À notre honte, nous n’avions rien lu de Jérôme Serri jusqu’à cet article vigoureux et juste, pétri de vraie culture et de force pour la défendre et l’illustrer. [Causeur – 12 février] Selon notre fort étrange président de la République, il n’y aurait pas de culture française. Sans-doute – pense-t-il peut-être – parce qu’elle a su intégrer – mais en se les appropriant selon son goût, maints apports extérieurs. Il n’empêche, la France reste une nation littéraire et artiste. C’est à une fine, vigoureuse et érudite défense de ce statut que se livre ici Jérôme Serri. Il convient de lui en savoir gré. Un patriotisme sous l’angle esthétique n’est pas si fréquent.
Par Jérôme Serri
« Solidaire de l’air du temps… comme le poisson est solidaire de l’eau de son aquarium »
Après la grande jeune fille toute simple qu’était Françoise Nyssen, le ministère de la culture a, depuis quinze mois, à sa tête, un gentil garçon plus expérimenté politiquement mais tout aussi insignifiant.
Remarqué en 2011 pour être un des premiers cadres à droite à avoir fait son coming-out, et en 2017 pour être passé des Républicains (LR) à la République en Marche, Franck Riester n’arrive pas à exister. Et pourtant, il en avait rêvé de ce ministère… ou d’un autre.
D’après Michel Guerrin du Monde, il n’aurait pas les « clés ». Faute du précieux trousseau, il ne pouvait récemment que se faire chahuter à la Biennale internationale du spectacle à Nantes et au Festival tout aussi international de la BD à Angoulême. En pleine contestation du projet de réforme des retraites, il ne put maintenir la cérémonie des vœux au personnel de son ministère. Pour Michel Guerrin, il risquait les « quolibets ».
Emmanuel Macron laisse entendre ici et là qu’il lui « manque un Jack Lang ». Qu’attend-il ? Il n’a qu’à traverser la Seine ; Jack Lang a toujours son bureau de l’autre côté, à l’Institut du Monde Arabe. En fait le Président ne cherche sans doute qu’à amadouer celui qui lui avait reproché en 2016 d’avoir « planté une dague dans le dos de Hollande ». Macron n’égorge pas encore, même s’il a franchi un nouveau pas dans l’ignominie en passant de la colonisation comme « crime contre l’humanité » à la guerre d’Algérie comme ayant, sur un plan mémoriel, « le même statut que la Shoah ».
Ce que Franck Riester pourrait demander à son directeur de cabinet
Franck Riester ne peut donc se targuer d’être la perle rare que cherchait Macron. Aussi accuse-t-il le coup en concédant assez stupidement qu’il n’est « ni un grand peintre, ni un grand poète ». Jack Lang l’était-il ? Et depuis quand serait-il évident que le ministre de François Mitterrand fut le digne successeur d’André Malraux ?
Monsieur Riester, si vous étiez un véritable amateur de musique, de peinture, de littérature, de théâtre, de danse ou de cinéma, si vous étiez la personne qui depuis toujours se précipite au musée, au concert ou à l’opéra, cela se saurait. Cela s’entendrait dans vos propos. Tous les passionnés de vélo ne se retrouvent-ils pas au bistrot pour discuter de la dernière course autour d’une bière ?
