CHERS AMIS LECTEURS DE JSF EN QUÊTE ACTIVE D’UN DÉBAT DE HAUT VOL. Éteignez votre télévision, fermez votre livre, bloquez à partir d’aujourd’hui un quart d’heure de votre emploi du temps de chaque jour, pour lire ce dialogue d’il y a 40 ans – une controverse « fraternelle » sur des sujets essentiels – entre Alain de Benoist et Gustave Thibon, tel que vous n’en avez pas lu depuis des lustres. Une cure d’altitude mentale. Passionnés d’Histoire, de philosophie, de politique, d’histoire des idées ou d’histoire littéraire, de réflexion libre et gratuite, étudiants en l’une ou l’autre de ces matières, ne manquez pas cette lecture !
Ce débat s’est tenu à Marseille le 15 avril 1982 à l’initiative de l’Union Royaliste Provençale. Le sujet tient à l’opposition entre la culture traditionnelle française et européenne imprégnée de christianisme que défend Thibon et la vision dite néo-païenne d’Alain de Benoist.
Cette publication sous forme d’une série s’étalera sur quelques semaines. Il en existe un enregistrement vidéo largement diffusé sur divers sites. Avec ses presque 40 ans, cette vidéo est toutefois de piètre qualité. Nous ne faisons qu’en publier le texte retranscrit au mieux mais sans-doute encore améliorable. Durée de la série : autour de 3 semaines. Réalisation : Rémi Hugues – Gérard Pol.
Alain de Benoist — Gustave Thibon
Voir aussi notre introduction : Un débat d’autrefois, passionnant aujourd’hui : Alain de Benoist – Gustave Thibon. Publication à venir sur Je Suis Français sous forme de série …
L’Église chrétienne comme « immortelle flétrissure de l’humanité. ». Débat sur une citation de Nietzsche.
Alain de Benoist : C’est tout à fait possible de mettre l’accent sur lʼincommunicable, cʼest bien clair. On arrive, à un moment donné de la discussion – c’est normal – à cerner le point d’où on ne peut pas aller au-delà. Parce que là il y a foi, il y a les certitudes intérieures, il y a les émotions, il y a les sentiments – choses que je place très haut – et contre lesquels, ou face auxquels, la froide logique, la raison, précisément, ne peut que développer des choses relativement dérisoires. Néanmoins, nous sommes bien obligés de faire comme si, puisque c’est la raison, même, d’être, de notre débat. Mais ce que vous disiez à propos du christianisme, bien sûr, là, nous défendons chacun une thèse, nous l’illustrons chacun par nos exemples. J’insiste sur le fait que pour moi le diable n’existe pas, nʼest-ce pas, et le diable n’est pas chrétien. Cela signifie que je ne me représente pas du tout le christianisme uniquement sous son jour sombre. Il a eu ses grandes heures, il a eu ses apports.
Je suis le premier à reconnaître la merveille des cathédrales et de bien d’autres choses encore, dont les cathédrales sont un symbole parmi d’autres. Mais ce qui me paraît une question importante, connexe mais importante, c’est précisément de savoir au crédit de qui et de quoi ces réalisations doivent être portées. Et c’est en cela que nous sommes renvoyés à la problématique que j’ai posée au début de la discussion, c’est-à-dire est-ce que finalement c’est parce que lʼOccident, à un certain moment de son histoire, a été chrétien qu’il a fait cela, ou est-ce qu’il aurait fait cela de toute façon, et il l’a fait dans le christianisme parce que le christianisme représentait la religion et l’idéologie dominantes du moment. Ça c’est je crois une question qu’on ne peut pas ne pas se poser. Alors prenons maintenant peut-être un autre aspect, parce nous sommes arrivés non pas dans une impasse mais…
Gustave Thibon : Je voudrais ajouter ceci : Tous les fanatismes je crois sont extrêmement faciles. Il y a eu le fanatisme chrétien bien entendu, il y a eu les fanatismes et les atrocités des caricatures du christianisme que sont les totalitarismes modernes. Mais croyez-vous que, dans une certaine virulence du paganisme, ne on ne risque pas d’arriver très facilement à la même intolérance ? Vous reconnaîtriez très gentiment les caractères positifs du christianisme, vous qui n’êtes pas chrétien et qui même êtes antichrétien, il faut le dire ce n’est pas une honte c’est votre opinion, bon… Mais enfin je me demande pourquoi – je peux le citer parce que tout le monde le lira en le lisant – vous avez choisi pour mettre en exergue de votre dernier livre un des textes…
Vous savez que j’ai pour Nietzsche une admiration, je ne dirai pas sans réserve… parce que l’admiration sans réserve je la réserve à Dieu. Mais enfin Nietzsche m’a profondément marqué, cʼest peut-être l’homme qui mʼa le plus marqué de ma vie. Je ne le considère pas comme un métaphysicien, je ne le considère pas comme un philosophe, je le considère comme un homme qui a donné les plus étonnants coups de sonde dans le mystère humain qui soit, comme un psychologue et un démasqueur de premier ordre, comme un grand poète et comme un mystique, n’est-ce pas ? Comme un mystique et un adorateur. Quand Nietzche adore la beauté du monde. Je n’ai plus le texte allemand, mais enfin je peux vous le dire, d’ailleurs il vaut mieux le lire en français ici… Bon. Tables des visions éternelles, emblèmes de la nécessité, ta muette beauté, comment daigne-t-elle venir à moi, comment ne fuit-elle pas devant mes regards, n’est-ce pas ? Enfin il y a mille textes adorateurs dans Nietzsche. Et l’adoration où va-t-elle, nʼest-ce pas, au-delà des mots ?
