Lorsqu’on entreprend la lecture d’un article d’Olivier Rey l’on peut être assuré que le sujet sera traité sous ses aspects les plus fondamentaux, les plus importants, et jusqu’en ses ultimes développements. La réflexion d’Olivier Rey pourrait en très bref se ramener ici à la proposition suivante adressée aux conservateurs : « Au lieu d’abandonner les postures écologiques au progressisme, les conservateurs devraient démasquer l’imposture progressiste sur le sujet, au lieu de tenir à distance la question écologique, ils devraient s’y impliquer pleinement. » Réflexion menée ici, de toute évidence, sous le signe d’une critique de fond de la modernité ou postmodernité. JSF
« Les estampillés conservateurs seraient plus cohérents que les dénommés progressistes en investissant ce terrain. »
Dans un article de 1955 intitulé « Pouvons-nous survivre à la technologie ? », John von Neumann, figure majeure de la science au XXe siècle, estimait que la quantité de dioxyde de carbone rejetée par l’industrie avait déjà, à cette époque, entraîné un réchauffement global d’un demi degré : comme on voit, la question climatique ne date pas d’hier !
En 1979, un rapport commandé par l’administration américaine au National Research Council montra qu’il y avait tout lieu de s’inquiéter, et c’est au cours de la décennie suivante que fut créé, à l’échelle internationale, le GIEC. Lorsque le sujet du changement climatique induit par les activités humaines prit de l’importance dans la sphère publique, il n’était pas connoté politiquement: en 1997, une enquête menée aux États-Unis montra qu’il n’y avait pratiquement aucune différence entre démocrates et républicains à ce propos – la moitié environ des électeurs de chaque camp admettait qu’un réchauffement était en cours.
Rapidement cependant, les choses changèrent: en 2008, une nouvelle enquête montra que la proportion des démocrates concernés par le sujet était passée de 52 à 76 %, celle des républicains de 48 à 42 %. En une grosse décennie, un écart insignifiant de 4 % entre les deux camps était devenu une fracture de 34 %, et l’opinion sur la question climatique fortement corrélée à celles sur l’avortement,le mariage homosexuel et le contrôle des armes. Comment expliquer pareil état de fait?
C’est le propre d’une idéologie que de passer la réalité à son crible, pour n’en laisser filtrer que ce qu’elle est en mesure de digérer sans dommages. En ce qui concerne le réchauffement climatique, le filtre libéral (au sens américain du terme) n’oppose aucune résistance: les «progressistes», en effet, sont à l’aise avec les grandes causes mondiales, ils aiment penser «planète», et prendre des poses moralisatrices avantageuses en fustigeant les égoïsmes nationaux – toutes choses auxquelles la question climatique leur donne l’occasion de se livrer sans retenue. Conséquence: parce que la question climatique entrait dans l’ «agenda» démocrate, bon nombre de républicains (encouragés en cela par les lobbies pétroliers) se sont mis à considérer le réchauffement comme une faribole gauchiste. De la sorte, ce qu’on appelle le « climatoscepticisme » est devenu, pour les républicains américains, une sorte de marqueur identitaire, au même titre que la promotion des minorités de tout acabit pour les démocrates.
Évidemment, la promotion récente et insensée de la jeune Greta Thunberg n’est pas de nature à arranger les choses. Quand on sait l’usage que les régimes totalitaires ont su faire des enfants pour terroriser les adultes, il y a quelque chose de profondément malsain et inquiétant dans les périples de cette adolescente poupine et accusatrice, et dans les tribunes nationales et internationales qui lui sont complaisamment offertes. Prenons garde, toutefois, à ne pas confondre la réalité ou l’irréalité des faits avec la sympathie ou l’antipathie que suscite la personne qui les énonce.
Saint Clément d’Alexandrie remarquait que même au diable, il arrive de dire des vérités. Ce pourquoi il mettait en garde: «Il ne faut pas sottement condamner d’avance les paroles à cause de celui qui les prononce.» Le phénomène Greta n’entache en rien les travaux du GIEC. Les modèles du climat ne sont pas parfaits. Mais quand les enjeux sont aussi gigantesques, ce qui est rationnel n’est pas d’attendre de disposer d’absolues certitudes pour agir, mais d’agir au présent en fonction des meilleurs renseignements disponibles.
Aujourd’hui, le réel est devenu le pire ennemi des forces dites de progrès, dont l’événement infirme tous les jours les fables sur la mondialisation heureuse et le «vivre ensemble» dans la paix et l’harmonie. Le seul argument dont elles disposent, face aux faits qui contredisent explicitement le récit qu’elles substituent au réel, est d’accuser ceux qui évoquent ces faits de jouer sur les peurs. Dans une confondante symétrie, une certaine droite s’enferre, contre tous les éléments disponibles, dans le « climatoscepticisme », et la voilà qui elle-même accuse ceux qui parlent de réchauffement global de jouer sur les peurs. Attitude d’autant plus stupide, de la part de personnes qu’on rangerait dans le camp des «conservateurs», que d’une part lesdits conservateurs devraient être spécialement attentifs à la stabilité du climat, sans laquelle bien des choses ne seront pas conservées, d’autre part ils laissent le «progressisme» se présenter en remède à des maux que le progressisme lui-même contribue à aggraver.
De cette configuration, on en a eu un remarquable exemple le 23 juillet dernier où, dans la même journée, l’Assemblée nationale française a voté le CETA, traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, et reçu en grande pompe Greta Thunberg. D’un côté, un traité qui vise, en supprimant les droits de douane, à intensifier le commerce international et, en particulier, à faire traverser l’océan à des denrées alimentaires qui pourraient parfaitement être produites sur chaque rive, de l’autre l’affichage d’un «engagement pour le climat», parfaitement contradictoire. La jeune Greta, interrogée sur le sujet, n’a pas voulu froisser la puissance invitante: elle a refusé de se prononcer sur l’opportunité ou non du CETA. Un peu comme si un défenseur de la faune et de la flore aquatiques refusait de se prononcer sur le déversement des huiles de vidange dans les rivières.
