Commentaire à propos de l’article de Michel Michel dans JSF sur les droits de l’homme. [Droits de l’Homme
Que la référence aux droits de l’homme fasse « grincer des dents » se comprend aisément, dans la mesure où l’acception communément admise de cette notion repose sur une double perversion des deux termes qui la constituent : le droit et la nature humaine[1].
Pour autant, toute référence aux droits de l’homme ne me paraît pas mériter la même critique. En particulier, s’agissant de l’usage fait de cette notion par les Papes récents, deux remarques me semblent nécessaires pour éviter toute confusion.
Tout d’abord, le magistère de l’Eglise n’est jamais revenu sur la condamnation initiale, par Pie VI, de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, de sorte que la référence faite par les Papes depuis Pie XII et surtout saint Jean Paul II, ne saurait être rattachée à l’idéologie issue de la Déclaration de 1789. En réalité, c’est à partir de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948 que les Papes vont se référer positivement aux droits de l’homme, d’abord avec prudence et indirectement, en préférant utiliser l’expression de « droits fondamentaux » puis, avec saint Jean Paul II, de manière insistante et en adoptant l’expression même de droits de l’homme. Il y a là, sans doute, un choix qui peut être discuté, au regard notamment de l’évolution de la pensée dans laquelle s’inscrit la Déclaration de 1948 par rapport aux fondements doctrinaux de la Déclaration de 1789 mais, quoi qu’il en soit, ce choix ne peut être pris pour une adhésion à l’idéologie des droits de l’homme de 1789.
Ensuite et surtout, saint Jean Paul II a d’emblée redéfini la notion de droits de l’homme à laquelle il a entendu se référer en qualifiant ces droits, dans sa première encyclique, Redemptor hominis, en 1979, de « droits objectifs »[2]. Ce faisant, le Pape vide de tout subjectivisme la notion de droits de l’homme, qui n’a plus rien à voir, dès lors, avec l’individualisme révolutionnaire. Cette conception objective des droits de l’homme s’appuie sur une anthropologie réaliste (celle-là même de Joseph de Maistre ironisant sur le fait qu’il n’avait jamais rencontré « l’homme » mais uniquement des Français, des Italiens ou des Russes), anthropologie qui situe chaque personne concrète dans le réseau des relations sociales qui la constitue, en particulier une famille et une nation. Le développement considérable donné par le Pape polonais au magistère de l’Eglise sur la famille et la nation ne se comprendrait pas s’il avait parallèlement adhéré à une conception subjective et individualiste des droits de l’homme, destructrice tant des liens familiaux que de la substance des nations. On peut certes, là encore, juger l’entreprise périlleuse, voire intellectuellement impossible (c’était l’opinion de Michel Villey) ; elle ne s’inscrit pas moins, pour autant, dans la grande Tradition de l’Eglise comme dans la tradition, plus modeste, du droit naturel classique. ■
N.B. : Pour un approfondissement de ces questions, on se permettra de conseiller la lecture de l’ouvrage, malheureusement épuisé, du R.P. André-Vincent, Les droits de l’homme dans l’enseignement de Jean Paul II (L.G.D.J., 1983) ainsi que, du même auteur, Jalons pour une théologie du droit (Téqui, 2007).
[1] On peut renvoyer sur ce point à la lecture de l’ouvrage définitif de Michel Villey, Le droit et les droits de l’homme, P.U.F., coll. Quadrige.
[2] Redemptor homonis, n° 17.
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Si j’ai bien compris l’analyse de Jean-Baptiste Donnier ce ne seraient pas les droits de l’homme en tant que tels qui seraient subversifs, mais la manière dont ils seraient invoqués, fondés dans le premier cas sur une conception subjective de l’homme , donc destructrice pour certains et dans le second cas objective (mais refusés par d’autres ) avec Jean-Paul II retournant l’arme contre les destructeurs par une savante manœuvre.,( mais il faut une longue cuillère pour souper avec le . ) . Conflit entre. 2 conceptions de l’homme, l’une où l’homme fonde sa dignité sur une révélation objective, qui lui est donnée, ( celle de la liberté des enfants de Dieu ) l’autre où l’homme se trouve en lui même, est son propre sujet. ( on pourrait relire « les démons »..à ce sujet jsutement..) Est-ce irréconciliable ? Je n’ai pas capacité à en juger, mais la quête de sens elle n’est jamais épuisée. Merci à Michel Michel et Jean-Baptiste Donnier d’avoir fait revivre ce débat.
