Par Jean-Christophe Buisson*
En suivant, sans jamais les quitter, deux soldats britanniques engagés sur le front, Sam Mendes réalise, avec « 1917 », un des films les plus mémorables sur la Grande Guerre.
CHERS CINÉPHILES EN QUÊTE ACTIVE DE CHEFS-D’ŒUVRE, arrêtez tout. Eteignez votre télévision, fermez votre livre, bloquez deux heures de votre emploi du temps à partir du 15 janvier, réservez votre place si possible dans une des dix salles de cinéma Dolby Vision en France et allez applaudir 1917 de Sam Mendes (qui vient de rafler 3 Golden Globes : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleure musique). Non seulement vous n’avez pas vu depuis des lustres un film qui allie une telle puissance visuelle et une telle force émotionnelle, mais vous retrouverez foi dans le film de guerre, un genre qui, avec la surexploitation des effets spéciaux, avait perdu sa principale raison d’être : à hauteur d’homme.
Sans doute l’initiative de tourner cette histoire saisissante en un seul plan-séquence apparent est-elle pour beaucoup dans l’extraordinaire sentiment d’immersion que l’on éprouve sur son siège pourtant confortable de spectateur. Mais de même que le génie d’un grand écrivain est de faire disparaître aux yeux du lecteur ses ficelles narratives, celui du réalisateur de American beauty et de Skyfall est de faire oublier sa prouesse technique. Comment ? Grâce à une histoire qui, par son enjeu, sa force et son suspens, capte l’attention. Et captive.
Blake et Schofield sont deux tommies chargés d’une mission quasi impossible : traverser le no man’s land barbelé séparant les tranchées ennemies puis pénétrer de plusieurs kilomètres en zone occupée par les Allemands pour rejoindre une division alliée afin de convaincre ses chefs de ne pas déclencher une attaque au petit matin suivant. Feignant de s’être retirés du front, les fritz s’apprêtent à tailler en pièces les 1 600 hommes qui s’engageraient dans l’assaut. Parmi eux, le frère d’un des deux « pew-pew »…
C’est cette longue marche contre le temps, la fatigue, le froid et les obstacles naturels, au milieu des cadavres d’animaux et de frères d’armes, dans la boue, parmi les rats et les poux, sous les menaces (mines, snipers…) que montre ce film parsemé aussi d’instants de poésie, de tendresse (si, si !) et d’humanité : quelques minutes auprès d’une femme et d’un bébé dans la crypte d’une église bombardée dans un village en flammes ; le chant d’un soldat au pied d’un arbre ; le regard d’un compagnon qui ne veut pas mourir…
Comme Genevoix avec Ceux de 14, comme Boyd avec La Tranchée, Sam Mendes parvient, à travers le destin de deux combattants « ordinaires », à restituer toute l’ampleur (grandeur et horreur mêlées) de la guerre. Un exploit à la hauteur de celui de ses deux héros malgré eux. ■
Post-apostrophum : comparaison n’est pas raison, mais les deux personnages principaux de 1917 ont des airs de Hobbits du Seigneur des anneaux, humbles fourmis humaines plongées dans un monde de géants, de héros, de monstres (mécaniques) et de dieux cruels, perdus au cœur d’enjeux qui les dépassent. Comme nous ? ■
* Source : Figaro magazine, dernière livraison.
Jean Christophe Buisson est écrivain et directeur adjoint du Figaro Magazine. Il présente l’émission hebdomadaire Historiquement show4 et l’émission bimestrielle L’Histoire immédiate où il reçoit pendant plus d’une heure une grande figure intellectuelle française (Régis Debray, Pierre Manent, Jean-Pierre Le Goff, Marcel Gauchet, etc.). Il est également chroniqueur dans l’émission AcTualiTy sur France 2. Son dernier livre, 1917, l’année qui a changé le monde, est paru aux éditions Perrin.