Des fautes dramatiques
La prudence, le silence, quand ce n’est pas la répugnance des partis ou mouvements situés «à droite» de la scène politique à l’égard des questions écologiques peuvent s’expliquer de toutes sortes de manières. Ils n’en constituent pas moins, aujourd’hui, des fautes dramatiques. D’une part, parce quela crise écologique – dont le réchauffement climatique n’est qu’un facteur parmi d’autres -, est une donnée essentielle de notre temps, dont l’importance ne fera que croître au cours du siècle. D’autre part parce que les estampillés conservateurs seraient plus cohérents que les dénommés progressistes en investissant ce terrain. Le géographe, anthropologue et historien américain Jared Diamond a publié, en 2005, un livre intitulé Collapse, traduit en français sous le titre Effondrement. Dans ce livre, sous-titré Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Diamond a mené une étude comparée de sociétés qui par le passé, confrontées à une «dégradation environnementale», se sont effondrées ou ont su, à l’inverse, trouver les moyens de surmonter leurs difficultés.
Afin d’enrayer l’effondrement, les membres de la société doivent reconnaître leurs intérêts communs, et prendre les mesures drastiques quela préservation de ces intérêts impose. Cela n’est possible, écrit Diamond, que si une série de conditions sont satisfaites: les personnes concernées forment un groupe homogène ; elles ont appris à se faire confiance et à communiquer entre elles ; elles comptent avoir un avenir en commun et transmettre la ressource concernée aux jeunes générations ; elles ont la capacité, ou la permission, de s’organiser et de se surveiller elles-mêmes, et on le leur permet ; les frontières de la ressource et l’ensemble de ceux qui en usent sont bien définis. Le livre de Diamond a connu de gros tirages, il a été abondamment commenté mais, comme on pouvait s’y attendre, ce passage n’a pas passé le filtre de la critique. Ceux qui se disent écologistes ont bien retenu la menace de l’effondrement, mais se sont soigneusement gardés de tenir compte des conditions qui, selon Diamond, sont nécessaires pour être à même de la conjurer.
Le « no borderisme »
La vérité est que le mondialisme ne peut être la solution à la crise qu’il engendre. Non seulement cela, mais le «no borderisme» constitue l’exact inverse de la voie à suivre. Bien sûr, certains problèmes sont globaux. Mais c’est la perte de la mesure locale qui les a engendrés, et c’est recouvrer cette mesure qui peut seule permettre d’y faire face. Les efforts à déployer en ce sens sont immenses. Si immenses que la tentation naît de remettre le souci écologique à plus tard, une fois restaurées les conditions qui permettraient à une véritable écologie de se déployer. Il faut repousser cette tentation. D’abord parce qu’il y a urgence, ensuite parce qu’il ne convient pas, pour poursuivre un but, de mettre entre parenthèses un des enjeux majeurs pour lesquels il mérite d’être poursuivi. Au contraire. Au lieu d’abandonner les postures écologiques au progressisme, les conservateurs devrait démasquer l’imposture progressiste sur le sujet, au lieu de tenir à distance la question écologique ils devraient s’y impliquer pleinement.
J’ai évoqué, en commençant, l’écart considérable qui, entre 1997 et 2008, s’est creusé aux États-Unis entre républicains et démocrates au sujet du réchauffement climatique. Un mot, pour terminer, sur ce qu’il en est aujourd’hui. Une enquête menée en 2019 révèle que chez les personnes âgées de 39 ans et plus, la proportion de républicains à considérer le changement climatique comme une menace sérieuse est de 51 %, contre 95 % chez les démocrates: l’écart, on le voit, a encore augmenté au cours de la décennie écoulée. Chez les personnes âgées de 18 à 38 ans, en revanche, la situation est toute différente: 77 % des jeunes républicains considèrent le changement climatique comme une menace sérieuse, contre 76 % chez les démocrates. De tels chiffres devraient donner à penser. En s’entêtant à dédaigner les enjeux écologiques et climatiques, les conservateurs «à qui on ne la fait pas», qui jouent aux esprits forts contre la «propagande réchauffiste», montrent à quel point la lucidité dont ils se targuent leur fait défaut. Ils ne sont pas à la hauteur de la tâche qui leur revient, et sombreront dans le ridicule. ■
*Ancien élève de l’X, Olivier Rey a enseigné les mathématiques à Polytechnique, et enseigne aujourd’hui la philosophie à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il est l’auteur de nombreux essais et romans salués par la critique. Dernier ouvrage paru: Leurre et malheur du transhumanisme (Desclée de Brouwer, 2018), Prix Jacques Ellul 2019.
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Article rassurant : de 18 à 38 ans les républicains se sentent autant concernés que les démocrates par l ‘ hypothétique réchauffement climatique . Au delà de cet âge , ce sera , pour beaucoup , la froideur de la tombe au mitan de ce siècle .
Aux jeunes , réceptifs à cette propagande et qui voudraient » faire la leçon » ne pourrait – on peut faire remarquer qu’avec leurs habitudes de consommation ( multiples voyages trans-continentaux en avion , consommation – gaspillage de téléphones portables , ordinateurs et autres gadgets , il leur revient , s’ils s’inquiètent de revoir leurs habitudes . Les Amisch pourraient leur servir d’exemple .
On voudrait bien savoir ce qu’il y a de vrai dans l’’origine anthropologique du réchauffement climatique ! Y a-t-il un lien entre la pollution et le réchauffement climatique ?