Par Hilaire de Crémiers.
Même quand tout devient tragique, ils restent les mêmes.
Venez, venez, orages désirés !
La phrase fut lâchée à petit bruit en plein milieu du mois de septembre, au cœur de ce qu’on appelle la « rentrée » où chacun, dans la vie civile comme dans la vie politique, réajuste son programme et son discours : Édouard Philippe, pour se rappeler au bon souvenir des Français et, sans doute, du premier d’entre eux, lançait, lui, l’homme froid et décidé, un avis de tempête. Sobriété de ton, violence du propos. Tempête économique, précisait-il, tempête sanitaire, tempête sociale, « tempête à tous égards ». Il ajouta à son énumération sèchement descriptive : « peut-être, une tempête politique ». Comme si cette dernière tempête qui devait mettre le comble à toutes les tempêtes si scrupuleusement annoncées, ne pouvait être, sous forme de subtile probabilité, qu’inéluctablement attendue. Donc supputée, donc anticipée, donc évaluée dans les calculs de la navigation politique, donc, afin de faire bouger les flots et tanguer le navire, secrètement espérée. Image parlante ! Venez, venez, orages désirés !
Qui a « géré » ?
L’ancien Premier ministre intervenait publiquement dans une réunion électorale, quelques semaines à peine après son départ de Matignon ; et on se souvient que ce retrait, tout en discrétion et gravité, conçu et réalisé avec soin et diligence dans la très opportune circonstance du deuxième tour des élections municipales, lui permit de récupérer aisément l’Hôtel de Ville du Havre qu’il considère comme « sa » ville, autrement dit comme « son » fief. Il avait maintenu sur ce coin de terre ferme son existence politique, tout en se jetant hors du navire gouvernemental. Il le rappelait à qui de droit !
Ainsi, sans que personne s’en étonnât – sauf, peut-être, le premier cercle de la macronie –, celui qui a dirigé pendant trois ans le gouvernement de la France s’autorisait à énoncer coram populo sur l’état du pays le plus sévère des jugements et le plus terrible des pronostics.
Or, que l’on sache, c’est l’état dans lequel lui-même l’a laissé à son successeur, Jean Castex, et dont il est nécessairement et évidemment responsable, lui, au premier chef, tout autant que le président qu’il assurait servir loyalement ; car il servait, disait-il, faisant fi fièrement de sa carrière et rompant intelligemment avec son parti ! C’est lui et nul autre qui prétendait sous la présidence macronienne qu’il ralliait, réformer la France malgré les Français, uniformiser le système des retraites malgré les intéressés, contraindre les citoyens jusque dans leur vie quotidienne par ses décisions technocratiques sans l’avis des élus locaux, provoquant la révolte des Gilets jaunes, mettant le pays sous tension permanente, sans régler pour autant aucun des problèmes de fond qui inquiètent les Français : la sécurité, la lutte contre l’immigration, la liberté d’entreprendre, la moralité publique, le redressement éducatif, la perte catastrophique d’indépendance et de substance de notre pays que la crise elle-même révélait cruellement.
Enfin, c’est lui qui a « géré », comme on dit maintenant, toute la première phase pour le moins chaotique de cette crise sanitaire où le mensonge d’État a couvert l’incurie administrative et la sottise politique ; c’est lui qui, le premier, a cassé la machine économique française, plombé les finances, alourdi la dette, enfermé les Français dans l’alternative morbide, soit du renoncement à toute activité vitale, soit du risque mortifère de la pandémie généralisée. D’où il semble impossible de sortir encore aujourd’hui, tant l’administration omnipotente aux ordres d’un État inepte a pris l’habitude de tout réglementer au nom de la France et des Français, à la grande fureur d’une partie du peuple qui ne demande qu’à vivre et à travailler, tout autant qu’à la folle inquiétude de l’autre partie qui est savamment terrorisée. Si le pays en est là aujourd’hui, c’est donc en grande partie à lui qu’il le doit, comme à Macron qui, au-dessus de son Premier ministre, s’amusait, lui, comme un gosse immature qui se croit surdoué, à jouer au chef de guerre en se prenant pour Clemenceau !
Et voilà qu’à Angers, chez son ami Christophe Béchu, Édouard Philippe a renouvelé son analyse et ses pronostics – mais à huis clos – devant un petit parterre d’élus choisis soigneusement, tout en faisant connaître que s’il était toujours loyal, ce n’était qu’à l’égard de ses propres convictions, à savoir, comme il l’a précisé, « l’audace, le dépassement politique et l’ambition réformatrice ».
L’information ainsi divulguée apprend à qui veut bien comprendre, qu’Édouard Philippe est loyal d’abord envers lui-même, ce qui ouvre des perspectives pour sa propre carrière et pour celle de ses amis. Ce généreux sentiment de loyauté – c’est vraiment admirable ! – est conforté par les bons sondages qui le concernent – c’est ainsi en République – et par la difficulté simultanée qu’éprouve Jean Castex à convaincre les Français dans la poursuite d’une politique qui semble aussi vaine que périlleuse pour l’avenir du pays. La voix de Philippe se fait entendre alors que le parti présidentiel LREM traverse une crise existentielle, accumulant les échecs électoraux, multipliant les querelles internes qui se manifestent en départs tonitruants, tel celui, tout dernièrement, de Pierre Person ; alors que le ministre de la Santé, Olivier Véran, dresse le midi provençal contre la dictature parisienne ; que le garde des Sceaux, Dupond-Moretti, impose aux magistrats ses billevesées d’avocat de gauche, allant jusqu’à nommer Nathalie Roret, sa consoeur avocate, à la tête de l’École Nationale de la Magistrature, jusqu’ à vouloir faire filmer les séances judiciaires au mépris de toute réserve et de toute pudeur. La France est gouvernée par une bande de fous qui cherchent tous à se faire valoir, quel que soit leur parti, ancien, nouveau, LREM, EELV, MoDem avec un Bayrou prêt déjà à trahir le président qui, d’une manière insensée, lui a accordé un commissariat au plan dont l’homme compte bien se servir comme d’un instrument de domination. Même le président s’est mis en colère contre sa bande innombrable de ministres et de sous-ministres qui ne cherchent que leur intérêt.
