Alain-Gérard Slama vient de faire un peu comme la Justice, qui a condamné un coupable unique, Jérôme Kerviel, alors que le moindre quidam, même éloigné des subtilités de l’économie ou de la finance, sait bien qu’à ce stade là il est tout à fait impossible qu’un seul individu soit responsable – et coupable – de ce qui s’est passé….
Et que, en fait, c’est tout un système qui est responsable et coupable…
Oui, Alain-Gérard Slama vient de faire un peu la même chose, dans son billet du Figaro Magazine du 9 octobre (page 129). Avec un sens (?) stupéfiant du raccourci et de la synthèse (on parlera plutôt de simplification outrancière, virant au simplisme…) il « condamne » Maurras, coupable unique de l’antisémitisme, bouc émissaire tout trouvé, responsable de tout, pour tout et pour tous. Et, même, d’avoir inspiré Pétain dans son antisémitisme !
Slama écrit :
« Pétain n‘a pas fait autre chose que de s’aligner sur les thèses de Maurras ». Et, aussi : « …La première confirmation est l’influence désastreuse de l’Action française sur l’intelligentsia de droite et sur une partie des élites des grands corps qui se sont retrouvés à Vichy après la défaite. Maurras, le chef de ce mouvement néo-monarchiste, a rompu avec le pragmatisme propre aux droites françaises, fort peu dogmatiques, en cherchant à donner à celles-ci un corps de doctrine, sur le modèle des théories socialistes. C’est ainsi que, en prônant un « antisémitisme d’Etat » qui se voulait dépassionné et exempt de tout délire d’extermination (tout de même, Alain-Gérard Slama est bien obligé de le reconnaître, ndlr. Dont acte…), il a conféré une « respectabilité » de façade à l’idéologie de défausse sur le bouc émissaire juif qui, après l’affaire Dreyfus, est passée de gauche à droite – et non sans violence – aux approches de la Première Guerre mondiale. Pétain n’a pas fait autre chose que de s’aligner sur les thèses pseudo-rationnelles de Maurras en écartant les Juifs, considérés comme des étrangers inassimilables, de toutes les activités en rapport avec la représentation politique, l’éducation, la justice et la fonction publique…. »
Comme si Pétain, qui se définissait lui-même comme un vieux général républicain ; qui n’a pas une seule fois fait la moindre allusion – ni, évidemment, la moindre allégeance… – à la royauté ; comme si Pétain, donc, dans le climat intellectuel qui était celui de la France écrasée de 39/40 avait eu besoin de Maurras pour nourrir son antisémitisme !
Mais c’est une bonne part, et parfois même et bien souvent majoritaire, de l’Europe entière qui, pendant deux millénaires, a été antisémite ! Et, en France, aucun milieu ne fut étranger à un certain antisémitisme, surtout pas la gauche ! Et on viendrait reprocher l’antisémitisme au seul Maurras ? Dont l’antisémitisme, c’est bien connu, était purement politique, et en aucun cas n’a viré, mais absolument jamais, à ce racisme de peau qui devait culminer dans l’idéologie nazie dont – Slama l’ignore-t-il ?… – les affinités idéologiques avec le totalitarisme révolutionnaire de « ceux de 93 » est évident ?
Quant au fait que l’antisémitisme serait passé « de gauche à droite », c’est un peu vite dit, et un peu vite affirmé comme une vérité certaine et définitive. Alain-Gérard Slama oublie que les antisémites de gauche ont peuplé les cabinets ministériels de Vichy au moins autant que ceux de droite. Pour ne parler que d’aujourd’hui, sans remonter au déluge, il suffit de voir – lors des tensions communautaires (doux euphémisme !…) – comment un antisémitisme de terrain se propage à toute vitesse dans ces « zones » chères à nos idéologues de gauche et d’extrême gauche, où des « jeunes » imposent quelque chose qui, sauf le respect que l’on doit à Alain-Gérard Slama, ressemble fort à de la haine des Juifs. Et les dits « jeunes » sont appuyés par qui ?…..
