Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Sa filiation, ses études, sa profession, son statut socio-médiatique : rien ne fait de Geoffroy, rejeton des Daniel de Lagasnerie, un damné de la terre, tout en fait au contraire un de ces privilégiés que vomit son discours schizophrénique.
Ses propos au micro de France Inter (« matinale » du 30 septembre) ont provoqué l’indignation à droite et une gêne certaine à gauche. Il ne faut pourtant pas s’étonner qu’un intellectuel de l’extrême-gauche dite radicale refuse le principe même de tout débat avec un adversaire politique : pour lui, parler avec ses « ennemis » c’est ratifier « la possibilité qu’ils fassent partie de l’espace du débat », alors que « la politique est de l’ordre de l’antagonisme et de la lutte ».
Il demande même « un espace de censure pour permettre aux opinions justes de prendre le pas ». En clair : il convient d’interdire par la censure les « opinions injustes » au bénéfice des seules « opinions justes ». Que « juste » renvoie à « justice » ou à « justesse », peu importe : les opinions justes sont évidemment celles de Geoffroy. On comprend que, voilà déjà quelques années, Marcel Gauchet ait vu en lui un représentant de la « bêtise rétrograde d’une extrême-gauche en délire ».
Geoffroy nous renvoie à notre propre Histoire
Par ses propos, Geoffroy nous renvoie à notre propre Histoire. Si la Révolution marque une rupture avec le monde qui l’a précédée, c’est bien par la terreur érigée un temps en mode de gouvernement et par le rejet, la négation, l’annihilation, la néantisation de tout ce qui peut s’opposer à elle. La Terreur, même sous une forme affadie, ressurgit ainsi régulièrement en France avec l’extrême-gauche : en 1945, le « Comité d’épuration des gens de lettres » (noyauté par le Parti communiste) n’a pas vraiment cherché le débat avec des dizaines d’écrivains présumés coupables d’« opinions injustes ». En 1968, le modus operandi des fameuses « assemblées générales », dûment convoquées et quadrillées par des groupuscules gauchistes, permettait à une minorité étudiante violente et agressive de verrouiller toute possibilité de débat avec ceux des étudiants, majoritaires, qui n’avaient pas les « opinions justes » de la minorité. Aujourd’hui même, l’extrême-gauche de Geoffroy a fait alliance avec un islamo-terrorisme en qui elle se reconnaît et qu’elle admire certainement parce qu’il tue des mécréants au nom de ses « opinions justes ».
Pour le rétablissement de la censure.
Geoffroy est donc enfermé dans sa logique folle. Il peut bien s’exprimer avec le calme froid (et par là même inquiétant) de tous ces idéologues révolutionnaires prêts à envoyer leurs ennemis à la guillotine ou au goulag. Il s’inscrit dans la droite ligne des « Enragés » (révolutionnaires radicaux jugés « trop » extrêmes par Danton, Robespierre, Marat et Hébert – c’est tout dire). Il ne faut pas s’en indigner, mais l’admettre pour le combattre efficacement. De plus, ne nous étonnons pas que les propos de Geoffroy n’aient pas suscité de réaction de la part d‘une justice si prompte par ailleurs à (chercher à) sanctionner la parole encore libre de certains – l’hebdomadaire Valeurs actuelles il y a un mois, le journaliste Eric Zemmour il y a quelques jours. Après tout, malgré qu’ils en aient, les juges qui sortent de l’ENM et les intellectuels d’extrême-gauche sont les héritiers des mêmes grands ancêtres idéologiques.
Deux jours avant Geoffroy et sur la même antenne de France Inter, radio publique dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’est pas d’un pluralisme exemplaire, Mme Devillers, qui officie du lundi au vendredi à 9h40 (« L’instant M », chronique consacrée à l’impact des réseaux sociaux et chaînes d’information en continu), se plaignait à M. Maistre, président du CSA : trop d’intervenants sur les chaînes privées n’ont pas ce que Geoffroy devait nommer deux jours plus tard des « opinions justes », c’est-à-dire ne sont pas de gauche. Il est cocasse que la crypto-bolcho Sonia Devillers en appelle au CSA. Geoffroy pourrait s’inspirer d’elle : le ministère de l’Information n’existant plus depuis 1974, il devrait s’adresser directement au ministère de l’Intérieur pour le rétablissement de la censure. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Il y a dans tout homme de gauche et encore plus d’extrême-gauche un terroriste de 93 et un commissaire politique bolchevique qui sommeillent, encore, d’un seul œil.
Même chose que pour Bernanos; bourgeoisie pourrie
Valeurs actuelles, Zemmour, sans oublier Soral Ryssen et les futurs a venir
A se demander pourquoi l’extrême-gauche reste aux commandes de l’audiovisuel public en toute connaissance de nos chers dirigeants ? Alors que la moindre allusion de Zemmour, de Goldanel, d’Elizabeth Lévy, … est condamnée et les autres traînés en justice ? Il y a dorénavant dans ce pays comme une nostalgie de purges bolcho-stalinienne !!!!!
