Par Pierre Builly.
Excalibur de John Boorman (1981).
L’âge de l’aurore
Ce magnifique livre d’images porté par un souffle profond et une grande intelligence mériterait sûrement la note suprême du chef-d’œuvre si John Boorman avait pu, comme il l’envisageait, développer son sujet sur un temps plus long et faire ainsi mieux encore ressentir la subtilité de son propos.
Selon Wikipédia, le réalisateur indiquait que «son but (…) était de créer une sorte de « Terre du Milieu » au sens de Tolkien, c’est-à-dire «un monde contigu, semblable au nôtre, mais en même temps différent, situé dans une époque en dehors du temps » ; mais ceci avec la difficulté supplémentaire par rapport au Seigneur des anneaux de juxtaposer deux orientations, païenne et chrétienne.
Boorman y parvient sans opposer violemment les deux croyances, pourtant évidemment antagoniques, ce qui ajoute beaucoup de séduction, d’ambiguïté et de subtilité au film, mais, à mon sens, les ellipses rendues obligatoires par la richesse de la matière romanesque ont un peu appauvri le discours.
Il n’y a évidemment pas de comparaison possible avec Les chevaliers de la Table ronde de Richard Thorpe, plus uniment chrétien et où l’amour était bien davantage courtois que charnel et où une incertitude demeurait sur la nature des relations entre Guenièvre et Lancelot. Dans Excalibur, les désirs physiques pèsent avec une sorte de fatalité lourde sur les héros et leur satisfaction entraîne les catastrophes relatées : amours d’imposture d’Uther Pendragon (Gabriel Byrne) et d’Ygraine de Cornouailles (Katrine Boorman), amours de passion de Lancelot (Nicholas Clay) et de Guenièvre (Cherie Lunghi), amours incestueuses d’Arthur (Nigel Terry) et de Morgane (Helen Mirren) : à chaque fois, la violence et la mort.
La possession de l’épée magique n’est gage de stabilité et de prospérité que si le Pouvoir est légitime et incontestable ; dans le fragile équilibre des âges anciens, le désir brutal d’Uther, l’infidélité de Guenièvre, le désespoir d’Arthur plongent le royaume dans une ère de ténèbres et l’espérance des peuples ne peut reposer que sur le retour d’une autorité les protégeant des féodalités ; (âges anciens et discours étonnamment moderne, au demeurant). Le film est ainsi tissé de réflexions complexes et richement suggérées.
On peut mettre ici et là une petite réserve sur un léger déséquilibre entre la première et la deuxième heure du film, celle-ci, d’une tonalité générale plus sombre (et culminant avec les dernières images de la Dame du Lac reprenant Excalibur et de la barque emportant la dépouille mortelle d’Arthur vers Avalon) l’emportant largement sur celle-là, souvent davantage bouffonne.
Mais c’est là reproche mineur, vite emporté par la somptuosité baroque de la mise en scène, avec des séquences impressionnantes et magnifiques, l’enfantement de Mordred (Robert Addie) par Morgane, la contrée maléfique où Perceval (Paul Geoffrey) erre parmi les pendus, les armures, qu’elles soient étincelantes (aux époques de paix) ou ternies (lors des désolations), les bois sombres et mouillés, l’eau vive…
La légende s’éloigne dans la forêt profonde. ■
DVD autour de 13 €
Chroniques hebdomadaires en principe publiées le dimanche.
Publié le 27.10.2019 – Actualisé le 26.08.2023
J’ai revu plusieurs fois ce film. Durant les 10 premières minutes on résiste au simplisme apparent et au fer blanc,(le viol en armure), puis l’Empire du mythe l’emporte et nous conduit vers une cohérence d’un autre ordre.
« Stalker » de Tarkovsky et « le festin de Babette » de Gabriel Axel et « Excalibur » sont les trois films qui ont le plus marqué ma vie.
Cher Michel, je n’ai pas vu « Stalker », parce que j’ai beaucoup de mal avec Tarkovsky (dont je reconnais la grande qualité mais à qui je n’accroche pas). Pour « Le festin de Babette », si tu veux lire ce que j’en pense (beaucoup de bien), voici le lien avec mon site : http://www.impetueux.com/le-festin-de-babette/
Coïncidence: ce film sera diffusé sur Arte lundi 28 août à 20h50.
