Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Orange vient donc de choisir Nokia et Ericsson pour son équipement 5G.
Ce choix n’est pas anodin puisqu’il se fait au détriment du chinois Huawei Technologies, actuellement sur la sellette. Faut-il donc se méfier des Chinois ?
Oui, certainement, car pour être une entreprise privée, Huawei Technologies n’en est pas moins un des fleurons de la République populaire de Chine, Etat aux mains d’un parti communiste. Or, la 5G peut concerner les données sensibles de divers secteurs stratégiques : même les profanes ont fini par comprendre que son déploiement ne constituera pas seulement une progression spectaculaire sur un plan purement quantitatif (avec des implications techniques, économiques, énergétiques, etc.) mais qu’elle pourrait être, pour un pouvoir politique « malintentionné », un instrument de connaissance et de contrôle de données étrangères réputées secrètes.
Notre allié nord-américain a d’ailleurs non seulement décidé d’interdire l’équipementier télécom Huawei mais aussi, et surtout, de faire pression sur les Européens pour qu’ils fassent de même. Cependant, il faut comprendre que la 5G n’est pour les Etats-Unis qu’un élément de la guerre commerciale d’ensemble qu’ils mènent, dans leur intérêt, contre la Chine. Il faut aussi se rappeler l’affaire Snowden, du nom de cet informaticien qui a dénoncé en 2013 la surveillance électronique par les services de renseignements américains des personnes, entreprises et Etats (y compris alliés). Il faut enfin ne pas oublier que les géants américains du numérique détiennent, grâce au stockage des données, un considérable pouvoir de nuisance qui ne demande qu’à s’exercer. S’il faut donc se méfier des Chinois, il ne faut pas pour autant, faire preuve de naïveté vis-à-vis des Etats-Unis.
C’est dans ce contexte que M. Breton, Commissaire européen au marché intérieur, vient de présenter la « boîte à outils 5G » de l’U.E. pour sécuriser le déploiement de cette nouvelle technologie (Bruxelles, mercredi 29 janvier). Puisque, constate-t-il à juste titre, les services de la 5G concernent directement « la sécurité, voire la souveraineté des États », les opérateurs télécom ne doivent pas « sélectionner des fournisseurs à risques, qui pourraient permettre à un État par exemple de prendre la main sur des sites stratégiques » : il faut donc interdire Huawei dans les parties « sensibles » du futur réseau, ce qui devrait plaire à M. Trump, mais Huawei ne sera pas écarté des infrastructures « non sensibles », ce qui devrait lui déplaire mais ménager au mieux la susceptibilité chinoise. Dont acte.
Cependant, déclarer que l’Europe (c’est-à-dire, dans sa bouche, l’U.E.) peut encore ne pas rater la prochaine étape, celle de la 6G, c’est reconnaître en creux que l’Union a raté celle de la 5G, alors même que les pays européens détiendraient, d’après M. Breton lui-même, 56% des brevets relatifs à ladite 5G. Serait-il donc, dès lors, bien raisonnable d’accorder quelque crédit aux propos ambitieux du Commissaire européen, si séduisants soient-ils ? On peut en effet douter que la technostructure de Bruxelles soit la mieux placée pour relever ce genre de défi. Après tout, l’efficacité des Européens relève plutôt d’accords et d’alliances bilatéraux hors U.E. (comme la coopération militaire franco-britannique) et leurs plus belles réussites restent celles d’Etats qui ont, en dehors du carcan bruxellois, mis en commun capacités et compétences (Airbus, Ariane, etc.). Priorité donc à la volonté politique et à la souveraineté des Etats, c’est plus sûr. ■
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Bravo pour notre ami L.J.Delaglade,et sa clareté précise !
Nous avons trop longtemps négligé les nouvelles technologies (tout autant que les industries de divertissement), nostalgiques des industries anciennes, inéluctablement condamnées.
On voit bien qu’on ne fera plus d’acier basique en Europe et qu’il faut concentrer tous nos efforts sur la « Recherche et Développement », en premier lieu sur le fascinant espace des infrastructures de communication.
Et Delanglade a raison : on n’a jamais vu l’Union européenne avoir une démarche concertée et volontariste dans ces domaines : la seule solution réside dans la coopération interétatique qui, elle, fonctionne assez bien.
Le réalisme prendra-t-il le pas sur l’idéologie ? C’est à douter…