Par Maxime Tandonnet
Cet article [Figarovox – 13.03] fait évidemment écho, sur un plan tout à fait différent, celui de la perspective historique, au Lundi de Louis-Joseph Delanglade que JSF a publié hier et à celui de
Avec la crise du Covid-19, la France est entrée depuis deux semaines dans l’une de ces rares périodes pouvant être qualifiée d’événement historique.
Elle est la première grande secousse mondiale directement issue de l’accélération de la globalisation. La crise en cours diffère de tout ce que les Français ont connu dans le passé, combinant une catastrophe sanitaire planétaire, un effondrement financier et économique ainsi que de fortes tensions diplomatiques entre alliés sur la question de la fermeture des frontières. Elle mélange le retour ancestral de la hantise des grandes épidémies de peste (celle de 1340 avait anéanti un tiers de la population européenne), même si le bilan du coronavirus n’a naturellement rien à voir avec ce fléau, et l’image du «village mondial», prophétisé par Marshall McLuhan au début des années 1970, comme conséquence ultime du progrès technologique poussé à son paroxysme. Cette étrange rencontre d’une peur millénaire et d’une prise de conscience des aléas de la modernité donne à cette crise son caractère particulièrement angoissant.
Cette étrange rencontre d’une peur millénaire et d’une prise de conscience des aléas de la modernité donne à cette crise son caractère particulièrement angoissant.
Dans son allocution du 12 mars, le président de la République a utilisé le terme d’union sacrée. Son appel à la solidarité nationale est un réflexe classique des hautes autorités du pays dans les périodes tragiques. Récemment, ce fut le cas lors des attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts notamment lors du massacre du Bataclan. Quatre ans et demi plus tard, le pays est de nouveau au pied du mur, même si la nature des événements n’a pas le moindre rapport. La crise du Covid-19 a cette particularité, au regard de toutes les autres connues auparavant, de concerner directement et individuellement chaque Français autant dans sa vie professionnelle que privée.
Dans une situation de ce genre, l’idée de nation prend tout son sens
Aucun secteur de la vie quotidienne n’est épargné: transports, commerces, école, travail… Cette crise n’est pas seulement une affaire de l’État et de décision publique. Son issue ne dépend pas uniquement des politiques nationales mais d’une discipline individuelle et collective s’attachant au moindre geste quotidien.
Dans une situation de ce genre, l’idée de nation prend tout son sens. Elle se présente comme une communauté soudée par la menace et dont chaque membre est appelé à assumer sa part de responsabilité face au danger. Le salut ne viendra pas d’ailleurs. Au regard des politiques appliquées par les partenaires et alliés de la France, les États-Unis, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni – dont beaucoup ont pris des mesures drastiques de fermeture ou de contrôle des frontières – le chacun pour soi est la règle. La nation exerce, en de telles circonstances, son rôle le plus classique, celui de protecteur et de refuge à l’image d’une grande famille. La tragédie du Covid-19 est à la source d’un spectaculaire retour de l’idée nationale comme valeur suprême.
Dans son allocution, le chef de l’État a annoncé deux décisions, celle de maintenir les élections municipales et celle de la fermeture des établissements scolaires et universitaires pour une durée indéterminée. Quelques heures auparavant circulait, sur les réseaux sociaux, la rumeur de la mise en œuvre de l’état d’urgence ou de l’article 16 de la Constitution sur les «pleins pouvoirs».
Après cette crise, rien ne sera plus comme avant.
Dans ce genre de circonstances, les responsables publics sont confrontés à un vertigineux exercice d’équilibrisme. S’ils en font trop, ils seront accusés de dramatisation excessive. S’ils n’en font pas assez, ils s’exposent au reproche d’irresponsabilité. Dès lors que la notion de solidarité nationale est engagée, une trêve dans la bataille électoraliste et politicienne doit s’appliquer. Le principe de responsabilité commande de s’abstenir, en de telles circonstances de polémiques inutiles ou excessives. Toute tentative d’exploitation ou de récupération d’une crise basculant dans la tragédie sera ressentie comme démagogique. Le temps du bilan, des critiques, de l’établissement des responsabilités, et des sanctions politiques éventuelles viendra par la suite.
