PAR MATHIEU BOCK-CÔTÉ.
Cette chronique est parue dans Le Figaro du 7.02. Comment ne pas rappeler de notre côté que cette entreprise de construction d’un homme nouveau coupé de toutes racines, territoriales, historiques, héritées des siècles – que Mathieu Bock-Côté dénonce ici avec tant de force et de lucidité – n’est rien d’autre que la poursuite ultime du programme révolutionnaire fondé sur l’idéologie de 1789 ? Ne pas remonter à la source n’est-ce pas affaiblir la réaction salvatrice à mener ?
Le régime diversitaire transforme la société en camp de rééducation à ciel ouvert
Dans L’homme surnuméraire, un roman paru en 2018, Patrice Jean a eu l’intuition géniale de mettre en scène un personnage dont le travail consiste à réécrire les classiques de la littérature pour les rendre compatibles avec les valeursde notre temps.
Mais comme c’est trop souvent le cas, le réel vient de dépasser la fiction. Dans certaines maisons d’édition américaines, la tendance est à l’embauche des « sensitivity readers ». Leur rôle ? Réviser les manuscrits pour y traquer les préjugés raciaux ou les stéréotypes de genre et s’assurer d’une représentation positive de la diversité dans le texte publié, qu’il faudrait délivrer de l’emprise du « patriarcat blanc ». Parfaits commissaires politiques, ils lisent les œuvres à partir d’une grille idéologique et distribuent les bons et mauvais points. La littérature doit s’y soumettre ou se démettre.
On peine à ne pas penser à la censure aux temps de l’URSS : là aussi, les textes devaient passer sous les yeux des lecteurs du régime, qui s’assuraient de leur conformité avec l’idéologie officielle. L’art devait contribuer à la célébration du régime, et non en miner les fondements. La mobilisation des intellectuels et des artistes, perçus comme des « ingénieurs des âmes », était jugée nécessaire pour parachever la révolution dans l’imaginaire collectif. De même, aujourd’hui, dans plusieurs pays occidentaux, les subventions publiques dans le domaine de la culture sont attachées à des critères idéologiques explicites – il importe généralement d’assurer la promotion du vivre ensemble et de la diversité, pour le dire avec le jargon autorisé. C’est le retour de la littérature édifiante, au service d’une pédagogie à destination des masses.
Cette surveillance idéologique des productions culturelles est indissociable de la révolution diversitaire qui œuvre à la transformation des mentalités occidentales. On aurait tort de croire qu’elle se limite aux élucubrations théoriques d’universitaires. Elle a pénétré depuis longtemps administrations, entreprises et médias, qui intègrent à leurs activités nombre de « conseillers à la diversité », censés sensibiliser les cadres et les employés à la diversité, tout en les poussant à prendre conscience de leur « privilège blanc », pour mieux le déconstruire. Aucune société occidentale n’est épargnée. Il faudrait faire le décompte des séances de formation dans les milieux de travail pour constater l’étendue de son emprise. Voyons-y une forme de formatage idéologique permanent, pour pressuriser les consciences et assurer leur anesthésie ou leur soumission enthousiaste. Le régime diversitaire transforme la société en camp de rééducation à ciel ouvert.
L’autocritique théâtralisée devient une manière d’afficher sa noblesse morale dans un environnement où la haine du réactionnaire passe pour la forme achevée de l’amour de l’humanité. Mais c’est quand même avec étonnement qu’on a appris dans les pages du Guardian, ces derniers jours, que le marché de la culpabilisation de l’homme blanc, et plus particulièrement, de la femme blanche, était de plus en plus lucratif aux États-Unis. Des activistes « racisées » organisent de coûteux dîners en ville où se rassemblent des femmes blanches de la bonne société qui viennent s’y faire expliquer qu’elles sont racistes et comment ne plus l’être. On marchandise ainsi un sentiment de culpabilité médiatiquement entretenu. Ce désir d’être rééduqué relève de la névrose et témoigne de la déstructuration psychique des sociétés occidentales, hantée par la haine de leur expérience historique.
Entreprise de rééducation
On ne saurait sous-estimer la portée de cette entreprise de rééducation. À terme, il s’agit de faire basculer l’homme occidental dans un monde parallèle. Orwell disait que le propre du totalitarisme consiste à pousser l’homme à admettre que 2 + 2 = 5. De là une campagne de provocation permanente ayant pour vocation de déstabiliser définitivement les consciences et de détruire les repères anthropologiques les plus élémentaires.
Même la classe politique s’y met. Quand Emmanuel Macron, selon Valeurs Actuelles, déclare à la présidente des Associations familiales catholiques, lors d’une conversation informelle à l’Élysée : « Votre problème, c’est que vous croyez qu’un père est forcément un mâle », il y participe, sans doute inconsciemment. Toujours, il s’agit de renverser les structures anthropologiques les plus fondamentales et de faire passer pour sot celui qui doute. C’est le règne de l’indifférenciation absolue et de l’interchangeabilité des êtres.
Il est tentant d’assimiler ces exemples à des dérives loufoques, devant davantage faire rire qu’inquiéter. À tort. C’est en les pensant ensemble que se révèle l’ambition fondamentale du régime diversitaire : fabriquer un homme nouveau, arraché à sa civilisation, et désirant même la renier de manière ostentatoire, pour se faire enfin pardonner d’exister. ■
Mathieu Bock-Côté est docteur en sociologie, chargé de cours aux HEC à Montréal et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada. Ses travaux portent principalement sur le multiculturalisme, les mutations de la démocratie contemporaine et la question nationale québécoise. Il est l’auteur d’Exercices politiques (éd. VLB, 2013), de Fin de cycle: aux origines du malaise politique québécois (éd. Boréal, 2012) et de La dénationalisation tranquille (éd. Boréal, 2007). Ses derniers livres : Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf [2016] et le Le Nouveau Régime (Boréal, 2017).
Cette inquiétante entreprise de rééducation des peuples au nom de critères idéologiques a des ancêtres, les terroristes jacobins et leur volonté de recommencer à zéro l’histoire humaine. Si l’on regarde le temps long de l’histoire on peut voir que cette volonté de refaire l’homme est une entreprise qui date de plus de deux siècles maintenant. Les terroristes jacobins ont voulu déchristianiser, remplacer le calendrier traditionnel par le calendrier républicain (les absurdes noms de mois et de jours de fêtes proposés par Fabre d’Eglantine, chaque jour étant caractérisé par le nom d’un produit agricole, d’une plante, d’un animal ou d’un outil en lieu et place des noms de saints du calendrier traditionnel.) imposer le tutoiement obligatoire, le remplacement de monsieur par citoyen, la déesse raison jouée par une actrice de théâtre lors de fêtes, bref la volonté de régénérer l’homme. Cette folle entreprise, qui dénote avant tout une haine du réel et du passé, et qui est bien caractéristique de l’idéologie de gauche, a aujourd’hui des héritiers, les commissaires du politiquement correct. En 93 et 94, c’est par la guillotine que l’on régénérait, aujourd’hui, c’est par un terrorisme doux, fait d’intimidations, de procès, de campagnes de délation dans la presse. L’on peut craindre que tant que la gauche sera idéologiquement hégémonique dans notre pays, ce genre d’entreprise aura encore de beaux jours devant lui.