Les Lundis.
Par Louis-Joseph Delanglade*.
Peut-on raisonnablement continuer de condamner la guerre de reconquête nationale que les forces militaires syriennes mènent dans le nord du pays pour réduire la poche d’Idlib ?
C’est pourtant ce que font, sans vergogne aucune, les professionnels de la compassion à géométrie variable qui, motivés par leur seule détestation d’un régime jugé non démocratique (celui de M. Assad) et déconfits de s’être complètement trompés sur l’issue de leur printemps arabe fantasmé (rappelons-nous les propos de M. Fabius) en sont réduits à soutenir maintenant les forces objectivement réunies de miliciens islamistes syriens et de soldats réguliers de l’armée turque – forces rien moins que démocratiques non plus, mais surtout forces hier encore vilipendées par ces mêmes « humanistes » pour être soit les héritières d’Al Qaïda, soit le bras armé d’un nouveau despotisme à l’ottomane.
Il y a donc ceux qui s’indignent, comme viennent de le faire quatorze ministres des Affaires étrangères européens (dont M. Le Drian) dans une tribune publiée par Le Monde. « Ce texte sauve l’honneur alors que la tragédie des civils d’Idlib semblait devoir se dérouler dans le silence des nations désunies », c’est « beau » comme du Victor Hugo mais ce n’est que du Pierre Haski (France Inter). Au nom des victimes civiles (on nous refait le coup de la catastrophe humanitaire du siècle), il est demandé à Damas et à Moscou de cesser immédiatement leur offensive et de respecter l’accord de cessez-le-feu (Sotchi, 2018).
Et pourquoi ne pas demander plutôt à la Turquie de retirer immédiatement ses troupes de Syrie et de renoncer à toute visée expansionniste sur la bande frontalière qu’elle convoite ? Pourquoi ne pas se féliciter que M. Assad, fort de l’appui bienvenu de la Russie, ait entrepris d’éliminer de son pays l’islamo-terrorisme, ennemi international public numéro un ?
La mort de trente-trois soldats turcs lors d’un bombardement syrien a fait monter la tension. Ankara crie vengeance, oubliant que ses troupes sont en territoire syrien et que, mélangées à des formations terroristes près du village de Bekhoun, elles en ont aussi partagé, ce 27 février 2020, le tragique destin. Règne du coup la plus grande incertitude. Quand les Européens de l’Union, toujours aussi frileux, se contentent de parler de médiation (réunion quadripartite – Poutine, Macron, Merkel, Erdogan – annoncée pour le 5 mars), les Américains, plus brutaux, soutiennent explicitement Ankara tandis que le Conseil de l’OTAN, réuni d’urgence vendredi, s’est contenté d’une solidarité de principe avec l’allié turc. Ankara en veut davantage et menace maintenant explicitement le maillon faible (l’Union européenne) de rouvrir sa frontière à l’émigration.
Bel allié en vérité qui, déjà grassement indemnisé (plusieurs milliards d’euros chaque année), n’hésite pas à pratiquer le chantage ! La guerre en Syrie entre dans une phase ultime où s’affrontent deux camps : le camp russe et le camp turc. Les Européens, donc la France, ne pourront pas tergiverser longtemps, puisque même la neutralité qui les inciterait à regarder le combat depuis le mont Pagnote leur sera difficile en raison des exigences exorbitantes d’Ankara.
Nous écrivions en conclusion de notre lundi du 7 décembre 2015 que la Turquie était « incontournable sans doute du fait que la France reste inféodée à l’OTAN ; toxique certainement du fait qu’[elle] sait ce qu’elle veut contrairement à nous. » Nous dirons aujourd’hui que la Turquie est devenue un allié dangereux et que le temps est venu pour la France de reconsidérer certains aspects de sa politique étrangère. ■
À lire dans JSF …
L’allié toxique
* Agrégé de Lettres Modernes.
Retrouvez les Lundis précédents de Louis-Joseph Delanglade.
© JSF – Peut être repris à condition de citer la source
Très bel article mais tout cela confirme que la Turquie tient deux langages et profite des aides financières de l Europe pour les populations de migrants