Comme le dit très justement, dans sa livraison du 10 octobre, le site Maurras.net, il serait absurde, et mensonger, de nier « l’anti sémitisme » de Maurras. Il vaut beaucoup mieux le remettre en perspective, et le resituer dans le cadre plus général de son époque. Où l’on voit, nous l’avons dit, que c’est dans toute l’Europe, dans tout l’Occident qu’il y a eu de l’antisémitisme, dans des proportions perpétuellement variables, mais assez souvent très répandues dans plusieurs zones. Et pas seulement en Europe et dans l’Occident : il y a eu – et il y a… – de l’antisémitisme en Afrique, en Asie et ailleurs….
Il vaut beaucoup mieux, aussi, rappeler sans cesse – à temps et à contre-temps, comme nous vvenons de le faire à l’instant… – que cet antisémitisme n’a jamais été un antisémitisme de peau, racial, tel qu’on le verra chez ces nazis dont, redisons-le aussi, la filiation idéologique avec la révolution française est évidente (comme l’est celle de leurs frères ennemis, les marxistes, souvent antisémites, eux aussi !)
Alain-Gérard Slama voit-il l’Histoire en noir et blanc ? D’un côté tout le monde (tout le monde il est gentil…) de l’autre « le » méchant absolu, « le » parfait coupable, le seul : Maurras ! C’est évidemment une grille de lecture bien facile, mais est-ce bien honnête, est-ce bien intelligent, et, surtout, est-ce bien normal ? Pourquoi s’en prendre à Maurras seul, en ignorant, par exemple l’antisémitisme virulent des Lumières, et d’un certain Voltaire, que la République idéologique a panthéonisé sans vergogne ? On sait (on vient de le voir) qu’Alain-Gérard Slama, par un tour de passe-passe dont on lui laissera la responsabilité, a cru trouver la parade : « l’antisémitisme est passé de gauche à droite ». Nous le croirons quand, par exemple, la République idéologique aura dé-panthéonisé Voltaire !…
Voltaire qui écrivait :
« C’est à regret que je parle des Juifs : cette nation est, à bien des égards, la plus détestable qui ait jamais souillé la terre ». (Article « Tolérance » du Dictionnaire philosophique. Il appelle ailleurs les juifs « …ces ennemis du genre humain… », un « peuple barbare, superstitieux, ignorant, absurde », et un « peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour tous les peuples qui les tolèrent et qui les enrichissent… », rejoignant, dans ses excès, le baron d’Holbach (« …ce peuple de brigands et de tueurs… »).
La République idéologique -le Système… – décrète souverainement où est le Bien, où est le Mal; et qui sont les bons, et qui sont les méchants, dans une sorte de Jugement dernier perpetuel. Elle a ainsi, fort logiquement, pris la place de Dieu le Père, elle qui s’oppose à la religion chrétienne, qu’elle veut remplacer car elle se considère elle-même comme la nouvelle religion…
Elle a pourtant de drôles de « fréquentations » : à l’antisémite Voltaire, elle a offert le Panthéon, et aux bourreaux génocidaires Amey et Turreau, l’Arc de Triomphe !
Qui a dit qu’il fallait commencer par balayer devant sa porte ?…
Propos auquel s’oppose radicalement celui de Maurras :
« L’antisémitisme est un mal si l’on entend par là cet antisémitisme de « peau » qui aboutit au pogrom et qui refuse de considérer dans le Juif une créature humaine pétrie de bien et de mal, dans laquelle le bien peut dominer. On ne me fera pas démordre d’une amitié naturelle pour les Juifs bien nés. »
Mais revenons-en à Pétain : qu’on arrête de travestir les réalités ! Si Maurras – qui paie en effet, et très cher, ce que d’aucuns considèrent comme ses erreurs tactiques de l’époque – a cru voir en lui une divine surprise ; et s’il a cru devoir le soutenir ; rester à Lyon, malgré les conseils de ceux qui le pressaient de changer d’attitude ; et maintenir la publication du quotidien etc… (toutes choses sans-doute discutables) ; il n’en demeure pas moins que Pétain – enfonçons le clou… – et il le disait lui-même, a toujours été « un général républicain », et s’est toujours voulu et défini comme tel. Il n’a jamais fait profession de royalisme, ni fait allégeance, fût-ce partiellement, aux idées maurrassiennes dans leur critique radicale du Système républicain idéologique, impliquant le changement de régime dont la France avait – et a encore – besoin. Et c’est bien la Chambre du Front populaire qui, dans sa fuite honteuse après la défaite sans précédent dont elle porte, pour une grande part, la responsabilité, a confié les pleins pouvoirs à ce « général républicain ».
