CHERS AMIS LECTEURS DE JSF EN QUÊTE ACTIVE D’UN DÉBAT DE HAUT VOL. Éteignez votre télévision, fermez votre livre, bloquez à partir d’aujourd’hui un quart d’heure de votre emploi du temps de chaque jour, pour lire ce dialogue d’il y a 40 ans – une controverse « fraternelle » sur des sujets essentiels – entre Alain de Benoist et Gustave Thibon, tel que vous n’en avez pas lu depuis des lustres. Une cure d’altitude mentale. Passionnés d’Histoire, de philosophie, de politique, d’histoire des idées ou d’histoire littéraire, de réflexion libre et gratuite, étudiants en l’une ou l’autre de ces matières, ne manquez pas cette lecture !
Ce débat s’est tenu à Marseille le 15 avril 1982 à l’initiative de l’Union Royaliste Provençale. Le sujet tient à l’opposition entre la culture traditionnelle française et européenne imprégnée de christianisme que défend Thibon et la vision dite néo-païenne d’Alain de Benoist.
Cette publication sous forme d’une série s’étalera sur quelques semaines. Il en existe un enregistrement vidéo largement diffusé sur divers sites. Avec ses presque 40 ans, cette vidéo est toutefois de piètre qualité. Nous ne faisons qu’en publier le texte retranscrit au mieux mais sans-doute encore améliorable. Durée de la série : autour de 3 semaines. Réalisation : Rémi Hugues – Gérard Pol.
Alain de Benoist — Gustave Thibon
Voir aussi notre introduction : Un débat d’autrefois, passionnant aujourd’hui : Alain de Benoist – Gustave Thibon. Publication à venir sur Je Suis Français sous forme de série …
Hitlérisme et nazisme – La position de Heidegger – Paganisme.
Gustave Thibon (suite) : Maintenant, vous comprenez, si nous prenons également le paganisme – et le paganisme vous le prenez dans ce qu’il a de plus pur – mais si nous en voyons certaines retombées … ça a existé aussi …
Vous êtes jeune et je vous en félicite – il n’y a pas de quoi, d’ailleurs, c’est un privilège purement chronologique – mais enfin … Alors là je ne veux absolument pas faire d’attaque personnelle ni rien, je parle d’un autre néopaganisme que j’ai connu, auquel je ne veux vous assimiler à aucun degré puisque j’ai lu votre article contre le racisme, mais enfin dans l’Allemagne des années 30 – 40 que j’ai connue, il y avait un sursaut païen, un sursaut, un appel au retour vers l’homme indo-européen, et j’avais beaucoup d’amis à ce moment-là, et des amis très chers en Allemagne, et ça fait mal, je vous prie de le croire, alors là je vous parle sérieusement, je les ai vus, les uns après les autres, ces apôtres de la vie, ces apôtres du cosmos, et de grandes âmes, des esprits européens par-dessus le marché, qui ont été englobés dans l’hitlérisme, d’une façon qui brisait le cœur à ce moment-là, et c’étaient les valeurs païennes …
Alors là, comme retombée, elle est forte celle-là ! Alors il faut faire attention … Votre Heidegger que vous citez très bien, eh bien ! j’ai entendu Heidegger dire le Führer représente toute la réalité allemande, passée, présente et future … Bon !
Alain de Benoist : Alors, il faut rappeler quelque chose. Je crois que vous avez tout à fait raison de soulever ce problème …
Gustave Thibon : Alors là c’est un problème très important !
Alain de Benoist : D’abord une petite parenthèse à propos des retombées humaines. Bien entendu et je serai le dernier à le dire : il n’y a pas le bien d’un côté et le mal de l’autre. Je dirai que c’est plus un mot chrétien qu’un mot païen de dire cela. Pour moi, il n’y a jamais eu le bien absolu d’un côté et le mal absolu de l’autre. Ce serait tout à fait contradictoire par rapport à mon système de représenter le christianisme comme un mal absolu et le paganisme comme le bien absolu. Je dirai même pour poursuivre dans cette logique que ce serait me situer à l’intérieur d’une logique typiquement chrétienne. Car les absolus, ça n’existe pas dans le paganisme. Et c’est justement là que les retombées humaines ne sont pas les mêmes. Bien-entendu, dans toutes les sociétés il y a des aspects sombres. Dans toute époque, il y a des massacres, il y a des abominations et nous sommes bien d’accord là-dessus. Mais il y a tout de même quelque chose que le christianisme a apporté, que le paganisme ignorait, et c’était l’intolérance au niveau des consciences individuelles, c’était l’intolérance religieuse.