Imposture républicaine
Les prétentions d’Édouard Philippe sont du même ordre et de la même qualité. Il était utile de revenir ici sur son cas. Il est caractéristique du régime dont il est l’émanation, comme Macron, et qu’il utilise à ses fins. C’est ce régime qui est la plaie de la France.
Macron dénonce « le séparatisme », nouvel euphémisme pour dissimuler l’inaptitude radicale des gouvernants à concevoir le mal qui ravage le pays, en essayant d’hypostasier une République qui ne justifie en fait que leur envie de s’en emparer. Et, dans le même temps, la France apprend que l’auteur du dernier attentat était un faux mineur qui vivait au frais du contribuable, comme tant d’autres, par milliers et qui coûtent des milliards, et qu’il avait son droit de séjour, prêt ainsi à faire venir au titre du regroupement familial d’autres membres de sa tribu.
En France, aujourd’hui, tout est fraude, tout est absurde. La fraude sociale atteint des sommets comme l’a montré Charles Prats dans son livre Cartel des fraudes, paru chez Ring. Édouard Philippe a couvert de sa prétendue rigueur cet ensemble de monstrueuses politiques. Premier ministre, n’avait-il pas monté un plan d’action pour le département le plus désolé de France, la Seine-Saint-Denis afin de remédier à « ses difficultés hors normes », en accordant, entre autres, 10 000 euros de prime à tout fonctionnaire qui accepterait d’y tenir un poste ? Oh, la bonne République ! Eh bien, le décret d’application n’est même pas signé et les élus locaux sont furieux, comme il se doit. Ce qui n’empêche pas Édouard Philippe de pointer son nez dès maintenant, au cas où la barre du navire serait à nouveau à prendre. Et combien comme lui ? Peut-être même Hidalgo ! Eh oui, c’est possible ! Cependant que tous les comptes publics sont à la dérive et que personne ne sait où en sera la France dans un an !
Au fond l’institution républicaine ne tient que par l’appétit du pouvoir qu’elle suscite chez ses protagonistes et qui fait que le jeu recommence indéfiniment. Des discours, des discours, des discours ! Words, words, words !
Macron, Philippe, Véran, Dupond-Moretti, tous quels qu’ils soient, ressemblent à ce préfet de police des Histoires extraordinaires d’Edgar Poe qui, dans sa suffisance, s’imaginant tout savoir et croyant tout comprendre, passait son temps « à nier ce qui est et à expliquer longuement ce qui n’est pas ». ■
Article précédemment paru dans Politique magazine
Bonjour à tous,
Admirable rappel des faits qui permet de situer les responsabilités de la désintégration de la France…en marche continue vers l’abîme depuis 40 ans !
Le sursaut ne dépend que de nous et pas de l’invocation de je ne sais quelle Providence…
Rien à ajouter.
Lucide analyse politique d’Hilaire de Crémiers, qui stimule mon envie de citer quelques aspects témoignant de la bizarrerie de notre système républicain dont on devrait pourtant être si fier à entendre tous les ‘républicanolâtres’ qui nous gouvernent.
Edouard Philippe fut-il pendant trois ans un premier ministre admirable justifiant qu’il se situe aussi haut dans les sondages depuis trois ou quatre mois ? Je laisse à chacun le soin de se faire sa propre opinion et je préfère aborder un autre aspect de la question.
Si le premier ministre est devenu aussi populaire qu’on l’affirme dans une certaine presse, pourquoi Emmanuel Macron aurait décidé aussi soudainement de se séparer de lui? Le bon sens dicte que l’on ne change pas une équipe qui gagne. Ce précepte n’a-t-il donc pas cours au plus haut niveau de notre Vème République ? En ce cas, il faut admettre qu’un président se doit de ne pas supporter que son premier ministre devienne trop populaire, voire plus populaire que lui. Au lieu de se réjouir de la popularité de son premier ministre, le président doit la redouter. Par sentiment de jalousie ? Plus exactement parce que la popularité du premier ministre fait de ce dernier un futur rival politique du président, susceptible de lui faire concurrence à la prochaine élection présidentielle en se présentant contre lui. Voilà où nous en sommes dans notre république. Au plus haut niveau, l’instauration de la méfiance institutionnelle permanente entre les deux têtes du pouvoir.
Il semble que cette problématique ne se pose pas en régime royal puisqu’un roi, non élu par définition (sauf peut-être la première fois, comme pour Hugues Capet élu par ses pairs et une fois pour toutes), n’a rien à redouter de la popularité d’un premier ministre. Bien au contraire, car la popularité du premier ministre est susceptible de rejaillir sur la personne du roi qui aura ainsi montré au peuple sa lucidité et sa sagesse en choisissant un bon premier ministre admiré du plus grand nombre.