise japonaise à venir en France comme on ne peut pas la forcer à rester ».
Petite leçon de libéralisme que le personnel de l’usine Bridgestone de Béthune aura appréciée. M. Seux aurait dû ajouter, pour être complet : « parce que cela est contraire à tous les principes de l’économie mondialisée ».
« On ne peut pas » signifie donc ici : « on n’a pas le droit ». Or, un Etat contraint par de tels règles et usages internationaux n’est pas un Etat pleinement souverain, l’attribut de la souveraineté, dans ce cas-là, étant bien de pouvoir, au sens d’être capable, imposer ses conditions à l’entrée et à la sortie, et s’il le juge bon, de pouvoir ne rien autoriser.
L’échec industriel et le drame humain de Béthune s’inscrivent dans une longue histoire. Voilà bientôt cinquante ans, depuis la présidence de M. Giscard d’Estaing, que l’Etat français a résolument opté pour une stratégie euro-mondialiste fondée tout à la fois sur une désindustrialisation assumée au profit des « services » et une dérégulation financière caractérisée par la libre circulation du capital sans transparence ni contrepartie véritables. Tous les présidents et Premiers ministres qui se sont succédé depuis 1994 ont respecté, pour l’essentiel, ce double dogme néo-libéral. Rares sont les politiques qui s’y sont clairement opposés : ils ont été marginalisés au sein de leur propre famille politique, par exemple M. Chevènement (à gauche) ou Philippe Séguin (à droite). Alors que le secteur industriel était victime de coupes claires (la France a ainsi perdu, dans les seules vingt premières années de ce siècle, près de la moitié de ses entreprises industrielles), des groupes étrangers s’installaient et profitaient de facilités et avantages financiers tout en conservant une quasi totale liberté de manœuvre.
Ainsi, on peut considérer comme avéré que Bridgestone a sciemment programmé et organisé la fin de son usine de Béthune. D’une part, il la cantonnait volontairement à la fabrication de pneus de milieu de gamme : les moyens et objectifs du mort-né « pacte de compétitivité » proposée par la direction en 2019 étaient d’une insuffisance notoire, alors même que l’équipementier nippon avait reçu 1,8 million d’euros d’argent public français en 2018, au titre du CICE. D’autre part, il favorisait l’excellence de ses usines de Pologne et Hongrie pour lesquels il sollicitait et obtenait des subventions de l’UE ! C’est M. Roussel, député PCF du Nord qui a levé le lièvre, une enquête du Figaro (jeudi 17 septembre) confirmant les investissements de Bridgestone pour ses sites de Pologne et Hongrie avec participation effective de l’UE au moins pour la Pologne !
Toutefois, ne sont coupables dans cette affaire ni la direction de Bridgestone qui ne fait que profiter d’une situation de fait et de droit, ni l’UE qui poursuit par sa nature même des objectifs supranationaux. Le seul coupable reste le pouvoir politique français dont le parti pris idéologique, jamais démenti depuis un demi-siècle, aura forcément joué un rôle déterminant dans ce fiasco. Aussi, la réaction scandalisée et visiblement surjouée des politiciens affiliés aux partis dits « de gouvernement », de droite et de gauche donc, n’a-t-elle qu’une explication : une feinte amnésie particulièrement contagieuse à l’approche de certaines échéances électorales.
Le premier devoir de l’Etat reste d’assurer la protection du pays dans tous les domaines. En matière économique et financière, on doit en revenir aux notions de norme et de régulation. Sans elles pas de réindustrialisation raisonnable possible, pas de défense contre les abus de la finance internationale.
L’économiste Thomas Piketty, dont l’engagement politique à gauche est bien connu, vient de proposer (France Inter, jeudi 17) un protectionnisme « incitatif », visant à lutter contre toutes les formes de dumping (dont la Chine est le meilleur exemple). Voilà qui obligerait à poser d’abord la question de la frontière (France ? UE ?) ; cela fait, cette forme de protectionnisme constituerait sans doute un bon début. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
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Dumping ou pas dumping, comment une industrie française de main d’oeuvre peut elle préserver des emplois payés 1400€ alors qu’ailleurs ils sont de 200€? Le libéralisme apatride tue les emplois, détruit le tissu économique, sa nature est d’ignorer les frontières, les souverainetés nationales. Quand les Français comprendront ils l’origine de leurs drames? Giscard se faisait de la bimbeloterie qu’on pouvait laisser aux Chinois. On voit 40 ans plus tard le résultat: une France dans industrie. C’est dramatique
Bravo à LJD et à Escaich !
Par ailleurs, savez-vous pourquoi Baroin ne se déclare pas contre Xavier Bertrand ? Essayez de deviner….