PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 17.01. L’accord est si parfait, si évident, que nous n’avons rien à y ajouter. Une remarque cependant : ne tombons pas quant à nous dans la rhétorique victimaire d’une certaine droite sans fierté, ne nous faisons pas les étonnés par le deux-poids-deux-mesures, ne demandons pas de l’abandonner à ceux qui le pratiquent. C’est stupide, sans noblesse, ridicule et sans efficacité aucune. C’est en pure perte. Nous n’avons rien à attendre des puissants du Système si ce n’est l’ effondrement de ce dernier. JSF
« Pourquoi ne se risquerait-il pas, par exemple, à rire ouvertement de l’islam et de son prophète ? »
Y a-t-il sur terre quelque chose de moins drôle qu’un humoriste de France Inter ?
Ils sont nombreux, assurément, à s’être posé la question après la dernière polémique mettant en question cette station qui ne conjugue pas nécessairement service public et pluralisme idéologique.
Sous prétexte de dénoncer une cour de justice brésilienne ayant censuré une série télé mettant en scène un Jésus gay, Frédéric Fromet, un des blagueurs stipendiés qui y sévit, s’est permis une chanson où il répétait que Jésus était « un pédé » et qu’il aurait dû se faire « enculer ». Quel blagueur de génie que ce Fromet, qui avait déjà tourné en ridicule l’incendie de Notre-Dame ! On devine ses collègues se bidonner, tout en le félicitant pour son audace. Il en faut du courage, n’est-ce pas, pour oser s’en prendre ainsi au catholicisme !
De manière étonnante, l’humoriste a pourtant dû plier le genoux et s’excuser… à la « communauté LGBTQ+ », ou du moins, à ceux qui prétendent parler en son nom. On n’utilise pas le mot « pédé » sans en payer le prix, même en riant. Désormais, il est proscrit pour cause d’homophobie. Le farceur croyait insulter les cathos et susciter la complicité des rieurs mondains. Il a plutôt heurté un groupe de pression qu’on ne doit pas heurter. Les excuses aux catholiques n’ont toutefois pas suivi. L’événement est révélateur des véritables rapports de force qui s’exercent dans le système médiatique et qui codifient l’espace public dans les sociétés contemporaines.
Il rappelle l’efficacité de la rhétorique victimaire et l’existence d’une liste des minorités protégées. Celui qui peut exiger des excuses et rapidement les obtenir fait une démonstration de force. Le plus grand pouvoir aujourd’hui est celui de décider ce qui est scandaleux et ce qui ne l’est pas. Dans les médias, est souverain celui qui décide de l’état d’indignation.
Il vaut néanmoins la peine de revenir sur la chanson blagueuse de notre humoriste téméraire, qui voulait faire la guerre aux catholiques décrétés retardataires. On a le droit, assurément, de critiquer le catholicisme, de le ridiculiser, de le vomir, même. Que sa chanson soit aussi bête que de mauvais goût va de soi. Qu’elle soit déplacée l’est aussi. Il ne s’agit pas pour autant d’en appeler à sa censure. La définition du blasphème des uns ne doit pas devenir une interdiction légale pour les autres. On est Charlie ou on ne l’est pas. Mais il faut désormais inviter le brave Fromet à aller au bout de son courage. Pourquoi ne se risquerait-il pas, par exemple, à rire ouvertement de l’islam et de son prophète. S’il cherche un peu, il devrait trouver la matière nécessaire pour quelques blagounettes. Pourquoi se l’interdire? Que craint-il? Il n’ose pas? Comment expliquera-t-il cela? De quoi a-t-il peur, le blagueur ?
Trêve de moqueries. On sait bien que le petit Fromet se tiendra coi lorsque viendra le temps de blaguer sur ce sujet. Il n’est pas drôle mais il n’est pas fou: il sait bien qu’il risquerait non seulement la sale réputation d’islamophobe, mais sa vie. Alors qu’on commémore, depuis quelques jours, les cinq ans de l’attentat contre Charlie Hebdo , il est difficile de ne pas constater que la liberté d’expression est désormais à géométrie variable. Le voltairianisme appliqué est passible de peine de mort par les islamistes. Plus largement, la parole publique est inhibée comme jamais et, au nom de la lutte contre la haine, on en vient à criminaliser la volonté de défendre la France. De peur d’exciter les franges radicales de l’islamisme ou d’embraser une partie de la «jeunesse» des «banlieues», on censure moralement ce qui vient troubler la légende du vivre-ensemble diversitaire. Le simple fait de nommer certaines tensions sociales peut valoir à celui qui ose la marque de l’infréquentabilité définitive.
De vrais militants, bêtes et méchants, incultes et lâches
Les faux drôles qui dominent l’industrie du rire subventionné sont de vrais militants, bêtes et méchants, incultes et lâches. Ils ne se voient pas aller, pris dans une comédie où ils ne cessent de frapper contre un vieux monde, qui n’a souvent même plus la force de leur répondre ou ne se croit pas autorisé à le faire. Les humoristes du système, en fait, ont une fonction: rappeler à tous ceux qui évoluent dans l’espace public qui est dans les bonnes grâces du régime et qui ne l’est pas. Il y a ceux dont on peut rire et les autres dont on ne rit pas. La distinction est facile à faire: contre l’univers symbolique du grand méchant homme blanc hétérosexuel de plus de 50 ans, tout est permis. La grande tâche de notre époque consiste à lui arracher tous ses privilèges et à l’humilier systématiquement. Inversement, ceux qui s’en disent victimes ont tous les droits, surtout de décider dans quels termes on parlera d’eux. On se consolera en se disant qu’il y a longtemps, Philippe Muray a déculotté ces « humoristes » et a révélé leur vraie nature: ce sont des guignols. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Merci à tous ceux qui luttent contre la marée montante de la laideur où des publicités sont la vitrine d’une décadence en marche.
Merci d’oser encore être à contre-courant pour essayer de conserver nos valeurs morales en péril .
Merci à tous ceux qui essaient d’enseigner notre Histoire malgré les propagandes et les fictions.
Avant que la France ne devienne plus qu’un souvenir merci à tous de résister et de garder la Foi.
« France-Inter » est malheureusement, en Audimat, la première radio de France.
On peut, bien sûr, ne pas ou ne plus l’écouter. N’empêche qu’on voit là la force de nos adversaires…