@ Jerry
Entre les noms que vous citez, il faut opérer les distinctions nécessaires. On ne peut juger ainsi et condamner sans nuance. Surtout, lorsque ce n’est pas justifié. Sinon, nous ne serions qu’une secte. Ce n’est pas notre intention.
@jerry,
Bonjour, s’il s’agit de mon post dont vous parlez, je me suis certainement mal exprimé.
Je disais que s’il s’agissait le GW Goldnadel, Elizabeth Levy, Éric Zemmour, … leurs propos sont immédiatement commentés, ridiculisés, condamnés voire même leurs auteurs, traînés en justice !! Alors que les propos d’extrémistes de la gauche stalinienne, eux, jouissent d’une liberté d’intervention, d’expression et de jugement des uns et des autres jusqu’à jeter des anathèmes, le tout sur le service public audiovisuel!!! C’est inacceptable de payer une redevance pour engraisser ces gens !!!
Reste sa morgue et son esprit de caste au service des ses fantasmes. ceux d’un homme, bien vu évidemment des salons médiatiques, et considéré avec bienveillance par la justice .
« L Eros de la destruction n’inspire pas l’idée de la création, mais la volupté du pouvoir () le : sentiment de sa supériorité qui rassasie l’amour infini du mal » (Paul Evdokimov Dostoïevski et le problème du mal ) .
On pourrait enfin lire » les Possédés, roman hallucinatoire et prophétique dont cet homme semble bien être un héros parfait. Et après? Après il n’y a rien….
La directrice de la Revue des Deux Mondes nomme d’une façon très pertinente ce sociologue de la gauche radicale : » une petite frappe intellectuelle ».
On reconnaît la racaille au fait qu’elle terrorise le quartier, impose sa loi et fascine les minus qui rêvent de devenir des caïds. L’intelligentsia française est sous la coupe de petites frappes intellectuelles, qui font la promotion de la violence, suppriment les contradicteurs (pas de liberté d’expression pour les ennemis de leur pensée) et veulent tout faire péter, surtout dans la tête des plus jeunes qu’il faut rééduquer. Ils fascinent les médias qui écoutent avec componction ces esprits « parmi les plus brillants de notre époque », auprès desquels les idéologues de la France insoumise ressemblent à des petits-bras. La pensée ça doit castagner.
Le 30 septembre, Geoffroy de Lagasnerie était l’invité de Léa Salamé et Nicolas Demorand dans le cadre de la matinale de France Inter, c’est-à-dire le créneau le plus prestigieux et le plus écouté de notre respectable radio de service public. Pendant trente minutes, ce « sociologue » fort bien implanté dans le système dont il profite tout en le vomissant, nous a expliqué pourquoi la gauche s’était fourvoyée avec ses combats sociaux et syndicaux ringards et qu’il fallait désormais opter pour la radicalité. Ce qui ne dispense pas de faire de l’entrisme dans les institutions pour les régénérer (pardi, c’est comme ça qu’il justifie son propre statut). Au hasard, quelques perles :
« Moi je suis contre le paradigme du débat, contre le paradigme de la discussion ». « J’assume totalement le fait qu’il faille reproduire un certain nombre de censures dans l’espace public, pour rétablir un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions injustes ».
« Le respect de la loi n’est pas une catégorie pertinente pour moi, ce qui compte c’est la justice et la pureté, ce n’est pas la loi ». Justice et pureté qui sont définies par « l’analyse sociologique ». « Si jamais vous produisez une action qui soulage les corps de la souffrance, vous produisez une action qui est juste et qui est pure. » Certes, mais plus précisément ? « Tout le monde sait très bien ce que c’est qu’un corps qui souffre ».
« Un habitué du coup de force contre la liberté d’expression. »
Geoffroy de Lagasnerie fait partie du comité Adama et considère l’action d’Assa Traoré comme exemplaire des nouveaux rapports de force. Apparemment, le corps souffrant du jeune homme violé par Adama Traoré en détention ne l’émeut pas. Tous les corps souffrants ne sont pas éligibles à la rhétorique révolutionnaire. Geoffroy de Lagasnerie est un habitué du coup de force contre la liberté d’expression. Avec son ami Édouard Louis, il avait demandé le boycott de Marcel Gauchet aux rencontres de Blois en 2014 car ne devaient s’y exprimer que des « progressistes ». Édouard Louis a récemment récidivé en expliquant que : « La liberté d’expression, c’est connaître les questions que l’on peut poser et les questions que l’on ne peut pas poser. Il y a des questions qui ne sont pas des questions mais qui sont des insultes. » Édouard Louis a récemment récidivé en expliquant que : « La liberté d’expression, c’est connaître les questions que l’on peut poser et les questions que l’on ne peut pas poser. Il y a des questions qui ne sont pas des questions mais qui sont des insultes. »
Tout cela pourrait prêter à rire si l’aura intellectuelle de ces idéologues était nulle. C’est tout l’inverse. Même la maire de Paris, Anne Hidalgo, a récemment tweeté que la pensée de Lagasnerie était stimulante… Vous imaginez Xavier Bertrand dire que la pensée de Zemmour est stimulante ? On assisterait à un tsunami médiatique. Éric Zemmour lorsqu’il a dit que les mineurs isolés étaient tous des délinquants, des violeurs, des voleurs, a récolté l’hallali. Des journalistes ont même demandé au CSA d’être plus sourcilleux quant à la « droitisation » de certaines chaînes infos.
