PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro papier du 15.11. La tentation totalitaire, la violence installée sous toutes les formes que décrit Mathieu Bock-Côté nous paraissent toutefois avoir une source et des racines historiques qu’il nous paraît indispensable de signaler. Le tout, en effet, existe tel qu’en lui-même dans les récits que nous avons tous lus de la Révolution française. Si l’on voulait aller au fond des choses – Soljenytsyne l’a dit en Vendée – c’est à une rupture radicale avec les principes révolutionnaires qu’il faudrait procéder. Faute de quoi, pour longtemps, nous ne ferons que déplorer. JSF
Alors que François Hollande devait prononcer une conférence à la faculté de droit de l’université de Lille, un groupe d’étudiants d’extrême gauche est parvenu à perturber l’événement et à le faire annuler. Si la chose est assez commune sur les campus américains, elle demeure étonnante en France, surtout lorsqu’elle concerne un ancien président de la République. La scène a culminé lorsque des étudiants, publiquement, ont déchiré fièrement les livres que François Hollande devait dédicacer dans une séance de signatures. C’était glaçant.
Hélas, cette forme nouvelle d’autodafé n’est pas vraiment surprenante, pour peu qu’on la replace en son contexte. La gauche radicale pratique le sectarisme à l’université depuis longtemps. De manière constante, elle travaille à en exclure ceux qui ne voient pas le monde avec ses lunettes théoriques. Au fil des dernières décennies, elle est ainsi parvenue à « idéologiser » le corps professoral et à condamner au silence ceux qui ne s’y reconnaissent pas en intimidant les dissidents déclarés ou potentiels. Qui n’affiche pas son adhésion ou du moins, sa soumission aux codes du politiquement correct, peinera à faire carrière dans l’institution. Il ne sera pas admis dans le monde du savoir.
La gauche idéologique ne s’est jamais contentée de son supposé monopole du cœur. Elle prétend avoir aussi le monopole de l’esprit scientifique, hier, au nom du marxisme, aujourd’hui, au nom de la sociologie diversitaire. Mais toujours, il s’agit de rejeter ses adversaires hors du périmètre de la légitimité académique. Trop souvent, on cherche un sociologue et on tombe sur un cuistre. Les discours qui contredisent l’extrême gauche ne méritent à ses yeux aucune considération et relèveraient de l’opinion commune, sans valeur intellectuelle. À moins de les classer dans la catégorie des propos haineux. Dès lors, tous les coups sont permis contre celui qui est présenté comme un ennemi du savoir et de l’humanité. Nul besoin de débattre avec une créature sortie des enfers.
Les méthodes de la gauche radicale sont nombreuses. Elle n’hésite pas non plus à créer des polémiques artificielles fondées sur des propos sortis de leur contexte en organisant le lynchage médiatique de ceux qui s’opposent à ses entreprises. Son appui aux lois liberticides qui rapetissent sans cesse le domaine de la liberté d’expression est aussi connu. Il ne faudra pas s’étonner quand elle plaidera pour qu’on retire des bibliothèques universitaires les livres qu’elle n’aime pas.
La destruction physique de livres a toutefois une charge symbolique très singulière. Elle correspond à un retour revendiqué de la violence politique. On ne veut plus seulement expulser son ennemi du domaine public, on veut l’annihiler, l’anéantir, détruire jusqu’à son souvenir. La prochaine étape, à court ou moyen terme, sera celle de la violence physique. Les passions politiques se réchauffent et les cervelles fanatisées ne sont plus capables de comprendre le désaccord civilisé. Certains séviront au nom de l’antiracisme, d’autres au nom de l’écologisme ou du véganisme. La plupart se laisseront intoxiquer par une détestable bouillie idéologique qui mêlera tous ces éléments.
Il y a dans la plupart des sociétés occidentales un étonnant paradoxe. Alors que les élites médiatiques et intellectuelles ne cessent d’assimiler à « l’extrême droite » des mouvements politiques qui respectent les formes et l’esprit de la démocratie libérale, ou du moins, qui prétendent le faire, elles se montrent d’une étrange complaisance avec une extrême gauche militante qui en appelle ouvertement à la censure de ses adversaires et fait tomber le tabou de la violence politique. C’est que sa violence s’expliquerait non pas par le ressentiment mais par une révolte légitime contre l’injustice, répliquent certains.