L’exercice auquel se livre l’honorable Pr Donnier me paraît impossible, car il méconnaît les méthodes de l’Eglise postconciliaire, qui consiste à s’abstenir de définir, d’abroger ou de dogmatiser. Bien au contraire, les papes préfèrent construire à côté des anciens édifices sans les démolir, laissant à l’oubli le soin de le faire. Il en est ainsi pour la condamnation de Pie VI et de bien d’autres. De surcroît la déclaration des Droits de l’Homme de 1948 est encore pire que celle de 1790, plus cosmopolite encore. Enfin rappelons que l’acceptation du mot se fait chaque fois de manière plus précise, car l’intervention de Benoît XVI à
l’ONU contient l’affirmation de l’imprescriptibilité des Droits de l’Homme, ce qui exclut qu’ils puissent être « objectifs ».
Votre subtil article sur-les droits de l’homme et votre référence à Michel Villey m’incitent à vous soumettre ces notes ( Du fondement des lois justes.) Rencontrent-elles votre approbation ? Merci de votre réponse .
Du fondement des lois justes.
Et de la superstition révolutionnaire.
De la Résurrection du Christ, fait historique, qui ne peut être contesté que par des ignorants ou par des gens de mauvaise foi (récit des évangiles et pièce à conviction : Linceul de Turin), on induit sa divinité et donc la vérité, et l’universalité, des lois qu’Il a fixées pour le bien de l’homme ( Décalogue et Évangile) afin que ce dernier soit enfin libre et puisse atteindre, librement , sans la moindre contrainte, sa finalité surnaturelle qui est Dieu.( Deutéronome 4,1-2.6-8)
Tel est le fondement sur lequel s’est patiemment édifiée la civilisation européenne.
Mais comme le font remarquer tous les historiens dignes de ce nom et tous les commentateurs ou témoins des événements révolutionnaires , (1) tout à été renversé par Les Lumières au 18 ème siècle. Et les lois de l’ancien régime ont été remplacées par » Les droits de l’homme et du citoyen » dont le fondement est la volonté du peuple. Les conséquences de cette superstition qui dure encore ont été analysées par Michel Villey.(2)
(1) outre Louis de BONALD, Joseph de MAISTRE , Edmund BURK , et bien d’autres, il y eut aussi SOLJENITSYNE et plus ancien mais moins connu : Fiodor TIOUTTCHEV : La Révolution française de 1789 n’est pas seulement un événement politique au sens où il ne s’agirait que d’un changement de régime, elle est bien plus que cela : elle est une insurrection contre la religion.
« La Révolution est avant tout anti-chrétienne. L’esprit anti-chrétien est l’âme de la Révolution ; c’est là son caractère essentiel. Les formes qu’elle a successivement revêtues, les mots d’ordre qu’elle a tour à tour adoptés, tout, jusqu’à ses violences et ses crimes, n’a été qu’accessoire ou accidentel ; mais ce qui ne l’est pas, c’est le principe anti-chrétien qui l’anime […] ». La Révolution est donc un événement capital dans l’histoire de l’humanité : « Ce qui fait de la première révolution française une date à jamais mémorable dans l’histoire du monde, c’est qu’elle a inauguré pour ainsi dire l’avènement de l’idée anti-chrétienne aux gouvernements de la société politique.»