Les premières images d’«Excalibur» — Merlin se dessinant dans les ténèbres et les fumées, au son de la «Marche funèbre» du «Götterdämerung» de la Tétralogie de Wagner — avaient commencé par me transporter sur mon fauteuil… Et puis le «fer blanc» des armures ripolinées au Mirror a commencé à me sortir par les yeux. Cela remonte aux temps de la sortie du film, d’ailleurs, année de l’élection abominable de «mythe errant». Sans compter la pronographique séduction exercée sur Boorman par les nuques plates des bonshommes bien virilisés (du genre Jon Voight and Co dans «Délivrance») et le matérialisme dialectonirique du niais «Zardoz»…
Tout comme Pierre Builly, je ne sais toujours pas apprécier Tarkowsky ; tandis que, à la manière de Michel Michel, j’ai été bouleversé par «Le Dîner de Babette». Cependant, la grande différence entre ces films, tient à la manière de «traiter», d’une part, la «matière spirituelle» stricte du cycle arthurien, de l’autre, la perspective allégorique permettant le recours à l’onirisme (ou psychisme) et, enfin, quelque chose de tout à fait autre, dans le film fidèle à l’œuvre de Karen Blixen. Chez la sublime danoise (très bien adaptée à l’écran), la dimension spirituelle est présente par l’inscription cosmique («panique», devrait-on mieux dire, au sens de Pan=«tout») dans les choses les plus simples.
C’est le propre des Scandinaves que d’avoir manifester la survie des données «populaires» les plus anciennes jusque dans les climats «bourgeois», par l’apparition de personnalités «universelles», telles celle du «vagabond», chez Knut Hamsun et Harry Martinson, ou celle de femmes étrangères sachant s’inscrire HARMONIEUSEMENT (c’est-à-dire en osmose avec le «divin») dans une société quelconque — ainsi, pour commencer, dans la célèbre «Ferme africaine», premier roman de Karen Blixen…
Peut-être devrais-je, cependant, tenter de jeter un nouvel œil sur «Excalibur»… Car, en effet, celui qui aime doit fondamentalement l’emporter sur le concurrent qui n’a pas su, ou n’a pas pu, et ce, en vertu de la sentence de Novalis : «Plus haut l’on est, plus tout est beau.»
Cher Pierre,
Quatre ans après, je découvre ta belle critique du « Festin de Babette ». Effectivement, c’est un film sur la confrontation du puritanisme protestant et de l’Espérance de la contre-réforme. Un film sur le retournement métaphysique. Merci.
Décidément, Pierre Builly nous gâte avec ses critiques !
J’ai quand même un peu plus de mal avec cet « Excalibur ». Il est pourtant excellent pour toutes les raisons avancées par Pierre Builly, plus le délicieux anachronisme qui le traverse (reprenant ainsi le parti-pris de Thomas Malory ou Chrétien de Troyes). Mais il est à la fois trop court et trop mal rythmé, surtout dans sa seconde partie.
Ca ne m’empêche pas de le faire figurer dans ma cinéthèque personnelle. Mais derrière « Le Seigneur des Anneaux » de Peter Jackson, le chef d’œuvre indépassé de l’épopée sur grand écran.
Pierre Builly, merci pour la critique fouillée d’Excalibur. que j’irai voir lundi. Si Stalker de Tarlovski reste très difficile, ce film à très haute exigence, nous fascine. Reste qu’Andréa Roublev est un film magnifique où il est facile de rentrer . La fin surtout , où dans le pays dévasté, je jeune fondeur de cloche retrouve le secret non transmis, et où le battant actionné — comme on fait en Russie- sonne à toute volée la renaissance de tout le pays, m »a marqué comme une leçon de vie inoubliable. Un des plus beaux moments de cinéma. Il faut bien sûr être sensible à la mystique orthodoxe, qui avance à sa manière, et la voir ou l’ entendre plutôt comme signe de renaissance. pour vaincre les puissances du du néant.
@Henri : Que veux-tu, il y a des cinéastes d’un immense talent à qui je n »-‘accroche pas : Visconti, par exemple et Tarkovski… C’est comme ça ; je le regrette et n’y peux rien.
Voilà ce que j’ai écrit sur Roublev sur mon blog : http://www.impetueux.com/andrei-roublev/