Jamais pour un peuple païen ça n’était choquant qu’un autre peuple adore d’autres dieux, c’était normal, c’était dans la logique, il ne faisait que faire ce qu’il faisait lui-même, et c’est si vrai qu’à Athènes il existait même – quelque chose que je trouve d’ailleurs admirable – un autel au dieu inconnu. Donc tout dans ce domaine était prévu. L’idée d’inquisition, l’idée de croisade intérieure, l’idée de persécution de ce qui se passe dans le secret des consciences et qui est à la racine des totalitarismes modernes, cela le paganisme ne l’avait pas inventé malgré ses nombreuses ressources.
Si je parle maintenant de l’Allemagne hitlérienne, je crois qu’il faut distinguer plusieurs choses. La première c’est qu’il est incontestable que, non pas, d’ailleurs, particulièrement dans l’Allemagne hitlérienne, mais dans l’Allemagne depuis le début du siècle et même dans une certaine mesure depuis la fin du siècle dernier, il y avait, et ça participait du mouvement général des nationalisme qui saisissait à cette époque-là toute l’Europe et dont la France n’était pas exempte, il y avait un désir de réappropriation des origines, des dieux germains, etc. etc. Mais ce n’est pas du tout pour moi cela le paganisme. Le paganisme c’est d’abord une spiritualité, un certain modèle social et institutionnel qui n’a rigoureusement rien à voir avec le national-socialisme et je dirai même qu’en dépit de la rhétorique qui pourrait être agitée ici ou là, d’une part les représentants des courants que l’on pourrait – avec une avalanche de guillemets – désigner par le terme de païens, ont été lourdement persécutés sous le national-socialisme et n’ont pas été du tout mis en valeur, et que d’autre part dans sa structure sociétaire et institutionnelle le national-socialisme est pour moi le type même de l’installation, de la transposition du monothéisme. Lorsque l’on disait Ein Volk, Ein Reich, Ein Führer, c’était bien Un peuple, Une nation, Un chef, qu’est-ce que c’est ce Un, sinon du mono, sinon de l’unique, sinon la réduction à l’Un, qu’est-ce que c’est sinon la transposition au niveau de la société, d’une église – c’était le parti – avec un chef sur terre, ce n’était pas le pape c’était le Führer.
C’est exactement le modèle du monothéisme. Alors, du point de vue chrétien ça donne une transposition éventuellement tout à fait bizarre, il n’empêche que structurellement c’est le même modèle et que si l’on prend le polythéisme au sens de la pluralité, de la diversité et par là-même de la reconnaissance des inégalités naturelles, etc., nécessairement la reconnaissance des inégalités implique la reconnaissance des diversités, et la reconnaissance des diversités implique d’abord la reconnaissance du droit d’être différents. Avec sans-doute des limitations d’ordre ontologique mais essentiellement dans le secret des consciences d’être différents, d’avoir le droit de vivre sa différence.
Alors ça je crois que c’est une chose importante. Et à propos d’Heidegger, vous savez bien que Heidegger a adhéré au parti nazi en 1933, qu’il en a démissionné cinq mois plus tard bruyamment pour avoir refusé d’appliquer les mesures antisémites à l’université de Fribourg dont il avait été nommé doyen, et qu’à partir de 1935 les cours d’Heidegger se déroulent sous surveillance de la Gestapo, qu’il est démis de ses fonctions, que ses étudiants reçoivent l’interdiction d’assister à ses cours, que l’on a le droit de citer son nom ni dans la presse ni à la radio, qu’une campagne idéologique sans précédent menée contre sa philosophie est lancée par les idéologues du parti national-socialiste, que, lorsque, vers 1943, il a fallu renforcer la Wehrmacht parce que l’Allemagne perdait un nombre considérable d’hommes, Heidegger a été décrété comme l’universitaire le moins indispensable à l’Allemagne de l’époque. Alors ce sont des choses qu’il faut tout de même rappeler si l’on veut en matière de juste mesure dire ce que pensait Heidegger.
Gustave Thibon : Je le sais mais c’était quand même gros d’avoir affirmé une chose aussi énorme, même une seule fois, ce que personne n’aurait osé dire de Louis XIV ou de Charlemagne, tout de même. Tout cela je crois n’est absolument qu’un détail. [À suivre, demain dimanche] ■
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