Par Elodie Mielczareck*
Peut-être Sibeth Ndiaye, la gaffeuse du président, nous manquait-elle un peu ? La revoici. Ses gaffes et ses excentricités étaient souvent drôles. Elle attirait l’attention et faisait rire. Elle détonnait un peu, beaucoup, et parfois ce n’était pas si mal. De cet article, on aurait pu croire ou craindre qu’il se limiterait à une critique, ou, pis, à un catalogue des tics de langage et de comportement gouvernementaux. C’est en partie cela, mais en partie seulement. Il y a aussi des aperçus plus profonds sur l’exercice du Pouvoir en général, et sur la trame substantielle de la post-modernité. Et c’est, à notre avis, ce qui en fait un article intéressant qui suscite la réflexion et mérite d’être lu. [FigaroVox, 28.09]
« Je crois qu’on a souffert au cours de cette crise d’un défaut d’acculturation scientifique de la population française » : voilà comment sont résumés les contre-sens gouvernementaux de ces derniers mois. Prenez cela dans les dents ! C’est votre nullité et imbécilité qui explique la situation gravissime dans laquelle la France s’est trouvée.
La posture est osée, d’une condescendance affichée: c’est celle de l’ancienne porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, expression publique et représentative d’un positionnement de fond impulsé par le Président de la République, et ce, dès le soir de son élection. Décidément, ce «nouveau monde» aura accouché des pires « négociateurs », ceux qui oublient la définition de l’intelligence relationnelle.
De la verticalité sous le règne macronien
Les représentants du gouvernement En Marche n’ont pas le monopole de la phrase condescendante : « les petites gens » (Manuel Valls), « la France d’en bas » (Jean-Pierre Raffarin) les sans dent», (François Hollande), les discours politiques et médiatiques regorgent de ces substantifs pour désigner une catégorie de la population française. Mais le maillage linguistique gouvernemental est spécifique. S’il est un schème particulièrement caractéristique de ses discours, c’est celui de la verticalité. Présente de manière symbolique au soir de l’élection d’Emmanuel Macron au travers de la Pyramide du Louvre, la hiérarchisation verticale est un invariant des prises de parole gouvernementales.
Revenons pour exemple sur cette phrase d’Emmanuel Macron : « dans les gares, il y a ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien ». Si elle est correcte grammaticalement, le choix sémantique du verbe être (« ne sont rien ») au lieu du verbe avoir (« n’avoir rien ») interpelle. D’ailleurs, pour sortir de la crise des « gilets jaunes », Emmanuel Macron propose de créer un « Haut Conseil pour le climat ». Tout est donc haut et vertical dans la logorrhée macronienne.
L’historien Gérard Noiriel précise : les mots utilisés par le président dans son livre de campagne Révolution (« pauvres », « démunis », « faibles ») sont empruntés au langage forgé par l’Église médiévale. Il y a le haut et le bas, sans intermédiaire. Cette verticalité se décline comme un leitmotiv : « trop intelligents, trop subtiles » (Gilles LeGendre) face à des « fainéants et des cyniques » (Emmanuel Macron), ou bien à des acculturés. En somme, des cons qui n’arrivent pas à se mettre en marche. Les mots diffèrent mais la logique sous-jacente est identique : le mépris de l’autre.
Plus largement, « ceux qui fument des clopes » (Benjamin Griveaux) ou « ceux qui foutent le bordel » déterminent des catégories très vastes : il y a au moins une chance pour que vous qui lisiez ces lignes, soyez dans au moins une des catégories décrites négativement par le gouvernement. Une erreur de tact volontaire.
Les inaptes sont les gouvernants, pas les gouvernés
« Ça marque le rapport au temps de notre société. Aujourd’hui, on veut que d’un claquement de doigts, toutes les réponses aux questions qu’on se pose, soient apportées immédiatement». Pour une fois, nous ne pouvons que souscrire à cette analyse de l’ancienne porte-parole. Mais alors, n’est-ce pas aux gouvernants de faire preuve d’adaptabilité ? N’est-ce pas justement de leur ressort que de décoder les attentes ? N’ont-ils pas le devoir de s’adapter aux enjeux de notre époque ?
Cette époque justement, on peut la qualifier de « post-moderne », comme le fait le sociologue Michel Maffesoli. Le présentéisme est bien une de ses valeurs. Plutôt que de lutter contre ce phénomène, accentué par nos réseaux sociaux et accompagné de nouveaux codes dans la communication, le gouvernement a la responsabilité de développer des procédures de décision plus pertinentes et immédiates. Etonnamment, quand il s’agit de mettre en place des actions dans une vision court-termiste, souvent électoraliste, le présentéisme semble une valeur plus affectionnée que rejetée.
