(Elisabeth Lévy, dans Le Point, doit consacrer, très prochainement, un article à ce nouveau livre de Jean-François Mattéi; nous le communiquerons dans ce Blog, ainsi que ceux qui ne manqueront pas d’être publiés ailleurs…. Elisabeth Lévy avait déja consacré un article à JF Mattéi, toujours dans Le Point, le 10 avril 2008 : L’Europe a les yeux vides.pdf .)
L’Europe se trouve aujourd’hui en position d’accusée, souvent par les Européens eux-mêmes, du fait de sa prétention à l’universalité, de sa supériorité proclamée et de son arrogance intellectuelle.
Qu’elle n’ait pas toujours été fidèle à ses principes, lors de la colonisation des autres peuples, ne met pourtant pas en cause sa légitimité. La critique de l’Europe n’est en effet possible qu’à l’aide des normes juridiques et des principes éthiques qu’elle a diffusés chez tous les peuples pour connaître le monde plutôt que pour le juger. Levinas n’avait donc pas tort de louer « la générosité même de la pensée occidentale qui, apercevant l’homme abstrait dans les hommes, a proclamé la valeur absolue de la personne et a englobé dans le respect qu’elle lui porte jusqu’aux cultures où ces personnes se tiennent et où elles s’expriment ».
Il faut en prendre son parti : il n’y a pas plus d’égalité des cultures que de relativisme des valeurs. On ne saurait faire le procès de l’universel sans faire appel à la culture qui a donné cet universel en partage aux autres cultures.
248 pages, 21 euros
Ses Représentants ont assignée l’Europe à l’ignorance de soi – et à la « repentance » pour ce dont elle est encore autorisée à se souvenir –, tandis que la religion des droits de l’homme devenait la nouvelle référence.
Un humanisme sans horizon s’est ainsi posé en juge de l’histoire, avec l’indistinction pour idéal rédempteur, et faisant à tout moment le procès de l’appartenance qui singularise.
Comme l’a dit Alain Finkielkraut, « cela signifiait que, pour ne plus exclure qui que ce soit, l’Europe devait se défaire d’elle-même, ne garder de son héritage que l’universalité des droits de l’homme […] Nous ne sommes rien, c’est la condition préalable pour que nous ne soyons fermés à rien ni à personne ».
Bien entendu, vu comme cela, ce n’est pas acceptable.
Il serait plus juste de mettre en parallèle l’universalité du
message chrétien, aux racines de l’Europe, et celui des
droits de l’homme qui se veut laïque.
En effet, pourquoi les droits de l’homme apparaissent
essentiellement dans des sociétés aux racines judéo
chrétiennes et non, dans d’autres sociétés ?
Il est vrai que l’humanisme version droits de l’homme, ne
peut « rivaliser » avec l’humanisme chrétien, mais il a le
mérite d’exister.
Si l’on est chrétien, l’on considère tout homme comme créé à l’image et à la ressemblance de Dieu; et le Notre Père apprend aux Chrétiens la fraternité humaine, mais, comme Gustave Thibon le disait « au sens des hommes qui ont vraiment un père et une patrie ».
Il est donc clair que les droits de l’homme sont une retombée du christianisme. Et qu’il leur aurait été difficile, en effet, de germer ailleurs.
Mais qu’ils aient germé sur son terreau ne signifie pas qu’ils sont de même nature.
Je ne suis pas sûr que l’on soit fondé à parler d’un « humanisme chrétien » car, de soi, le christianisme est, avant tout, théo ou christocentré. Mais s’il y en a un, dans un sens qu’il faudrait prendre grand soin de définir, alors il me paraît se situer, évidemment, à cent coudées au dessus de l’idéologie des droits de l’homme. Et tout à fait ailleurs.
Cher Anatole,
Je suis tout à fait d’accord avec vos propos, à une nuance
près, pour certains, les droits de l’homme sont une
idéologie, pour d’autres, seulement des droits
fondamentaux, voir universels.
S’il s’agit d’en faire, pour certains, une idéologie, c’est sans
doute, qu’ils transposent volontairement ou sans le savoir,
dans le domaine laïque ce qui émane d’une certaine
manière du message chrétien, mais dans ce cas, ce dernier
se situe sur un bien autre plan, et comme vous le dites
justement, va bien au-delà. Il n’y a donc pas de « rivalité »
possible, si tant est que cela soit une volonté des
« idéologues laïques ».
S’il s’agit de reconnaître des droits fondamentaux, dans
l’ordre juridique ou constitutionnel, c’est autre chose, et
cela a simplement mais nécessairement, le mérite
d’exister.
Toutes ces questions, qui ont donné lieu à une littérature considérable, débouchent en fin de compte sur une alternative simple : soit l’on soutient que les concepts constitutifs de l’idéologie des droits de l’homme sont, malgré leur origine occidentale, des concepts véritablement universels. Il faut alors le démontrer.
Soit on renonce à leur universalité, ce qui ruine le système : en effet, si la notion de droits de l’homme est purement occidentale, son universalisation à l’échelle planétaire représente de toute évidence une imposition du dehors, une manière détournée de convertir et de dominer, c’est-à-dire une continuation du syndrome colonial.
Cher Thulé,
Les droits de l’homme ont dans l’ordre juridique et politique, une origine occidentale et une portée universelle (déclaration universelle des droits de l’homme). Doit on démontrer que tout ce qui se rapporte à la nature ou à l’essence humaine est universel ?
Car si cela ne l’est pas, qu’est-ce alors ?
Mon cher DC, lorsque l ’Unesco eut décidé, en 1947, de lancer une nouvelle Déclaration universelle des droits de l’homme —celle-là même qui allait être solennellement
proclamée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations-Unies —, ses dirigeants entreprirent de procéder à une vaste enquête préalable.
A l’initiative notamment d’Eleanor Roosevelt, un comité international fut constitué afin de recueillir l’opinion d’un certain nombre d’« autorités morales ». Environ 150
intellectuels de tous les pays se virent ainsi demander de déterminer la base philosophique de la nouvelle Déclaration des droits. Cette démarche se solda par un échec, et ses promoteurs durent se borner à enregistrer des divergences
inconciliables entre les réponses obtenues.
Aucun accord n’ayant pu se dégager, la commission des droits de l’homme de l’ONU décida de ne pas publier les résultats de cette enquête.
Mon cher Thulé, je pense qu’il vaut mieux que cette
déclaration existe, plutôt que le contraire, et c’est à mon avis
le plus important.
Le danger que vous ne percevez pas, mon cher DC, c’est le risque de voir par exemple la CEDH (Cours européenne des droits de l’homme) s’immiscer (les exemples sont nombreux) dans la vie des peuples et tenter de restreindre la démocratie par le biais du « contrôle de constitutionnalité ».
Quand les juges se substituent au peuple, les droits de l’homme deviennent une arme contre la liberté. Mais qui jugera les juges?
Cher Thulé,
Vous posez la question de la souveraineté, et il est
indéniable que la CEDH a une influence sur la
jurisprudence du Conseil constitutionnel, mais de là à dire
qu’elle pourrait être une menace pour la démocratie ! Le
Conseil constitutionnel, à preuve du contraire, a le dernier
mot, en matière de constitutionnalité, en France.
Ce qui est une réelle menace, c’est le déni de démocratie
pratiqué par l’oligarchie, dans tous les rouages
institutionnels, quand par exemple, au lendemain du vote
négatif au référendum de 2005 sur le traité européen, on
y substitue le traité de Lisbonne par voie parlementaire.
Les institutions sont une chose, mais ce qu’en font les
hommes en est parfois une autre.