Ces rubriques de JSF (Dans la presse et Sur la toile) sont destinées à ne pas nous satisfaire de l’entre-soi. A être familiers des analyses et de la pensée de ceux qui nous entourent, parfois très proches, parfois adversaires. Et qui exercent une influence forte sur l’opinion et l’intelligence françaises. A condition d’exercer notre réflexion propre, nous nous y enrichissons et souvent nous créons par là des contacts qui portent leurs fruits. Car nos idées, nos articles, aussi séduisent, bien au-delà de nos cercles. Ainsi, d’ailleurs de Zemmour lui-même, à l’évidence. Parfois plus – ou mieux – Action Française que nous ! (Mais pas tout à fait tout de même). Nous ne reprenons pas ces analyses venues d’ailleurs en les multipliant pour faire nombre. Nous les choisissons pour leur intérêt politique et leur utilité pour l’expansion de nos idées. Nous les discutons…
Ici, Éric Zemmour affirme que « les assemblées ne sont plus le cœur de la souveraineté nationale » et que « les nostalgiques, en particulier la France insoumise, doivent se faire une raison: ils ne vivent plus sous la IVe République. » Ce n’est pas nous qui défendrions le régime d’assemblées. Ni qui prônerions l’érosion des pouvoirs de l’Exécutif. Mais justement, Zemmour passe ici curieusement sous silence tout ce qui concourt d’ores et déjà à l’affaiblissement de l’Exécutif, Chef de l’État compris, et qu’il sait mieux que nous : le quinquennat, le pouvoir des juges, la toute-puissance des médias, les réseaux sociaux, l’emprise de l’UE, etc. Si bien que l’on peut légitimement se demander si la Ve République qu’il invoque existe toujours. Selon nous, elle fut une tentative sans espoir de monarchiser ou royaliser ce qui ne peut l’être et qui retombe toujours inévitablement du côté de sa pente naturelle. Un dernier point que l’on ne manquera pas de nous faire observer : le Prince a récemment critiqué l’utilisation du 49-3 pour faire passer à l’Assemblée nationale le projet gouvernemental de réforme des retraites. On peut bien ne pas être d’accord. Encore faut-il remarquer que le comte de Paris n’a émis ce point de vue que relativement à cette circonstance précise et qu’il ne propose nullement l’abandon du dit 49-3. [Éric Zemmour, Figaro, 6 mars].
Cela devient un rituel. À chaque fois qu’un premier ministre décide la mise en œuvre de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, c’est un tollé.
Tout le monde – dans l’opposition, dans les médias, mais aussi dans la majorité – fait chorus pour tempêter contre cet « acte de brutalité », ce « déni du Parlement ». Ces derniers jours, on montre volontiers les images d’Édouard Philippe, alors député juppéiste, protester avec véhémence contre le socialiste Manuel Valls qui, locataire de Matignon, avait actionné l’arme fatale.
Rappelons-le pourtant : le 49.3 est un des articles les plus importants de la Constitution. Il fait partie de l’arsenal du parlementarisme rationalisé, voulu par Michel Debré, qui a fait la différence entre la Ve République et les deux précédentes. À l’époque, les dignitaires de tous les partis, y compris les socialistes, approuvèrent cette mesure, lassés qu’ils étaient du parlementarisme à la française qui empêchait le gouvernement de gouverner et de durer. Certes, il n’y avait pas alors de majorité parlementaire solide, qui s’inscrira dans la foulée de l’élection du président de la République au suffrage universel. Il n’empêche. Le 49.3 reste une arme indispensable à tout exécutif qui doit subir une révolte au sein de sa majorité (le RPR chiraquien contre Barre de 1976 à 1981) ou une majorité qui ne tient qu’à un fil (Rocard en 1988).
Enfin, le 49.3 est devenu l’arme absolue pour réduire les obstructions parlementaires délibérées, comme on en a connu lors des nationalisations (en 1981) ou les privatisations (en 1986). Nous étions évidemment dans ce cas-là, avec l’attitude des députés de la France insoumise, dont certains lisaient des poèmes en guise d’amendements.
La légitimité du 49.3 n’emporte pas celle de la réforme des retraites. Manifestement, cette réforme fut mal préparée, mal conçue, et tout présage qu’elle ne remplira aucun de ses objectifs, ni la simplicité, ni l’égalité, ni encore moins les économies nécessaires. Mais le 49.3 rappelle que l’esprit des institutions n’est pas parlementaire. La Ve République est un régime qui transfère la légitimité au monarque républicain, élu par le peuple, qui siège à l’Élysée. Les assemblées ne sont plus, contrairement à la doxa républicaine longtemps issue de la Révolution, le cœur de la souveraineté nationale. Les nostalgiques du régime d’assemblée, en particulier la France insoumise, mais pas seulement, doivent se faire une raison : ils ne vivent plus sous la IVe République. Le Parlement n’est qu’un outil dans la fabrique de la loi ; un outil utile, parfois fécond, mais toujours second. Son rôle, qui avait été minoré par la Constitution de la Ve, a encore été abaissé par la montée en puissance de deux pouvoirs, non élus, la Commission européenne et ses directives, le Conseil constitutionnel et ses arrêts.
Pourtant, on n’entend guère les députés protester contre ces deux pouvoirs-là, qui n’ont aucune légitimité démocratique et qui ont fini de marginaliser définitivement le pouvoir parlementaire. Mais c’est beaucoup plus facile – et beaucoup moins risqué en termes d’image – de tonner contre le 49.3. ■
A la seule condition que le texte en question soit sérieux et réponde convenablement
à la réalité et à son financement… Manifestement, ce n’est pas le cas !
Alors à quoi bon ?