Par Rémi Soulié
Nul hasard à ce que Pierre de Meuse ait choisi de citer en épigraphe au dernier chapitre de son très beau livre, Idées et doctrines de la contrerévolution, la fameuse phrase de Joseph de Maistre : « le rétablissement de la monarchie, qu’on appelle contre-révolution, ne sera point une révolution contraire, mais le contraire de la révolution.»
C’est en effet ce mouvement contraire à la « force qui va » qui s’y déploie, moins dans une perspective historique – mais les références choisies sont toujours utiles et judicieuses – que philosophique, irréprochable et complète, qui devrait contribuer à faire de cet ouvrage un classique.
Pierre de Meuse s’intéresse certes à la pensée fondatrice des « Dioscures de la Contrerévolution», Maistre et Bonald, mais son regard embrasse un horizon bien plus vaste : Donoso Cortès, Carl Schmitt, Vico, Blanc de Saint-Bonnet, Julius Évola, Barbey d’Aurevilly, Léon Bloy, Maurras, René Guénon, Burke, Herder, Boutang… Nul précurseur ou continuateur, nul mouvement, nulle structure qui, à un moment ou à un autre, participa de la Contre-révolution, l’anticipa ou l’inclut dans sa réflexion ou son action n’échappent à sa lecture méthodique et – ce n’est pas sa moindre vertu – nuancée : on n’y trouvera en effet ni formule toute faite, ni catéchisme, ni bréviaire, mais une analyse rigoureuse, précise, critique des forces, des faiblesses, des grandeurs, des contradictions ou, parfois, des erreurs qui jalonnent l’histoire de cette école de résistance aux délires et aux maux de la modernité et de la « démocratie idéologique », forme politique ou antipolitique en laquelle cette dernière croit avoir trouvé le moins mauvais régime possible.
Le geste philosophique de Descartes, qui consista à faire table rase de toutes les certitudes pour n’en laisser subsister qu’une seule, le je, le moi, fit vaciller l’édifice de la tradition – fût-ce, pour une part, à son corps défendant : en schématisant à l’extrême, il mettait ainsi fin au holisme politique (où le tout l’emporte sur la partie, où chaque partie sait que le tout lui est antérieur) et inaugurait l’individualisme de fond qui caractérise l’immonde dans lequel nous survivons : la liberté sera désormais conçue comme une émancipation individuelle et sans fin de la nature dont la technique, censée en être l’auxiliaire, en sera bien vite la maîtresse absolue et tyrannique qui l’anéantira. Résultat : la dissociété, heureux néologisme de Marcel de Corte pour désigner une malheureuse réalité, celle de la guerre de tous contre tous au détriment du corps social et politique que les incantations rituelles au vivre ensemble désignent tout en étant bien entendu impuissantes à l’empêcher puisque, fondamentalement, elles la veulent.
C’est cette contradiction de fond, qui frappe d’impuissance le politique et qui ruine donc la cité, que le contraire de la révolution veut – dans la mesure, problématique, du vouloir – abolir ou détruire pour restaurer une digne habitation du monde par les peuples.
Si elle ne veut pas elle-même succomber à la tentation de la révolution – de la table rase – et du (re)constructivisme des totalitarismes – l’homme nouveau –, sa marge de manoeuvre est étroite. En elle s’inscrivent notamment le providentialisme maistrien, la « dictature du sabre » de Donoso Cortès (qui fait pièce à la « dictature du poignard » de la racaille plébéienne), l’attente heideggerienne du dieu, la doctrine traditionaliste des cycles. Autant dire, là encore, que la marge de manœuvre est étroite, entre activisme et quiétisme.
Le piège moderne semble se refermer ; il est urgent, autant que faire se peut, de penser l’apocalypse, le Paraclet, l’Âge de fer et l’Âge d’or. En bons freundiens, nous avons désigné l’ennemi : le chaos – et nous connaissons les ordres. ■
Pierre de Meuse, Idées et doctrines de la Contrerévolution, Dominique Martin Morin.
Rémi Soulié, écrivain, essayiste, critique littéraire, collaborateur du Figaro Magazine, est, entre autres, l’auteur de Nietzsche ou la sagesse dionysiaque, Pour saluer Pierre Boutang, De la promenade : traité, Le Vieux Rouergue. Et Racination, Paris, Pierre-Guillaume de Roux, 2018.
À lire …
Pour saluer Pierre Boutang, Rémi Soulié, éd. Pierre-Guillaume de Roux, 140 pages, 21€
N°12 novembre 2019
L’article de Rémi Soulié est élogieux pour le livre de Pierre de Meuse, le livre qu’il faut lire. Et c’est à bon droit.
J’admire aussi la capacité de Rémi Soulié à faire en quelques lignes érudites et profondes le tour d’un sujet aussi vaste et complexe que celui-ci.
Je m’en suis souvent étonnée en lisant ses (trop) brèves recensions du Figaro.