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Publié le 8 juin 2018. Réactualisé le 11 novembre 2019.
Par Gérard POL.
Ce que nous rappelle l’offensive économique de Donald Trump – qui a surpris le monde et dérangé brutalement ses habitudes – c’est que le mondialisme, le libre-échangisme, ne sont que des idéologies et en ont la fragilité.
Les idéologies sont un puissant moteur de l’Histoire, il est vrai. Mais quelles que soient leurs prétentions philosophiques ou éthiques, elles naissent et meurent de réalités plus déterminantes encore, devant lesquelles, en définitive, elles cèdent un jour ou l’autre.
Les anglo-saxons ne parlent pas de mondialisation mais de globalisation, laquelle, dans leur logique et leur esprit, signifie surtout l’abaissement généralisé des taxes douanières instituant un marché mondial unique ou si l’on veut globalisé. De cette évolution dont les anglo-saxons ont été les promoteurs parce qu’ils la pensaient favorable à leurs industries et à leur commerce, l’on a fait un dogme, l’on a forgé une idéologie. Surtout en Europe, d’ailleurs, et surtout en France, reconnaissons-le, où l’on a volontiers l’esprit abstrait. Les buts d’affaires des anglo-saxons y étaient naïvement assimilés aux vieux rêves hugoliens ou plus récemment attaliéns ou encore démochrétiens, d’unité du monde ! Ce n’est pas ainsi que l’on raisonne au Texas ou dans l’Arizona.
Mais les réalités économiques du monde ont évolué autrement que prévu. La donne a changé. La Chine, en particulier, n’est plus cet immense marché à conquérir qui a été comme un mirage que l’on fixait avec avidité ; elle n’est même plus cet atelier du monde auquel on a un temps transféré en masse des travaux manufacturiers bas de gamme, à faible coût. La Chine est un dragon capable de haute technologie, qui a commencé de ruiner les économies occidentales, américaine en premier lieu. Comme elle avait ruiné l’Angleterre au XVIIIe siècle avec son thé. Le déficit commercial des Etats-Unis avec la Chine aura atteint 276 milliards de dollars en 2017…
L’autre dragon du monde actuel est l’Allemagne. Elle prend chaque année de considérables bénéfices sur la plupart des grandes économies du monde, dont ses partenaires européens, qui semblent pour l’instant s’y être résignés, mais aussi sur les Etats-Unis de Donald Trump qui, lui, ne se résigne à rien du tout.
Reconnaissons à Emmanuel Macron d’avoir admirablement résumé la situation à l’endroit de l’Allemagne – mais tout aussi bien de la Chine : « les bénéfices des uns sont les déficits des autres ». On ne saurait mieux dire les choses ni définir plus simplement à quoi aboutit aujourd’hui le libre-échange généralisé.
Donald Trump sait au moins compter. Il a pris la mesure du déficit du commerce extérieur de son pays : près de 600 milliards de dollars par an, soit près de 10 fois le nôtre (62 milliards) pour un PIB autour de 19 000 milliards, soit seulement près de huit fois le nôtre (2 400 milliards).
Donald Trump a donc sifflé la fin de partie de cette phase de l’histoire moderne où l’on a cru sottement à la fin de l’Histoire et au primat de l’économique, qui devait demeurer l’unique réalité d’un monde uni et pacifié. Il ne nous semble pas que Donald Trump ait la moindre notion de ces utopies ou, en tout cas, qu’il leur accorde un quelconque crédit.
En matière économique, comme politique ou militaire, la ligne du président américain est simple, elle n’est pas nouvelle, elle renoue avec le sentiment américain le plus ancien, le plus profond et le plus constant, c’est à dire avec sa soif maintenant multiséculaire de richesse et de puissance. Trump l’a résumée dans la formule sans détour : America first.
Alors, les hiérarques européens se sont indignés, Macron a repris son postulat anachronique et faux : « le nationalisme, c’est la guerre » et Le Figaro n’a pas reculé devant le risque de tourner notre président en ridicule en titrant à la une : « Emmanuel Macron met en garde les Etats-Unis ». Allons donc ! L’Allemagne boude après la taxation de ses exportations d’acier et d’aluminium vers les Etats-Unis, mais modérément parce qu’elle inonde le marché américain de ses grosses voitures et qu’elle voudrait bien éviter à son industrie automobile le sort de sa sidérurgie. Rien n’est moins sûr, d’ailleurs. La Chine proteste de sa bonne volonté et promet d’ouvrir son marché intérieur. Elle n’y croit sans-doute pas beaucoup plus qu’elle n’est crue.
Il nous paraît en revanche assez clair que le libre-échange universel – du moins tel qu’on le rêve à l’OMC ou à Bruxelles – dérange aujourd’hui trop d’intérêts puissants pour demeurer en l’état. A commencer par ceux de la première nation économique – et militaire – du monde, les Etats-Unis d’Amérique.
Trump n’a pas été élu par la population assemblée de l’humanité toute entière. Il n’est pas en charge de l’univers mais des intérêts américains. C’est d’ailleurs à eux qu’il pense pour être réélu d’ici à deux ans. Et c’est pourquoi il s’emploie à protéger sans états d’âme trop universels, ses industries, son commerce, les travailleurs et les patrons américains. Ses électeurs. Nous serions étonnés qu’Emmanuel Macron ou Justin Trudeau soient de taille à le faire changer d’avis.
Nous serions sans aucun doute résolument libre-échangistes, mondialistes, universalistes, si nous étions Chinois ou Allemands. Nous trouverions à cela d’excellentes raisons idéologiques et morales. Nous en ferions notre propagande. Et nous accumulerions les milliards.
Nous avons en commun avec Donald Trump et les Américains de n’être ni Chinois ni Allemands et d’avoir avec ces deux grands peuples qui ne sont nos ennemis ni l’un ni l’autre, des déficits de nos échanges commerciaux considérables. Trump en a tiré la conséquence et nous ferions bien d’en faire autant. Le libre-échange n’est pas affaire de doctrine, d’idéologie ou de principe. C’est affaire de circonstances, d’époque, et d’opportunité. Pour la France, comme pour l’Amérique, depuis déjà nombre d’années, le libre-échange ce sont des déficits. ■