« Que Lagasnerie fasse l’apologie de l’« action directe » et affiche son mépris de la loi devrait les inquiéter aussi. Bien au contraire, on s’incline devant cet esprit brillant et on l’absout. »
Que Lagasnerie fasse l’apologie de l’« action directe » et affiche son mépris de la loi devrait les inquiéter aussi. Bien au contraire, on s’incline devant cet esprit brillant et on l’absout. Daniel Schneidermann nous explique que, sur France Inter, « ses punchlines dépassaient un peu sa pensée ». Et qu’il « provoquait, avec un art consommé de la provocation. » Ce qui indigne Daniel Schneidermann, en revanche, c’est que Charlie ait eu le droit de publier des caricatures du Prophète mais que Lagasnerie, lui, ne bénéficie pas « du même droit de prononcer quelques gros mots le matin à la radio. De ces deux blasphèmes, l’un était manifestement plus blasphématoire que l’autre. » Écœurant. Ceux de Charlie sont morts pour la liberté d’expression que Lagasnerie propose justement de supprimer puisqu’il faut créer de nouveaux espaces de censure… Mais Schneidermann en fait un martyre de la liberté d’expression. Oui, car seuls les progressistes ont le droit de s’exprimer librement. Et en caricaturant Mahomet, Charlie a versé dans le camp des islamophobes : selon les racailles de la pensée, qui reprennent les termes des doctrinaires salafistes, c’est « impur ». D’ailleurs, pour Lagasnerie, les djihadistes du 13 novembre 2015 avaient « plaqué des mots djihadistes sur une violence sociale qu’ils ont ressentie quand ils avaient 16 ans ». Les pauvres, ce sont eux les vrais corps souffrants.
Par acquis de conscience, on s’est tout de même plongé dans les différents propos de Lagasnerie pour voir si ses « punchlines » avaient dépassé sa pensée. Dans certaines interviews, son mode politique s’affine. « Moi si on me disait : c’est bon, nous avons autant d’armes que l’État, nous pouvons prendre l’Élysée demain, je serais pour la violence puisque le rapport de force sera à notre avantage… Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui. » Voilà de quoi nous rassurer sur le fond de son discours.
« La théorisation de la censure, la mise à l’index des pensées non conformes, le refus de discuter avec l’autre, la célébration de l’entre-soi se sont banalisés […] comment imaginer que les générations formatées à ce moule identitaire relativiste et souvent antirépublicain en sortent indemnes ? »
Ces agités du bocal de la radicalité sont-ils dangereux ? Oui, car ils sont de moins en moins marginaux. La théorisation de la censure, la mise à l’index des pensées non conformes, le refus de discuter avec l’autre, la célébration de l’entre-soi (idéologique, de race, de sexe, de genre, d’ethnie) se sont banalisés. De réunions en non-mixité à la suppression des conférences d’intellectuels « indésirables », en passant par les pièces de théâtre censurées, un nouveau paysage médiatique, culturel et universitaire se déploie. Une nouvelle norme de la pensée. Toute remise en question de l’extrême gauche est fascisante. Même si l’exaspération commence à se faire sentir, comment imaginer que les générations formatées à ce moule identitaire relativiste et souvent antirépublicain en sortent indemnes ?
Le Génie lesbien d’Alice Coffin est un coquet succès d’édition, preuve que ses thèses intéressent voire convainquent. Elle y écrit qu’« à défaut de prendre les armes, il nous faut organiser un blocus féministe. Ne plus coucher avec eux (les hommes), ne plus vivre avec eux en est une forme. Ne plus lire leurs livres, ne plus voir leurs films, une autre. » Tout cela est-il marginal ? Consultons, pour se changer les idées, le programme du Centre Pompidou, respectable établissement public. Le musée se félicite d’accueillir Paul B. Preciado « philosophe et commissaire d’exposition, l’un des penseurs contemporains les plus importants dans les études du genre, des politiques sexuelles et du corps ». À partir du 15 octobre, cette sommité incontournable nous propose « une narration chorale du processus révolutionnaire en cours » avec des acteurs du monde culturel (en fait toute la fine fleur radicale indigéniste, néo-féministe et décoloniale). « La proposition est de construire un cluster révolutionnaire antifasciste, transféministe et antiraciste ». Il s’agit, s’enthousiasme Paul B. Preciado, de « penser l’identité politique comme un virus et les agencements d’oppression, d’action et de transformation comme des clusters. »
Quand Lagasnerie jugera qu’il y a suffisamment d’armes pour attaquer l’Élysée, nul doute qu’il choisira Preciado comme ministre de la propagande. Et le centre Pompidou comme siège de sa Kommandantur ?