Autre valeur de la post-modernité dont le gouvernement ferait mieux de s’inspirer : le perspectivisme. Prétendre à longueur de journée détenir « La Vérité » ou bien prétendre savoir ce qu’est « La Réalité », c’est méconnaitre les mécanismes cognitifs à l’œuvre. Nous évoluons dans un monde passé au tamis de nos sensations, ressentis, filtres et biais de perception.
Les pires négociateurs accentuent la polarisation par leur posture
Depuis plusieurs mois, la posture gouvernementale est un excellent contre-exemple. Dans quelques années, elle servira d’exemple pour illustrer ce qu’il ne faut surtout pas faire en situation de négociation, de ce qu’il ne faut surtout pas faire lorsqu’on souhaite augmenter son intelligence situationnelle. Voici ce programme récurent auquel nous a habitués le gouvernement:
I: Ne pas (se) faire confiance : N’en déplaise à la sagesse populaire, la confiance ne se mérite pas, elle se donne ! Et c’est en tous les cas la conclusion d’Anatol Rapoport, ce psychologue et philosophe américain d’origine russe, figure de proue de la « théorie des jeux ». Vous avez déjà sans doute entendu parler de ce dilemme du prisonnier : deux personnes enfermées ont davantage intérêt à coopérer entre elles plutôt que se dénoncer mutuellement afin de maximiser leurs gains.
Réalisés à grande échelle et de manière multipliée grâce à l’intelligence artificielle, les résultats confirment l’injonction de Rapoport : « Cooperate on move one ; thereafter, do whatever the other player did the previous move.» (Traduction : « Coopère sur le premier mouvement, et ensuite fait exactement ce que l’autre joueur fait »). Et cela, les meilleurs négociateurs au monde le savent bien : la confiance ça se donne d’entrée de jeu.
Au contraire, le gouvernement favorise la société de défiance telle que la décrivait Alain Peyrefitte à son époque : « La société de défiance est une société frileuse, gagnant-perdant : une société où la vie commune est un jeu à somme nulle, voire à somme négative (si tu gagnes, je perds) ; société propice à la lutte des classes, au mal vivre national et international, à la jalousie sociale, à l’enfermement, à l’agressivité de la surveillance mutuelle. La société de confiance est une société en expansion, gagnant- gagnant, une société de solidarité, de projet commun, d’ouverture, d’échange, de communication.» (La Société de confiance, 1995). Merci nous y sommes.
II – Cultiver le rabaissement personnel : En France, on raille beaucoup les saillies conquérantes d’un Donald Trump. Emmanuel Macron n’en est que la version plus « frenchie », moins directe, plus louvoyante. La violence est la même. Les bons négociateurs savent que, pour arriver à leur fin, il est plus efficace de cultiver l’humilité, la réciprocité et le respect de l’autre. Encore faut-il connaitre le mot « considération ». Une qualité dont semble bien incapable un gouvernement qui n’a de cesse que de renforcer la polarisation de l’espace public : sans nuance, c’est pour ou contre, c’est Jojo-le-Gilet-Jaune avec les «Kwassa Kwassa» contre le progrès et le sens de l’Histoire.
III – Favoriser la non-transparence : Que ce soit dans une organisation étatique jamais réformée ou bien dans des propos qui ont toutes les apparences linguistiques de la langue de bois, nos Hommes d’Etat adorent pérorer dans des mots complexes pour mieux camoufler leur ignorance. Dernier mot en date donc : « acculturation». Pourquoi ne pas avoir choisi le terme de « culture » ? Sibeth Ndiaye aurait pu se plaindre « d’un manque de culture scientifique » ? Non, le terme acculturation est faussement plus « sachant » et « expert ». Ne serait-ce pas de la poudre de perlimpinpin ? ■
Élodie Mielczareck est sémiologue, spécialisée dans les dynamiques comportementales verbales et non verbales. Elle a notamment publié Déjouez les manipulateurs (Éditions du Nouveau Monde, 2016) et La Stratégie du Caméléon (Cherche Midi, 2019).
Pour qu’il y ait verticalité du pouvoir il faudrait que Macron soit en haut ou au-dessus, ce qui n’est pas le cas. Ce pouvoir est au contraire le triomphe de l’immanence totale et de l’horizontalité, celles du marché, des réseaux, de la démocratie d’opinion. Ce n’est tout de même pas parce que Macron prend quelques postures auxquelles se font prendre les naïfs qu’il faut le voir en monarque. Parler de start-up France pour désigner notre vieille nation comme il l’a fait devrait tout de même faire ouvrir les yeux.