Après cette crise, rien ne sera plus comme avant. Elle ouvre le champ d’une remise en cause dramatique d’un modèle idéologique dominant dans le monde occidental annoncé par Francis Fukuyama en 1992 dans La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, fondé sur l’image bienfaitrice d’un monde uniformisé par les marchés, apuré de tout obstacle à la communication, une confiance exacerbée dans les vertus du libre-échange sans frontières. Elle soulève des questions fondamentales sur la fragilité d’un monde post-frontières et hyper-connecté. Quelles précautions eût-il fallu prendre ? Quelles pratiques ont favorisé l’effondrement de la finance et de l’économie mondiale comme un château de cartes ?
Cette crise planétaire prouve à quel point, malgré les fulgurants progrès technologiques, l’histoire demeure incontrôlable
Le coronavirus est aussi une immense leçon de modestie pour l’homme moderne, convaincu d’avoir maîtrisé les aléas de la nature et de son destin. Cette crise planétaire prouve à quel point, malgré les fulgurants progrès technologiques, l’histoire demeure incontrôlable. Charles Péguy nous avait prévenus dans Clio, dialogue de l’histoire et de l’âme païenne : « C’est ici le plus grand mystère peut-être de l’événement, mon ami, c’est ici proprement le mystère et le mécanisme même de l’événement, historique, le secret de ma force, mon ami, le secret de la force du temps, le secret temporel mystérieux, le secret historique mystérieux, le mécanisme même temporel, historique, la mécanique démontée, le secret de la force de l’histoire, le secret de ma force et de ma domination…» L’imprévu aura toujours une place cruciale dans l’histoire. ■
Maxime Tandonnet également historien, est l’auteur de nombreux ouvrages remarqués. Il a notamment publié Les Parias de la République (Perrin, 2017) et, plus récemment, André Tardieu, l’incompris (Perrin, 2019), salué par la critique. Découvrez également ses chroniques sur son blog.
À Lire dans JSF …
Coronavirus par Louis-Joseph Delanglade
Les sociétés du zéro défaut, du risque zéro, du principe de précaution, bref de l’anesthésie générale, des débats sociétaux sur la circulation de la trottinette sur les trottoirs, font l’expérience du retour du réel dans un monde qui rêve de fin de l’histoire. Il va en falloir des cellules de soutien psychologique, des groupes de parole et des assistantes sociales pour soigner les bobos à l’âme du très fragile homo democraticus cajolé en permanence par ce Big Mother qu’est l’État providence censé mettre chacun à l’abri du moindre désagrément. Rappelons tout de même que la grande peste noire de 1348 a tué entre 30 et 50% de la population européenne en quelques années, ce qui a été un peu autre chose que le coronavirus.
Qu’est-ce que je vous avais dit ? Article du Figaro du 18/03.
» Les crises d’angoisse et les insomnies ont suivi la courbe exponentielle de l’épidémie de Covid-19. La peur pour leur entourage, le sentiment de leur propre vulnérabilité et la crainte d’une catastrophe sanitaire généralisée ont saisi les Français à mesure qu’ils prenaient conscience, comme les autorités, de la gravité de la situation. Cette crise qui se concrétise ces jours-ci par les mesures spectaculaires de confinement annoncées par le président de la République laissera des traces.
Il est encore trop tôt pour en mesurer l’ampleur, mais une étude parue le 6 mars dans la revue scientifique General Psychiatry donne un aperçu du stress associé à cette période tumultueuse, entre peur de la contamination et confinement drastique, et nous indique le chemin à prendre pour limiter son impact psychologique. »