Si vous aviez un peu lu ce dont avait rêvé le fondateur de votre ministère, cela se remarquerait. Le front collé aux vitres de votre bureau, les mains dans les poches, le regard errant parmi les colonnes de Buren, vous diriez à votre directeur de cabinet entré vous déposer un parapheur : « Venez donc voir ! Que peut-on faire ? Bien sûr, on ne va pas tout casser. Rassurez-vous ! Mais on va mettre un point final. Vous entendez : un point final. Vous avez lu l’article de Michel Guerrin ? Les clés ! Ce n’est pas de clés dont j’ai besoin, mais d’un balai. Oh, pas le petit balai de la ménagère ! Non, un balai de chantier ! Fini les pneus de tracteur en or à l’opéra Garnier ! Fini les scènes de sodomie devant le centre Pompidou, fini les sex-toys place Vendôme et les « Tulipes » de Jeff Koons au Petit-Palais ! Fini les marchands du temple qui envahissent le Louvre ou le musée d’Orsay avec des mugs, des assiettes, des montres, des foulards, des cravates, des t-shirts, des stylos ! Fini ces foules qui font la queue pour faire des selfies avec la Joconde ou la Victoire de Samothrace ! Fini ces vains érudits qui, enivrés par leur faux savoir, accrochent des radiographies à côté des œuvres de Léonard et se persuadent que le plâtre est la vérité des fresques que l’on gratte ! Fini ces pseudos-conservateurs qui ouvrent les portes à de pauvres bougres prétendant faire dialoguer des monceaux de dalles funéraires avec des Rubens ! Fini ces directeurs culturels qui acceptent que l’on déverse des tombereaux de sable dans les salles capitulaires d’une abbaye ! Fini ces compositeurs-fonctionnaires qui tentent de faire interdire au Collège de France un pianiste aussi courageux qu’excellent qui vient de montrer devant un auditorium comble qu’on peut truffer la musique dodécaphonique d’une quantité de fausses notes sans que cela se remarque ! Fini ces conseillers spéciaux de cabinet ministériel qui prétendent siffler le Quatuor pour hélicoptères de Stockhausen sous la douche ! Fini ces collections d’art contemporain qui s’entassent dans des réserves et ne sont que l’effet désastreux d’une politique d’aide sociale qui ne dit pas son nom ! Fini ces bus que l’on affrète aux frais du contribuable pour emmener des gamins voir des foutaises labélisées par une administration de copains ! Fini ces pseudo-artistes qui, n’emballant personne, emballaient hier le Pont-Neuf et emballeront demain l’Arc de triomphe ! Fini ces danseurs qui, arborant dans la cour de l’Elysée un T-shirt « fils d’immigrés, noir et pédé », gesticulent comme des grenouilles électrisées ! Fini la vulgarité de ces humoristes qui s’invitent dans les meetings et rimaillent sous la ceinture devant un candidat qui ne sait que rire jaune ! Fini ces élus qui, utilisant la liberté d’expression des uns pour mieux museler celles des autres, distribuent des subventions à tout va de peur de paraître ringards et de perdre la prochaine élection. Fini ces malhonnêtetés en tous genres qui s’habillent aux couleurs d’un prétendu progrès et ne visent qu’à rendre impossible toute création qui serait à l’honneur de la France ! Fini ce bavardage démagogique autour d’une démocratisation de la culture qui n’est plus qu’une déculturation démocratique ! »
L’ambitieux du Palais-Royal
Hélas ! le ministre ne peut avoir pour préoccupation ni la culture, ni la France puisqu’il a été nommé par un Président qui déclarait qu’« il n’y a pas de culture française ». Son ambition reste aussi triviale que modeste : ne pas disparaître lors d’un prochain remaniement ministériel. Il est persuadé d’avoir été nommé pour apporter à Emmanuel Macron ce que Françoise Nyssen ne sut lui apporter. « Tant mieux, dit-il, si je suis un choix politique : c’est une force. » Une force pour qui ? A Matignon on lui reproche de ne pas avoir su rallier des élus de droite à la majorité La République en Marche et de ne pas incarner suffisamment la fonction qui est la sienne. Remplir une mission, pour ces politiques qui prétendent ne plus appartenir à l’ancien monde, consiste, comme hier, à remplir de sable son petit seau pour courir consolider le château que les vaguelettes de la marée montante menacent.
Concessionnaire automobile ayant repris les garages de son grand-père, ce ministre fait partie de ces gens dont Francis Ponge disait qu’ils avaient, après le baccalauréat, sauté à pieds joints dans l’huile et le camembert. Franck Riester est tête de liste aux élections municipales de Coulommiers en mars prochain. S’il est élu, il laissera sa place à une colistière et conservera son portefeuille. A moins qu’un remaniement en décide autrement…
On l’a entendu à plusieurs reprises après l’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris. Aucune parole forte ! Sa voix fut recouverte par celle d’Emmanuel Macron puis de Stéphane Bern. On l’a entendu également lors d’un récent point presse estimer que l’allocation annuelle accordée à Gabriel Matzneff par le Centre National du Livre n’était pas justifiée dans la mesure où l’écrivain ne contribuait pas « à la renommée de la littérature française en se faisant le chantre de la pédocriminalité ». Participant aux « assises pour la parité, l’égalité et la diversité dans le cinéma » qui se sont tenues au lendemain de la sortie du film J’accuse de Roman Polanski, il déclara : « Le talent n’est pas une circonstance atténuante ; le génie, pas une garantie d’impunité ». On pourrait attendre d’un ministre de la culture qu’il se souvienne du Contre Sainte-Beuve et, après avoir condamné Roman, s’échappe des affaires humaines, trop humaines par une envolée sur Polanski. C’est Vincent qui menace Gauguin avec un rasoir, mais c’est Van Gogh qui peint les Tournesols. C’est Louis-Ferdinand qui envoie des lettres aux journaux collaborationnistes, mais c’est Céline qui écrit le Voyage au bout de la nuit. Il aurait suffi à Franck Riester de s’inspirer de la lettre qu’en 1951 André Malraux écrivit à Claude Gallimard au sujet de l’auteur du Voyage : « Si c’est sans doute un pauvre type, c’est certainement un grand écrivain. »
Reparlez-nous de Notre-Dame de Paris !