Alain-Gérard Slama préfère donc, à toutes ces évidences, sa grille de lecture bien douillette et bien simpliste. C’est son problème… A ceux que le sujet intéresse, nous conseillons de se reporter aux pages qu’Eric Zemour – Juif, lui-même – lui consacre dans Mélancolie Française. Sa vision de l’antisémitisme de l’Action française y est documentée, perspicace et honnête.
Désolés : celle d’Alain-Gérard Slama ne l’est pas.
« M. le Maudit », pour parler comme Fritz Lang ?….
Si Maurras est enfermé par la conspiration du silence dans un cercueil fermé à double tour, et si ce cercueil est à son tour écrasé sous la chape de plomb du conformisme ambiant de la vérité officielle, c’est pour une raison bien simple : Maurras est celui qui a osé elaborer la critique globale et cohérente du Système en tant que tel; radicalement, au sens ethymologique et premier du terme, c’est-à-dire en critiquant la République idéologique à sa source, dans ses racines et ses fondements mêmes.
Le Système ne s’y est pas trompé : à ce titre, Maurras est, non pas dangereux, pour la République idéologique, mais le seul dangereux.
Un mot : je connais Alain-Gérard, depuis 30 ans, et j’ai pour lui amitié et considération. Il est d’une culture rare et a un esprit d’enfer… souffrît-il comme ses dernières années d’un cancer…
Je l’ai rencontré à diverses reprises avec ou chez des amis aux antipodes des prises de position schématiques et sans nuance – à leur nombre, notamment, un des hommes les plus cultivés, les plus fins qu’il m’a été donné de rencontrer auprès de Pierre Chaunu, il y a une quinzaine d’années, qui est devenu un ami très aimé, et que je m’abstiendrai de nommer par respect pour sa modestie…
Je vais vous dire un « truc » : Alain-Gérard fait sa chronique mensuelle pour répondre aux convictions simplistes de certaines catégories de lecteurs du FIG/MAG… Il faut bien vivre, quand on est un universitaire à la retraite : Science Po, le Figaro… bonnes machines à sous pour universitaires bardés de diplômes et à la recherche de 18 sous pour faire 1 franc.
Xavier Walter
remarquable et pertinente réponse à l’ineptie de Slama !
mais c’est encore aggraver son cas que de laisser penser qu’il écrit par conformisme envers la « pensée unique » qui régnerait dans le Fig., comme M. Xavier Walter le prétend!
là, il s’agit d’une faute inexcusable ! stipendiée ! pouah !
Merci pour cet excellent article auquel nous venons de faire écho » au nom du paradigme catholique et capétien » !…
Et peut-être n’est-il pas sans intérêt de rappeler qu’en 1917 le Général Philippe Pétain s’était opposé au port de l’emblème du Sacré Coeur de Jésus, demandé par le Ciel via Claire Ferchaud ? …
Quant au présent et à l’avenir si Le Figaro a crû bon d’offrir cette tribune à Alain-Gérard Slama, ce ne peut être que pour des raisons évidentes pour tout lecteur de votre blog …
Il n’y a pas de bon et de mauvais antisémitisme.
Les royalistes devraient se rappeler la politique de Louis XVI
à l’égard de la communauté juive, et éviter toute polémique à
sujet.
quelle est la signification de cette intervention ?
il semble que son obscurité soit intentionnelle !
