Par Olivier Pichon.
Telle est la proposition ébouriffante de l’ex-haut-commissaire à la réforme des retraites. Mais l’Europe a-t-elle besoin de cinquante millions d’immigrés ? Les spécialistes pensent que la France n’en tirerait aucun profit.
Il existe une loi dans cette république un tantinet bananière : plus l’homme politique a des choses à se reprocher, plus il fait dans la surenchère idéologique.
Point n’est besoin de s’étendre sur les turpitudes financières de l’ineffable Delevoye, capable néanmoins de rembourser cash 140 000 euros pour ses activités de « conseil » en assurance (activités inconstitutionnelles, c’était sans doute un détail), cumulées avec ses quatre retraites et ses émoluments de ministre, le tout étant, certes, plafonné. Mais la vraie question est : l’équation qu’il a posée – retraite des Français = 50 millions d’immigrés – est-elle politiquement et économiquement valide ?
Dimension du problème : démographie, coûts
D’abord, comme le souligne Michèle Tribalat, Delevoye s’appuie pour donner ce chiffre sur une projection de l’Onu de 1995, qui date sérieusement. La proposition a en outre des relents d’esclavagisme qui fut aussi, quoique plus contraint, un grand déplacement.
Mais puisqu’il est entendu qu’avec la réforme on a voulu sauver un système par répartition, bâti sur la solidarité des générations, il en découle plusieurs conséquences. Il faut d’abord rappeler que la France, même si elle est tombée en dessous du seuil de remplacement depuis peu (1,84), a le taux de fécondité parmi les plus élevés des pays de l’OCDE et que les générations de « remplacement » indigènes existent, même si le ratio 3/1 des années 60, idéal en matière de retraite, ne sera pas atteint. Dans le même registre démographique, on remarque que depuis cinq ans l’immigration est majoritairement masculine et ses facultés de « remplacement » sont plutôt limitées si la culture des migrants est endogame. Mais surtout, pour l’heure, cette immigration qu’appelle de ses vœux ce Iago, représente en réalité un coût et non un bénéfice. Il faudrait donc assumer des coûts croissants dans l’hypothèse d’un profit incertain. À ce jour, en effet, malgré les désirs secrets d’embauche d’un certain patronat, le migrant est une charge, il ne cotise pas aux régimes sociaux. Qu’on en juge ! Le coût de la prise en charge d’un mineur étranger au titre de l’aide sociale à l’enfance (ASE) atteint 50 000 euros par jeune et par an. Comme le rappelle toutefois Le Figaro, la contribution de l’État ne dépasse pas 1250 euros par mineur. Les départements assument ainsi chaque année deux milliards d’euros. À titre de comparaison, l’aide budgétaire aux hôpitaux pour donner suite à la grève des urgences a été d’un milliard et demi sur trois ans.
Plus globalement les immigrés sont une population surreprésentée dans les aides sociales, et on ne saurait tout à fait le leur reprocher, les coupables étant plutôt ceux qui les font venir. À ces coûts il faut ajouter l’AME qui représente un autre milliard. En 2006, les économistes Yves-Marie Laulan et Jacques Bichot chiffrent le coût de l’immigration à 24 milliards, auxquels s’ajoutent 12 milliards au titre de « l’intégration ». Cela faisait 36 milliards. Depuis, ce montant est estimé à 70 ou 80 milliards. Selon d’autres sources, le montant actuel serait en fait de 160 milliards, et augmenterait de 10 % par an, coût global du financement des illégaux et « légaux » que nos gouvernements font entrer au nombre de 300 ou 400 000, chaque année, à la charge du contribuable français. Mais les politiques sont obstinément muets sur les chiffres réels. Et si en plus on prend en compte les coûts induits, par exemple, la délinquance, sachant que 70 % des effectifs des prisons sont issus de l’immigration, la facture ne fait qu’augmenter.
Une fusse bonne idée
L’auteur de ces lignes s’était penché sur la question à l’occasion de la remise d’un rapport du Commissariat au plan peu avant que cette institution gaullo-communiste a été supprimée en 2006. Elle s’était illustrée par sa vision très planiste (au sens d’Henri de Man et des plans soviétiques) mais, surprise ! elle démontrait alors que faire financer les retraites par répartition en comptant sur ce qu’on appelle maintenant le « grand remplacement » était une hypothèse peu solide. Quel en serait l’effet sur le ratio de dépendance (le pourcentage de personnes actives rapporté aux inactifs), compte tenu de la croissance du nombre de retraités ? Les hypothèses de soldes migratoires de + 100 000 ou + 150 000 personnes par an n’auraient eu qu’un effet marginal. Mieux, avec 100 000 entrées nettes, le ratio 1,73 actifs pour 1 retraité serait passé à 0,71 en 2040 : à long terme, l’arrivée à l’âge de la retraite des immigrés eux-mêmes aurait limité, voire annulé, les possibles bénéfices de l’opération.
En réalité le maintien du rapport entre population active et personnes âgées exigerait des flux annuels beaucoup plus importants (200 000, 300 000 voire beaucoup plus). Mais le démographe Hervé le Bras¹, peu soupçonnable d’être critique à l’égard de l’immigration, affirme que ces objectifs seraient « irréalisables » voire « illusoires ». Enfin, sur le plan économique, si on raisonne en croissance du PIB, il n’y a strictement aucun problème de rapport actif/retraité, grâce notamment aux gains de productivité. C’est là d’ailleurs que le bât blesse, « faites-nous de la bonne économie nous vous ferons une bonne retraite ! »
Dimension politico-culturelle
L’esprit de la réflexion de Delevoye repose sur une facilité mathématique, mais les hommes ne sont pas interchangeables, voilà bien un défaut de l’oligarchie globaliste. Culturellement, historiquement, les humains sont différents, il est tout à fait singulier de constater que ceux qui hurlent à la diversité sont, en l’occurrence, prêts à la nier dans ce cas de figure en réduisant les humains à une machine à produire et à cotiser. Par ailleurs la naissance de notre système social, hérité de la Libération (en réalité il y avait déjà une vie sociale avant) pour contestable qu’il soit dans certains de ses aspects, était basé sur la solidarité nationale. Celle-ci ne peut s’exercer dans un pays et un système en voie de communautarisation, le lien social a été déchiré et le spectre culturel s’est élargi de façon radicale et l’on ne voit pas pourquoi tel immigrant de fraîche date, même avec la nationalité française, accepterait (pour l’instant c’est obligatoire mais…) de cotiser pour des vieux « de souche » : en bref, Mohamed 30 ans voudra-t-il cotiser pour Gérard 70 ans, ce d’autant que Mohamed à des anciens à charge au pays et qu’il procède à des envois massifs de fonds ? La comptabilité nationale les désigne comme « transferts unilatéraux » qui s’affichent en négatif dans la balance des paiements. Et on ne compte pas les centenaires qui continuent de toucher une pension.
Non, décidément, Jean-Paul Delevoye avait certainement plus de talents pour organiser sa comptabilité personnelle que pour raisonner sur les données macroéconomiques et démographiques. Mais les hommes passent et les fausses bonnes idées demeurent. ■
1. Hervé Le Bras, démographe de l’INED, qui s’appuie notamment sur le rapport de l’ONU. « Les migrations de remplacement : s’agit-il d’une solution au déclin et au vieillissement des populations ? »
Article précédemment paru sur politiquemagazine.fr