Monsieur le ministre, il faut monter d’un cran et que le ministère fasse preuve d’un peu plus d’imagination. La merda d’artista, les urinoirs, les crucifix trempés dans l’urine, le vagin de la reine et autre plug anal, cela a assez duré ! Ne sentez-vous pas que, si les responsables culturels élevaient le niveau, le pays commencerait à aller mieux et que les Français, notamment les plus jeunes, reprendraient confiance en leurs dirigeants. Pour vous en persuader et vous donner du courage, écoutez cette jeune violoniste de sept ans qui remporta en décembre dernier le concours international « Le Casse-noisette » de Moscou :
Ne sentez-vous pas qu’il pourrait y avoir de ce côté quelque chose de contagieux et d’autrement plus précieux pour l’avenir de notre jeunesse ? Il ne s’agit pas, bien entendu, d’interdire le baby-foot et le karaoké, cela n’aurait aucun sens. Il s’agit de réapprendre à se tourner vers l’excellence et à s’en réjouir ensemble. L’incendie de la Cathédrale Notre-Dame de Paris a été un traumatisme pour le pays, toutes générations confondues, et ce bien au-delà de nos frontières. A l’arrière-plan de La liberté guidant le peuple de Delacroix, on remarque désormais les deux tours de l’édifice pour lesquelles les Français ont tremblé jusque tard dans la nuit. Les Impressionnistes, les Néo-impressionnistes, les Fauves, les Cubistes ont peint Notre-Dame : Corot, Jongkind, Albert Lebourg, Pissarro, Louis Hayet, Maximilien Luce, Guillaumin, Paul Signac, Vlaminck, Albert Marquet, Diego Rivera, Ferdinand Desnos, Picabia, Utrillo, André Lhote, Marc Chagall, Picasso, Matisse, Auguste Herbin, Robert Delaunay, nombre de ces peintres ayant exécuté plusieurs versions souvent fort différentes mais toujours aussi belles. Marcel Gromaire (1892-1971), dont le Musée Paul-Valéry présente à Sète une belle exposition, est photographié en 1959 aux côtés d’André Malraux devant une de ses toiles célébrant l’Ile de la Cité, ses ponts, sa cathédrale. C’était à l’occasion du Prix National des Arts qu’il venait de recevoir des mains du ministre du Général de Gaulle. Pourquoi ne demanderiez-vous pas à vos conservateurs d’organiser une grande exposition qui, en réunissant ces œuvres, rendrait un juste hommage à cette cathédrale meurtrie par les flammes ? Je suis sûr que cela vous permettrait de vous imposer face au général Georgelin et d’avoir un bon argument pour soutenir l’architecte dans sa défense d’une reconstruction à l’identique de la flèche.
Maudite « visibilité »
Dans un autre ordre d’idées, ne pensez-vous pas que nos paysages mériteraient d’être défendus par un grand concours de photos réservé aux jeunes ? Celui-ci serait organisé en partenariat avec les écoles de photographies. La sélection se ferait au niveau départemental, puis régional et national. Les thèmes ? Ce n’est pas ce qui manque. On pourrait commencer, par exemple, par celui-ci : « Quand les éoliennes défigurent la France ».
J’entends déjà vos collaborateurs hausser les épaules, et même s’affoler. Il y a tellement d’intérêts financiers en jeu, tellement d’entreprises qui investissent dans ce secteur, et pas des moindres ! Ce serait pourtant une manière d’informer les Français et de les entraîner derrière vous. Il est vrai que la boîte de conserve de Merda d’artista du Centre Pompidou, c’est beaucoup plus « révolutionnaire »… et beaucoup moins dangereux !
Il y a mille choses à faire qui, j’en suis sûr, vous donneraient un peu de visibilité, comme disent vos conseillers en communication. Protestez ! Moquez-vous de cette sacro-sainte « visibilité » ! Vous commencerez d’être sur le chemin de la sagesse retrouvée, sur celui d’une conversion que les Français attendent jusque sur les ronds-points. Mais sans doute, Monsieur le Ministre, préférez-vous, comme vos prédécesseurs, laisser le balai de chantier au placard, tant vous êtes, comme eux, solidaire de l’air du temps… comme le poisson est solidaire de l’eau de son aquarium. ■