Mais tout de même quand j’arrive à Ecce Homo, qui est un livre qui me paraît délirant, d’ailleurs il était proche de la folie – folie que je ne lui reprocherai pas, il n’y a pas lʼombre d’un doute, comme on le fait avec une vulgarité sans nom, enfin les deux ou trois derniers livres de Nietzsche, Contre Wagner, LʼAntéchrist, eh bien ! sont des livres délirants.
Comment avez-vous pu citer une phrase dans laquelle aucune nuance n’est admise. La voici : « J’en arrive à ma conclusion. Et j’énonce maintenant mon verdict. Je condamne le christianisme. J’élève contre lʼÉglise chrétienne l’accusation la plus terrible qu’accusateur ait jamais prononcée. Elle est pour moi la pire des corruptions concevables. Elle a voulu sciemment le comble de la pire corruption possible. La corruption de l’Eglise chrétienne nʼa rien épargné, elle a fait de toute valeur une non-valeur, de toute vérité un mensonge, de toute sincérité une bassesse d’âme. J’appelle le christianisme l’unique grande malédiction. L’unique grande corruption intime. L’unique grand instinct de vengeance, pour qui aucun moyen n’est assez venimeux, assez secret, assez souterrain, assez mesquin. Je l’appelle l’immortelle flétrissure de l’humanité. »
Voilà un texte tout de même qui donne à réfléchir, parce qu’immédiatement pour quelqu’un qui serait persuadé de ça, il est facile de devenir intolérant quand on voit le mal à peu près absolu sous la forme du christianisme. Là vraiment il est diabolisé dans ce texte.
Alain de Benoist : Cette citation figure en exergue du livre, précisément. Alors vous dites : vous la donnez sans nuances. Elle n’est pas dans le texte. Elle est en exergue du texte. Et tout le livre, précisément, constitue la nuance. Pourquoi j’ai choisi cette citation ?
Vous disiez tout à l’heure : c’est un texte de la fin de la vie de Nietzsche. Vous avez tout à fait raison. C’est justement le point d’aboutissement en quelque sorte d’une réflexion sur un itinéraire sur lequel je ne reviendrai pas. Cette citation vient là, au début de ce livre, pourquoi ? Eh bien parce qu’elle nous fait question immédiatement, elle nous demande en quelque sorte : pourquoi est-ce qu’un homme, dont on reconnaît quand même des qualités par ailleurs, a pu écrire cela ? Pourquoi il est arrivé à ce verdict ? Et le livre essaye, en apportant, précisément, les nuances qui s’imposent, de répondre à cette question que l’on se pose. Il prend le problème, en quelque sorte – c’est un peu ambitieux mais vous voyez certainement dans quel contexte je le dis – il prend le problème là où Nietzsche le laisse. C’est-à-dire aujourd’hui, comment se pose cette question que Nietzsche avait abordée sur une conclusion aussi brutale, d’une brutalité incontestable. Voilà pourquoi ce livre. Ce texte, n’est pas pris comme ma conclusion mais comme le point de départ d’une réflexion qui, précisément, apporte toutes les nuances.
Gustave Thibon : Oui d’accord, mais seulement le lecteur peut quelquefois se méprendre et considérer ce qui est mis en exergue d’un livre comme qui dirait, en quelque sorte, un pavillon du livre, le drapeau n’est-ce pas ? [À suivre, demain mardi] ■
Articles précédents [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] [11]
Si l’on souhaite se reporter à la vidéo cliquer ICI
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source