Steiner, Juif, s’est opposé, un jour, au petit-fils Wagner qui affirmait refuser d’écouter la musique de son grand-père à cause de la politique qu’il aurait inspirée…. Conception stupide pour Steiner qui, lui, ne voulait pas se priver des grandes beautés de cette musique, ni d’aucune autre.
Voltaire, évidemment antisémite, comme, d’ailleurs, les Lumières, n’est pas, pour autant, disqualifié. Il ne cesse pas pour autant d’être un grand écrivain, un maître de la prose française.
Il en est de même pour Maurras, même si l’on considère, ce qui n’est d’ailleurs pas article de foi, l’antisémitisme qui était le sien comme condamnable.
Et si l’on voulait dresser la liste de tous ceux qui, à travers les époques, et à la sienne propre, écrivains, philosophes, hommes d’Etat, ou religieux, l’ont, sous diverses formes, partagé, les surprises et les déconvenues seraient nombreuses.
Cela ne signifie pas qu’il faille approuver la politique mise en place par les nazis à l’égard des Juifs, fût-ce sous prétexte de discuter le nombre des victimes.
Au reste, ce sont quelques grands Juifs, dont Simone Weil, qui ont été les plus sévères pour le peuple juif.
« Elle était antisémite, dit Thibon, comme seul un Juif peut l’être ». Il l’avait hébergée, pendant la guerre; elle lui avait remis ses manuscrits, avant de s’en aller mourir à Londres. C’est lui qui devait publier à la Libération, la Pesanteur et la Grâce. L’antisémitisme de Simone Weil n’était pas celui des nazis. Il était d’ordre spirituel, politique, idéologique ou culturel. Il se situait sur un plan qu’après la Shoa, le monde moderne ne peut plus comprendre.
Celui de Maurras était, à mon sens, d’une nature assez voisine de l' »antisémitisme » de Simone Weil …
Alain-Gérard Slama est un esprit assez subtil, comme le dit, à juste titre, Xavier Walter, pour le comprendre, s’il le voulait.
Il est possible, en effet, qu’il n’ait pas ce courage qu’avait Maurras, et qu’admirèrent, en leur temps, des hommes comme Paul Valéry, Jean Paulhan, ou Albert Thibaudet.
Nous ne sommes plus tout à fait au même niveau …
La France, au cours de son histoire, a connu bien des guerres civiles. Mais elle a toujours su y mettre un terme, en faisant s’éteindre la haine dans la réconciliation et l’aministie. Henri IV proclame l’édit de Nantes. Louis XVI, montant sur l’échafaud, déclare : « Je souhaite que mon sang puisse cimenter le bonheur des Français « . Ces époques-là, on l’a bien compris, sont terminées.
Désormais, la haine ne doit plus s’éteindre. Elle doit même être soigneusement entretenue. Le 11 avril 1950, six ans seulement après la Libération, un grand résistant, le colonel Rémy, publiait dans Carrefour un article intitulé « La justice et l’opprobre », dans lequel il en appelait solennellement à la réconciliation nationale. Un tel article ne pourrait plus paraître aujourd’hui. Sous couvert de pédagogie, ou sous prétexte d’entretenir la « mémoire », on entretient la guerre civile, on remue des rancunes affreuses, on rend les haines inextinguibles.
Quant à Alain-Gérard Slama, qui s’érige aujourd’hui en organisateur de safaris-octogénaires, il écrivit en 1993 dans son ouvrage paru chez Grasset – L’ange exterminateur. Essai sur l’ordre moral contemporain : » Quand la rage de juger et de fixer des normes ne trouve pas de victimes à sa portée, on se rabat sur la passé. Comme si l’épuration physique n’avait pas suffi, on s’acharne sur les rares rescapés des tribunaux d’après-guerre, on les érige en archétypes de la commune infamie, on passe au peigne fin les opinions et les consciences, on se complaît à développer partout un sentiment de culpabilité collective, qui a toujours fait l’affaire des vrais criminels ».
C’est bien le même, mais comme l’écrit Xavier Walter, il a entretemps touché ses deniers.