On ne pourra lutter sérieusement contre ces pratiques qu’en cessant de prendre l’extrême gauche pour l’avant-garde turbulente de la démocratie. La chute du mur de Berlin n’a pas représenté la fin de la tentation totalitaire. Cette dernière emprunte désormais de nouveaux habits idéologiques. Les maîtres penseurs de la gauche radicale passent pour de grands professeurs, ses militants les plus teigneux, persuadés de poursuivre le combat contre le fascisme, se chargent d’agresser les conférenciers et entre les deux, ses perroquets demi-lettrés ne cessent de légitimer son action.
Devant cela, la classe politique, l’administration universitaire et une bonne partie du professorat peuvent faire semblant de s’indigner – leur passivité est pourtant gênante. Le surmoi progressiste des élites les paralyse. Elles consentent au pourrissement de la vie civique alors qu’elles devraient s’en faire les gardiennes. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Le communisme est mort, mais pas l’idée communiste et les pratiques qui l’ont historiquement accompagnées, comme la réduction de celui qui ne pense pas bien à un ennemi absolu qu’il convient d’éradiquer ou du moins de faire taire. Le marxisme et l’idéologie communiste se sont emparés de l’université il y a bien des décennies. Un Alain Badiou (pour sourire un peu, le correcteur me propose à la place de ce nom propre le mot Badaboum, pour une fois, une intelligence artificielle qui a de l’esprit), stalinien et maoïste de stricte observance peut encore aujourd’hui faire l’apologie de l’idée communiste devant un parterre de quelques centaines de jeunes bourgeois révolutionnaires de salon, défendre la mémoire du Coryphée des sciences et Petit Père des peuples sans que la presse bien pensante et les professionnels de l’indignation vertueuse paraissent s’en émouvoir. La complaisance médiatique et politique à l’égard de ces agitateurs de la gauche radicale, qui, comme à l’université de Lille, rêvent de refaire les bûchers de livres s’explique par ce curieux déséquilibre en France de la mémoire historique si bien analysé par Alain Besançon dans son petit mais très grand livre sur le malheur du siècle. Hypermnésie du nazisme et amnésie du communisme, qui fait que pour beaucoup encore, il est scandaleux de vouloir rapprocher, comparer ces deux grands mouvements totalitaires qui furent, pour reprendre la belle expression de Pierre Chaunu, des jumeaux hétérozygotes. Un éditorialiste de l’Humanité pouvait déclarer, droit dans ses bottes, il y a encore peu, que 100 millions de morts n’étaient pas une objection à la légitimité de l’espérance communiste, et des historiens, communistes ou communisants, officiant par exemple à la Sorbonne, peuvent se livrer, qui a à une réhabilitation de la RDA, qui à un éloge du bilan globalement positif de l’URSS, sans oublier les dénonciations, dans la plus pure veine des publications staliniennes des années 50, des » réactionnaires » qui veulent noircir la mémoire de ces pays où il faisait si bon vivre. Sans oublier également tous ces » progressistes » non communistes, comme la veuve de Mitterrand, ou encore Mélenchon (dont la personne, comme chacun sait, est sacrée, tout comme le Saint Coran) qui versaient des larmes abondantes à la mort de Castro. Imaginons un instant les réactions des médias et de la caste vertueuse si un homme politique français s’était indigné de l’inhumation de la dépouille de Franco. Il aurait pu dire adieu à sa carrière politique. Nous aurons sans doute longtemps à subir la tyrannie intellectuelle de ces progressistes ayant toujours un regard noyé d’amour pour octobre 17 et ses suites. Le charme d’octobre, disait François Furet, n’est pas près de finir d’agir. Je ne résiste pas pour finir au plaisir de citer ce mot du sociologue Jules Monnerot pour finir » Le communisme c’est l’homicide volontaire. le socialisme, l’homicide par imprudence ». Comment mieux dire ?
Excellent commentaire… Lorsque je vois l’opprobre – sans doute justifié, mais… – qui entoure Pinochet (6000 morts) et celui des Khmers rouges (entre 1,5 et 2 millions), je sais que nous n’avons aucune chance de nous imposer dans les cercles de la cléricature…