(2) « Les droits de l’homme sont l’une des formules incantatoires du discours politique contemporain. Personne n’oserait s’en dire l’adversaire, mais bien peu s’essaient à en comprendre la signification. Pourtant la prolifération des droits subjectifs revendiqués aujourd’hui–droit au soleil, à la libre disposition de son corps, à la sexualité de son choix, à la jouissance–la l’imprudence de certaines formules politiques (« changer la vie », disait les socialistes) invite à l’idée qu’il y a peut-être quelque chose de pourri au royaume des concepts politiques. »
Le propos du professeur Villey est d’élaborer–avec une érudition corrosive–la généalogie de cette énorme machinerie subversive baptisée « droits de l’homme » il démontre avec subtilité qu’il y a à cet égard une ligne de crête dans l’histoire de la culture occidentale, entre la fin du Moyen Âge et le début de l’époque classique : « en arrière vous avez le droit et Au-devant « les droits de l’homme »
Le droit est une invention de la Rome classique. Rome l’a découvert et nous l’avons perdu. La Grèce, conquérant intellectuellement son vainqueur, lui avait légué deux outils : la philosophie, principalement celle d’Aristote et un modèle de travail, l’idée que dans tous les domaines, il est possible et souhaitable de développer un « art » c’est-à-dire d’organiser les connaissances en vue d’applications pratiques.
Cicéron pouvait ainsi livrer au milieu du premier siècle avant notre ère cette définition du droit : « Le service d’une juste proportion dans le partage des biens et les procès des citoyens » Pour la Rome classique le droit est : « connaissance » « mesure» et « rapport »
Le droit n’est pas une revendication subjective de tout et n’importe quoi. Il n’est même pas un ordre émanant du souverain. Il est la découverte subtile, patiente, délicate, de la proportion entre la quantité de choses distribuées et les qualités diverses des personnes, et–dans l’échange–entre les prestations réciproques. Le droit c’est la réalisation d’une justice définie classiquement comme « jus suum cuisse tribuere –attribuer à chacun son droit. Avec pour guide la prudence–d’où le mot jurisprudence.
Ce qui était radicalement étranger à l’esprit du droit romain, c’était l’idée de calculer pour chacun ses droits sur la « considération narcissique » de soi-même et de soi seul. Pour la Rome antique pas de droits subjectifs, pas non plus de droits identiques pour tous les hommes et pas davantage de droits universels sans égard au réel.
Certes la contestation de réalisme naîtra dans l’Eglise avec Guillaume d’Occam [….]. c’est du nominalisme d’Occam, en effet–affirmation que les idées sont dépourvues de réalité, qu’elles sont de simples mots, de simples « noms » qu’est sortie via Hobbes toute la philosophie moderne des droits de l’homme. : Plus d’ordre des choses : des êtres irréductibles. Plus de rapports : des individus.
Plus d’ » universaux » – d’idées générales dotées de réalité, de simples jugements subjectifs.
Dès lors, plus de communication réelle possible ni des hommes entre eux, ni des hommes avec le monde. Et un monde qui n’a pas un sens extérieur à celui que les hommes lui attribuent. Et surtout, […] plus de droit : des droits subjectifs, les droits de l’homme. « S’il n’est pas d’ordre régissant les rapports entre individus, écrit Monsieur Villey, si la cité elle-même n’est point une réalité, perd toute sa raison d’être une science dont le propos soit la saisie directe de ces rapports sociaux. L’art de la recherche du juste au sein de la réalité, qu’avait été l’art romain de la jurisprudence devient sans objet »
La volonté remplace l’ordre préexistant. Le droit ne se connaît plus : il se construit ou s’exige. L’histoire bascule.
Le droit n’est plus fondé sur la nature de la cité mais sur la nature de L’homme. (Pourtant, une simple cohérence intellectuelle aurait dû refuser toute réalité à cette seconde idée générale .)
L’homme en général n’existe plus du tout. Le conflit des intérêts subjectifs est poussé à son paroxysme. Il n’y a rien à opposer à l’idée du droit que chacun revendique. On passe des droits subjectifs encore universalisables de la déclaration des droits de l’homme au chaos résultant de l’affirmation pour chacun de ses droits illimités sans prise en considération du groupe.
Totalitarisme d’un « bonheur » uniformisé et imposé ou anarchie d’un bonheur revendiqué contre la cité ; voilà l’alternative terrifiante de l’époque. Voilà le produit de l’invention des droits de l’homme contre la quête d’un droit pour l’homme.
» Les droits de l’homme » sont une arme à subvertir le monde.